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Au Pérou, fin de partie pour Alberto Fujimori

Publié le 17/01/2022

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21 novembre 2000 SEULE L'HISTOIRE expliquera comment un pot-de-vin de 15 000 dollars a provoqué l'effondrement d'un régime qui, pendant dix ans, a dirigé le Pérou d'une main de fer. Depuis la réélection contestée, en mai, d'Alberto Fujimori à la présidence de l'Etat, le pays s'est enfoncé dans une crise politique sans précédent. Et le spectacle que donne l'actuel et moribond pouvoir s'apparente plus à d'ultimes tremblements qu'à un élan susceptible de modifier le cours d'une fin inévitable : la démission ou la déchéance d'Alberto Fujimori. Le chef de l'Etat péruvien a quitté jeudi 16 novembre le sultanat de Brunei, où il assistait au sommet de l'APEC, pour rejoindre le Panama afin de participer au sommet ibéro- américain sur fond de rumeurs, à Lima, annonçant sa fuite à l'étranger, en particulier en Malaisie, où il aurait demandé l'asile politique. Malgré divers démentis, le président péruvien a renoncé dans la nuit à rejoindre ses pairs du continent et a ajouté par là même aux spéculations qui alimentent la chronique de sa déroute. Son propre gouvernement a donné des signes délirants de panique : le premier ministre Federico Salas évoquait, mercredi, l'éventualité d'une démission du chef de l'Etat ; la veille, le ministre des finances, Carlos Boloña, en visite au Chili, commentait l'instabilité politique dans son pays : selon lui, les chances que M. Fujimori gouverne jusqu'en juillet prochain, terme auquel le nouveau président, qui sera élu en avril, devrait entrer en fonctions, s'amenuisaient. Ainsi, depuis la mi-septembre, date à laquelle a été diffusée une cassette vidéo montrant le chef des services de renseignement (SIN), Vladimiro Montesinos, soudoyant un parlementaire de l'opposition pour qu'il rejoigne la coalition du gouvernement, le Pérou livre chaque jour un nouvel épisode de cet authentique thriller. C'est ce scandale qui a conduit M. Fujimori à écourter son mandat de cinq ans à un an, en convoquant des élections, le 8 avril 2001, auxquelles il a annoncé qu'il ne se présenterait pas. Le départ précipité de Vladimiro Montesinos au Panama et son retour clandestin un mois plus tard n'ont fait que précipiter les événements. La découverte de comptes bancaires, début novembre, au nom de M. Montesinos, en Suisse, portant sur près de 50 millions de dollars, a fait rebondir le scandale et éclaboussé le chef de l'Etat, qui a clairement perdu le contrôle du pouvoir. Pour les Péruviens, il était impensable de suivre la saga Montesinos comme une simple farce, dans un pays qui depuis 1992 a accumulé les manquements à l'Etat de droit et aux droits de l'homme eux-mêmes. Vladimiro Montesinos était avant tout le bras droit de M. Fujimori, son conseiller, son homme de l'ombre, et le chef de l'Etat l'a toujours soutenu. « Je veux dire qu'il s'agit d'un cas évident de corruption, dont je ne savais absolument rien », a déclaré M. Fujimori après la révélation de l'existence de comptes bancaires en Suisse, pour un montant de 48 millions de dollars, bloqués par les autorités helvétiques. Aujourd'hui, M. Fujimori affirme « qu'il ne fait aucun doute que ces fonds ont une origine illicite et proviennent du blanchiment de divers trafics ». Il a même, ces dernières semaines, sombré dans un activisme suspect en conduisant lui-même, en jean et en blouson, dans les rues de Lima, les opérations de police pour capturer son ancien conseiller et le remettre à la disposition de la justice. C'est également M. Fujimori qui a personnellement annoncé, il y a quelques jours, la découverte de nombreux autres comptes au nom de son ancien collaborateur pour un montant cumulé de 58 millions de dollars. Cette gesticulation n'a pour objet que de faire accroire qu'il ignorait tout des activités (corruption, liaison avec le narcotrafic) de M. Montesinos. Pire encore, au début de la semaine, l'hebdomadaire colombien Cambio a révélé que l'ancien chef du cartel de la drogue de Medellin, Pablo Escobar, aurait financé, par l'intermédiaire de Vladimiro Montesinos, la campagne électorale de M. Fujimori, en 1990, à concurrence d'un don de 1 million de dollars. Cette dernière accusation a achevé de placer M. Fujimori dans une situation intenable, malgré les démentis apportés. Les doutes et les suspicions qui entourent les méthodes utilisées par le gouvernement péruvien depuis dix années ne cessent pas d'augmenter. Cette ambiance de fin de règne s'accompagne de multiples changements parmi les responsables de l'Etat. Les institutions mises en place depuis 1992 s'effondrent les unes après les autres ou retrouvent leur indépendance. Les trois commandants en chef de l'armée ont été relevés de leurs fonctions, les services de renseignement ont été démantelés ; le pouvoir judiciaire et le ministère public sont aussi en pleine réorganisation avec des nominations de juristes indépendants. Ce qui est en cours revient en fait à une normalisation de la vie démocratique du pays, interrompue, en avril 1992, avec l'auto- putsch conduit par M. Fujimori, qui avait dissous le Congrès hostile et placé l'institution judiciaire sous contrôle. REVERS SANS PRÉCÉDENT La démission de José Portillo, responsable de l'organisme chargé de l'organisation des élections (ONPE), et sa mise en examen pour son rôle partisan dans l'exercice de ses fonctions sont également des signes du changement en cours. M. Portillo incarne pour les Péruviens la tricherie et les irrégularités commises pendant ces dernières années, et en particulier à l'occasion du dernier scrutin présidentiel. Le plus impressionnant dans la mutation en cours est sans conteste l'élection, jeudi 16 novembre, d'un opposant, Valentin Paniagua, à la présidence du Congrès, par 64 voix contre 51. Ce choix des parlementaires constitue un revers sans précédent pour la coalition au pouvoir de M. Fujimori, qui considérait il y a encore peu cette assemblée comme une simple chambre d'enregistrement. La motion de censure adoptée lundi par le Congrès avait conduit l'ancienne présidente, Martha Hildebrandt, surnommée la « dame de fer d'Alberto Fujimori », à démissionner. Cette élection ouvre également la voie à une large enquête sur le président et à sa déchéance par les parlementaires pour « incapacité morale ». S'il semble avéré que MM. Fujimori et Montesinos ont été lâchés par leurs anciens alliés, les raisons de leur chute sont encore troubles. Ce qui demeure obscur, ce sont les termes de l'affrontement qui a opposé le pouvoir militaire, les services de renseignement et le pouvoir civil, dirigé, en théorie, par M. Fujimori. Les fuites qui ont rendu publique la vidéo montrant l'ancien conseiller du président en train de corrompre le parlementaire Alberto Kouri sont les mêmes que celles qui ont abouti à la divulgation des multiples comptes bancaires de M. Montesinos. Toutes les hypothèses sont encore ouvertes : dissensions au sein des services de renseignement, du commandement militaire, voire vengeance de la CIA, qui n'aurait pas apprécié l'implication supposée de Vladimiro Montesinos dans la vente d'armes à la guérilla colombienne.

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