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Article de presse: Thabo Mbeki, le dauphin controversé

Publié le 17/01/2022

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16 décembre 1997 - " L'énigme de la politique sud-africaine " . C'est ainsi que le vice-président de la République, Thabo Mbeki, est souvent présenté par la presse sud-africaine. Homme d'Etat responsable et visionnaire pour les uns, politicien arriviste dépourvu de charisme pour les autres, le successeur du président Nelson Mandela ne fait pas l'unanimité. Une partie de l'opinion publique demeure déconcertée par le côté réservé et technocrate du personnage. Elle s'interroge encore sur la vraie personnalité de M. Mbeki ainsi que sur sa capacité à faire face à l'après-Mandela. Pourtant dès 1994, le chef de l'Etat a fait de ce quinquagénaire élégant son dauphin en le nommant vice-président du gouvernement d'unité nationale. Depuis, il lui a progressivement délégué la gestion des affaires courantes afin de renforcer sa stature. Revenu seulement en 1990 d'un exil long de vingt-huit ans, M. Mbeki était alors un quasi-inconnu pour les Sud-Africains. Il pouvait néanmoins se prévaloir d'un long parcours au sein de l'ANC. Fils de Govan Mbeki, un des dirigeants historiques du mouvement antiapartheid, Thabo Mbeki a été le bras droit du précédent président de l'ANC, Oliver Tambo. Il a représenté le mouvement dans plusieurs pays étrangers avant de participer aux négociations ayant abouti à la fin du régime d'apartheid. Depuis 1994, M. Mbeki a fait la preuve de ses capacités de dirigeant. Il a pris une part grandissante dans la conduite du gouvernement et il assume aujourd'hui la fonction officieuse d'un premier ministre aux responsabilités élargies. " Légalement, je suis toujours le président. Mais en réalité, c'est M. Mbeki qui dirige l'Afrique du Sud " , déclarait récemment M. Mandela. Les milieux d'affaires blancs ont déjà pris acte de la transmission du pouvoir. D'après une enquête publiée au début de l'année, la succession du chef de l'Etat n'est plus, pour eux, un sujet d'inquiétude majeure. M. Mbeki, il est vrai, s'est affirmé comme le maître d'oeuvre de la politique de prudence et de rigueur menée par le pouvoir en matière économique. En politique extérieure, il a joué un rôle important dans la montée en puissance de son pays en Afrique, développant le thème d'une " renaissance africaine " . Il a également multiplié les voyages à l'étranger pour mieux se faire connaître. Parallèlement, avec le soutien de M. Mandela, le vice-président a renforcé son emprise sur l'ANC. Quitte à provoquer la grogne de la base et susciter des reproches d'autocratisme, M. Mbeki a imposé sa marque à l'appareil du parti. Plusieurs de ses rivaux, comme le populaire Cyril Ramaphosa, ont d'ailleurs préféré quitter la politique pour le monde des affaires plutôt que de se laisser marginaliser. Un homme de dossier Le congrès du parti ne fait que consacrer ce patient travail de prise de pouvoir. M. Mbeki est l'unique candidat à la succession de M. Mandela au poste de président de l'ANC. Il aborde le rendez-vous avec sérénité et cherche à en minimiser la portée. Toujours habile à mêler langue de bois et humour pince-sans-rire, le futur patron du parti affirme qu'il s'agit d'un " congrès ordinaire " . Les dissensions internes ne sont, à ses yeux, qu'une fabrication des médias. " Les prises de position de Winnie Madikizela-Mandela ne sont même pas un enjeu pour nous. Il n'y aucun problème à l'intérieur de l'ANC " , estimait M. Mbeki, quelques jours avant le début du congrès. S'il a réussi à s'imposer au sein de l'ANC, cet inconditionnel du " look " vestimentaire anglais n'a pas résolu pour autant son problème d'image auprès des habitants des townships. Au contraire, les récents déboires de Mme Madikizela-Mandela toujours populaire dans les cités noires ont renforcé l'impression, donnée par certains journaux, d'un politicien éliminant sans scrupule ses rivaux pour accéder au pouvoir. De plus, en tant qu'instigateur de la politique gouvernementale, le dauphin de M. Mandela est en première ligne face au mécontentement de la communauté noire. M. Mbeki ne bénéficie pas non plus de l'aura et de l'autorité incomparables du chef de l'Etat. Ce diplômé en économie de l'université du Sussex, à la barbiche poivre et sel strictement taillée, est avant tout un homme de dossiers qui peut donner l'impression de manquer de chaleur humaine. Même si la faiblesse de l'opposition et la fidélité à l'ANC l'assurent quasiment d'être élu en 1999, M. Mbeki sait qu'il doit accroître sa popularité dans les townships. C'est pour cette raison, sans doute, qu'il a récemment durci son discours à l'égard de la minorité blanche. Le vice-président s'évertue à rassurer sur l'après-Mandela en affirmant qu'il ne faut pas s'attendre à des bouleversements dans la politique de réconciliation, de compromis et de consensus menée jusqu'à présent. Mais, sensible à son image dans les cités noires, il a récemment reproché aux Blancs, non sans un brin de démagogie, de résister au changement et de susciter l'impatience des plus défavorisés. FREDERIC CHAMBON Le Monde du 18 décembre 1997

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