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Article de presse: Sergueï Kirienko, dauphin ou dernier fusible ?

Publié le 17/01/2022

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24 avril 1998 - Inscrit dans la logique de la Constitution ultraprésidentielle de la Russie, le succès de Sergueï Kirienko devant la Douma est apparu aussi comme le fruit des qualités propres de ce fort en thème aux airs juvéniles : avant tout, un art précoce du camouflage. Boris Eltsine l'a reconnu en félicitant, vendredi 24 avril, le nouveau premier ministre pour leur " succès commun " : celui du " tsar " , dont la volonté ne peut décidément être bafouée sans risque, et celui de son nouveau poulain, dont l'habileté et les talents de " grand communicateur " ont arrondi les angles tout au long d'un mois de suspense. Ainsi, quand le président manifestait son mépris pour les élus du peuple, l'ancien komsomol Kirienko (membre de la Jeunesse communiste) redoublait d'écoute à leur égard. A coups de promesses qui ne menaçaient jamais l'essentiel : le programme politique et économique du gouvernement et les hommes qu'il choisira pour l'exécuter. Ce programme reprend les projets de l'aile libérale du gouvernement sortant, personnifiée par Anatoli Tchoubaïs. Le " père des privatisations " russes fut sacrifié parce qu'il était haï de tous ou presque pour sa façon cassante d'imposer ses choix. Sergueï Kirienko prend sa relève en se posant comme un homme de conciliation. Avec lui, le programme réformateur déplace les accents afin de circonvenir les communistes et leurs amis majoritaires au Parlement. Mais Sergueï Kirienko a d'autres atouts : son passé, qui a facilité son passage devant une Douma hostile au diktat présidentiel qu'il incarnait. A trente-cinq ans, il a accumulé une expérience lui permettant de trouver un langage commun avec la vieille nomenklatura comme avec la nouvelle : les komsomols, le PC, l'armée et l'usine pour les anciens ; une banque, une société pétrolière puis le ministère de l'énergie pour les modernes. Quand aux seuls défauts dénichés par l'opposition, ils peuvent tourner à son avantage. En le jugeant " trop jeune " et " inexpérimenté " , les députés ne peuvent l'accuser de faire le jeu d'un clan particulier de l'oligarchie. Le chef du petit parti Iabloko, Grigori Iavlinski, l'a bien fustigé. Mais ce fut à la toute dernière minute, trop tard pour peser sur le vote. Les caciques de la Douma, qui lui reprochaient surtout de n'être pas communiste, s'attendrirent quand il rappela qu'il le fut naguère et qu'il " n'en avait pas honte " . Les mêmes caciques n'aiment guère non plus sa manie d'avoir réponse à tout, avec intelligence de surcroît. Ils lui pardonnent pourtant son profil de " jeune énarque " , car personne ne l'imagine prétendant à la succession du maître. Son statut de premier ministre l'y autoriserait. Pour l'heure, en attendant la grande échéance, ce dernier favori sorti de la manche du " tsar " est prié de tirer l'économie de l'ornière. Au risque, avec le " sale travail " qui l'attend, de n'être qu'un fusible de plus dans la machine eltsinienne à consommer les dauphins. SOPHIE SHIHAB Le Monde du 27 avril 1998

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