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« Ce n’est qu’une poésie burlesque, je crains, dénaturée dans la mémoire des vieilles. Je laisse à votre jugement d’en interpréter le sens, s’il y en a un. Mais les vieilles gens se servent toujours d’une infusion de cette herbe contre les maux de tête. »

Publié le 29/03/2014

Extrait du document

« Ce n’est qu’une poésie burlesque, je crains, dénaturée dans la mémoire des vieilles. Je laisse à votre jugement d’en interpréter le sens, s’il y en a un. Mais les vieilles gens se servent toujours d’une infusion de cette herbe contre les maux de tête. «

« Eh bien, au nom du roi, trouvez-moi quelque vieux de moins de savoir et de plus de sagesse qui en conserve dans sa maison ! « s’écria Gandalf.

Aragorn s’agenouilla alors au chevet de Faramir et posa une main sur son front. Et ceux qui observaient sentirent qu’une grande lutte se déroulait. Car le visage d’Aragorn devint gris de fatigue, et de temps en temps il prononçait le nom de Faramir, mais chaque fois de façon moins audible, comme si lui-même était éloigné des assistants et marchait à distance dans quelque sombre vallée, appelant quelqu’un de perdu.

Enfin, Bergil entra en courant, et il portait six feuilles dans un linge. « C’est de la feuille de roi, Monsieur, dit-il, mais pas fraîche, je crains. Elle doit avoir été cueillie il y a au moins deux semaines. J’espère que cela pourra servir, Monsieur ? « Puis, regardant Faramir, il fondit en larmes.

Mais Aragorn sourit. « Cela servira, dit-il. Le pis est maintenant passé. Restez et reprenez courage ! « Il saisit deux feuilles, qu’il déposa dans le creux de sa main, et il souffla alors dessus, puis les écrasa, et aussitôt une fraîcheur vivante emplit la pièce, comme si l’air même s’éveillait et picotait, pétillant de joie. Il jeta ensuite les feuilles dans les récipients d’eau bouillante qu’on lui avait apportés, et tous les coeurs furent immédiatement soulagés. Car la fragrance qui vint à chacun était comme un souvenir de matins humides de rosée par un soleil sans voile en quelque terre dont le monde au printemps ne serait lui-même qu’un souvenir éphémère. Mais Aragorn se redressa comme rafraîchi et ses yeux souriaient tandis qu’il tenait un des récipients devant le visage de Faramir plongé dans le rêve.

« Ah ça ! qui l’aurait cru ? dit Ioreth à une femme qui se tenait près d’elle. Cette herbe est meilleure que je ne le pensais. Elle me rappelle les roses d’Imloth Melui quand j’étais gamine et nul roi ne pourrait désirer mieux. «

Soudain, Faramir bougea, il ouvrit les yeux et regarda Aragorn qui se penchait sur lui, une lueur de reconnaissance et d’amour était dans ses yeux, et il parla doucement. « Vous m’avez appelé, mon Seigneur. Je viens. Qu’ordonne le roi ? «

« Ne marchez plus dans les ombres, mais réveillez-vous ! dit Aragorn. Vous êtes fatigué. Reposez-vous un moment, prenez quelque nourriture et soyez prêt pour mon retour. «

« Oui, Seigneur, dit Faramir. Car qui resterait couché dans l’inaction quand le roi est revenu ? «

« Adieu donc pour le moment ! dit Aragorn. Je dois aller vers d’autres qui ont besoin de moi. « Et il quitta la chambre avec Gandalf et Imrahil, mais Beregond et son fils restèrent derrière, incapables de contenir leur joie. Comme Pippin suivait Gandalf et refermait la porte, il entendit Ioreth s’exclamer :

« Le roi ! Vous avez entendu ? Que disais-je ? Les mains d’un guérisseur, avais-je dit. « Et bientôt la nouvelle partit de la Maison que le roi était en vérité venu parmi eux et qu’après la guerre il apportait la guérison, et l’information se répandit dans la Cité.

