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Article de presse: Walter Ulbricht

Publié le 22/02/2012

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1er août 1973 - Le petit ébéniste né en juin 1893 à Leipzig ne s'est jamais senti chez lui que dans les faubourgs où s'alignaient les casernes à louer d'un prolétariat amer. Sur ses photos d'enfant déjà, les oreilles décollées et le front bas, il a le visage d'un petit bagnard promis à la loi d'airain des salaires. Comme Willy Brandt-mais loin de la mer et des invités du large,-c'est un petit social-démocrate de ce début de siècle dur aux ouvriers. Après la guerre, même quand il adhère au groupe Spartacus dans l'ombre ardente de Rosa Luxembourg, il ne succombe pas au romantisme de l'époque. Il est plutôt l'un de ces soldats gris d'une idée qui, dans les réunions enfumées, ouvrent les fenêtres et perçoivent les cotisations. C'est très vite un militant clandestin. Après l'échec du coup de force communiste de Hambourg en 1923, il est fiché et recherché un temps. Pour le soustraire à la police de Weimar, on l'envoie à Prague, à l'école du Komintern, puis à Vienne, où se dessine un austro-marxisme. Il noue les premières amitiés, suscite les premières estimes dans le petit monde errant de la révolution. Après l'amnistie, il rentre en Allemagne et donne à nouveau libre cours à sa passion de l'organisation. Député en 1928, il est déjà membre du bureau politique et du comité central. Sa fidélité à l'Union soviétique est totale. Après l'arrivée de Hitler au pouvoir, Walter Ulbricht échappe à la vague d'arrestations des parlementaires communistes. Il quitte l'Allemagne pour Paris, où il tente sans succès, à l'hôtel Lutétia, de faire l'unité d'action avec l'ennemi de la veille, le SPD, puis se rend à Prague et à Moscou. Il sera commissaire politique en Espagne pendant la guerre civile. Rentré à Moscou, il y est, sous Wilhelm Pieck, l'un des chefs de l'émigration allemande. Dans ce petit monde du Komintern où André Marty le brocarde du surnom de " sergent prussien ", il jouit pourtant, si l'on en croit Giulio Cerreti, qui vient de publier ses souvenirs, d'un " prestige incontestable ", et Palmiro Togliatti lui demande souvent son avis sur les questions les plus délicates. Le 1er mai 1945, en compagnie de dix fonctionnaires du parti, le voici dans Berlin en ruines. Il commence par dissoudre tous les groupuscules antifascistes existants et affirmer son autorité. Wilhelm Pieck et Otto Grotewohl, plus prestigieux que lui, auront des fonctions éminentes mais peu substantielles. Vice-président, avant de devenir premier secrétaire en 1950, il s'empare systématiquement des leviers de commande. Dans le grand débat politique de l'après-guerre : tenter de communiser une Allemagne réunifiée ou construire le socialisme dans la seule " zone soviétique " érigée en Etat, il semble bien qu'il a très vite choisi son camp. En 1953, c'est la bourrasque. La classe ouvrière, qui a tant de droits dans les discours et les textes et si peu à l'atelier, descend dans la rue. Les troupes soviétiques sortent de leur cantonnement pour sauver le régime. La répression sera dure, et, dans le style de son chef, le pouvoir se refusera toujours à reconnaître qu'il a subi une défaite. Une priorité absolue est désormais posée. Envers et contre tout, la République démocratique allemande doit exister. Son armée défile au pas de l'oie, sa jeunesse est formée dans la vénération des grands ancêtres, la fierté nationale est à nouveau flattée. Mais la déstalinisation, avant même le vingtième congrès, ébranle l'Allemagne communiste. Les intellectuels s'agitent. Walter Ulbricht, qui ne leur marqua jamais la moindre considération, frappe sans ménagements, notamment lorsqu'en 1956 Wolfgang Harich s'avise de rechercher une " meilleure voie vers le socialisme ". Il met en prison les " économistes révisionnistes ". Ulbricht promet même, imprudemment, qu'elle aura dépassé économiquement la République fédérale aux alentours de 1962. On connaît la suite. Affaiblie par la fuite de ses citoyens, la RDA érige un mur à Berlin. De cette " honte " dénoncée à l'Ouest date son redressement. Son chef n'était pas homme à tenir compte des protestations des " humanistes bourgeois ", et l'histoire, parfois cynique, lui a donné raison. A l'extérieur, Walter Ulbricht se fait l'exécuteur de toutes les volontés soviétiques : il pourfend le maréchal Tito comme il se fera le procureur des " déviations chinoises " il vénère Staline et ne se remettra jamais du vingtième congrès. De plus en plus complexe, la politique extérieure de Moscou finira pourtant par isoler un homme qui verra toujours dans la République fédérale un nid de " revanchards ". Il faudrait, au nom d'une plus haute nécessité, trouver un arrangement avec Willy Brandt. Walter Ulbricht, hors d'état de mener cette politique, sera fermement écarté par ceux qui en sont plus capables que lui. PAUL-JEAN FRANCESCHINI Le Monde du 3 août 1973

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