Article de presse: Spoutnik

4 octobre 1957 - Les soviétiques ont annoncé par un communiqué de l'Agence Tass le lancement " efficace ", le 4 octobre 1957, du premier satellite artificiel de la terre. La petite sphère de 58 centimètres de diamètre décrivait autour de la planète une trajectoire elliptique continue distante de 900 kilomètres, un circuit complet-une heure trente-cinq minutes. La technique moderne progresse décidément à une vitesse étourdissante. Voilà tout juste dix ans, des astronomes et des professeurs de mécanique céleste soulignaient avec scepticisme les conditions très difficiles qu'il faudrait remplir pour lancer un satellite artificiel de la Terre un vrai satellite, qui ne fût pas seulement un projectile ramené au sol par la pesanteur dès la fin de sa trajectoire active, mais une sorte d'astéroïde tournant autour de notre planète d'une manière sinon permanente, du moins temporaire. Depuis plusieurs mois, on savait que les Etats-Unis et l'URSS se préparaient à lancer des satellites artificiels. Les essais de fusée se poursuivaient dans les deux camps, accompagnés de communiqués qui paraissaient tour à tour mystérieux ou présomptueux. Et voilà que, sans annonce préalable, c'est la petite sphère russe qui est partie la première. Comment s'étonnerait-on alors que les foules soient profondément impressionnées ? Penser qu'une petite étoile de plus sera peut-être visible ce soir que, parmi les innombrables lumières du ciel nocturne, l'une d'elles aura été fabriquée par des hommes, qu'elle évoluera à grande vitesse aux frontières du mystérieux espace universel et que, pour prouver son origine, elle lancera sur son passage un signal convenu! Ces émissions sur des longueurs d'onde annoncées peuvent être captées dans le monde entier sans être confondues avec celles des astres naturels que guettent les radio-astronomes. " Satellite artificiel ", disaient les géophysiciens " petite lune ", préférait le grand public. Psychologiquement, c'est bien une étoile que les Russes ont lancée hier. La lumière visible de la Terre n'est qu'un faible reflet du Soleil sur une toute petite sphère métallique, mais son éclat est incommensurable. La victoire des techniciens soviétiques peut être regardée comme purement scientifique. Il n'y a pas de raison pour le moment de s'en alarmer. Sans doute, l'étude des dispositifs de lancement est-elle commune aux projectiles intercontinentaux et aux satellites avec cette différence que les premiers sont destinés à atteindre un but terrestre et les autres, en principe, à ne pas retomber. Mais le petit astre temporaire disparaîtra du ciel comme la plus inoffensive des météorites et il faudrait l'extrapolation d'un romancier pessimiste pour le doter déjà d'un explosif thermonucléaire ou de l'oeil d'un espion-robot. La seule constatation à faire-une fois de plus-est que le progrès technique possède des ressorts d'une force incalculable, très supérieure aux forces physiques des hommes, qui le poussent en avant. Pour qu'il ne mérite jamais d'autre sentiment que l'admiration universelle, il faut que d'autres forces restent dominantes.