Mais Aragorn se rendit auprès d’Eowyn, et il dit : « Il y a ici une blessure grave et un coup sévère avec toute l’habileté voulue et il se réparera avec le temps, si elle a la force de survivre. C’est le bras qui portait le bouclier qui est estropié, mais le mal principal vient du bras qui tenait l’épée. Dans celui-là, il semble n’y avoir plus aucune vie, bien qu’il n’ait pas été brisé.

« Hélas ! elle était aux prises avec un adversaire trop puissant pour la force de son esprit et de son corps. Et qui manie une arme contre pareil ennemi doit être plus dur que l’acier pour que le choc même ne le détruise pas. Ce fut un destin funeste qui la plaça sur son chemin. Car c’est une belle jeune fille, la plus belle d’une maison de reines. Et pourtant je ne sais en quels termes je dois parler d’elle. La première fois que je l’ai regardée et que j’ai perçu sa tristesse, il m’a semblé voir une fleur blanche dressée, droite et fière, belle comme un lis, tout en sachant cependant qu’elle était dure, comme forgée dans l’acier par les ouvriers elfes. Ou était-ce, peut-être, un froid qui avait mué sa sève en glace, et se tenait-elle ainsi, douce-amère, encore belle à voir, mais frappée, sur le point de tomber et de mourir ? Sa maladie remonte à bien avant ce jour, n’est-ce pas, Eomer ? «

« Je m’étonne que vous me le demandiez, seigneur, répondit-il. Car je vous tiens pour irrépréhensible en cette affaire comme en toutes autres, mais je ne sache pas qu’Eowyn, ma soeur, ait été touchée par aucun gel jusqu’au jour où elle vous vit. Elle éprouvait du souci et de la crainte, qu’elle partageait avec moi, du temps de Langue de Serpent et de l’ensorcellement du roi, et elle soignait celui-ci avec une peur croissante. Mais cela ne l’avait pas amenée à cet état ! «

« Mon ami, dit Gandalf, vous aviez des chevaux, des faits d’armes et des champs libres, mais elle, née dans le corps d’une vierge, avait un esprit et un courage au moins égaux aux vôtres. Elle était cependant condamnée à servir un vieillard, qu’elle aimait comme son père, et à le regarder tomber, perdu d’honneur, dans un méprisable gâtisme, et son rôle lui paraissait encore plus vil que celui du bâton sur lequel il s’appuyait.

« Pensez-vous que Langue de Serpent n’avait de poison que pour les seules oreilles de Théoden ? Gâteux ! Qu’est-ce que la maison d’Eorl, sinon une grange couverte de chaume où les brigands boivent dans les relents, tandis que leur marmaille se roule sur le sol parmi les chiens ? N’avez-vous pas déjà entendu ces mots ? C’est Saroumane, le maître de Langue de Serpent, qui les prononça. Encore que Langue de Serpent dût à la maison en envelopper le sens de termes plus habiles, je n’en doute pas. Mon Seigneur, si l’amour de votre soeur pour vous et sa volonté toujours vouée à son devoir n’avaient retenu sa langue, vous auriez pu en entendre échapper même

de pareilles choses. Mais qui sait ce qu’elle disait aux ténèbres, seule, dans les amères veilles de la nuit, lorsque toute sa vie semblait s’étriquer et les murs de son appartement se resserrer autour d’elle, comme une cage pour retenir quelque bête sauvage ? «

Eomer se tut et contempla sa soeur comme s’il se remémorait tous les jours de leur vie passée en commun. Mais Aragorn dit : « J’ai vu aussi ce que vous avez vu, Eomer. Peu d’autres chagrins parmi les mauvaises fortunes de ce monde offrent plus d’amertume et de doute au coeur d’un homme que la vue de l’amour d’une dame aussi belle et aussi vaillante, auquel il ne peut répondre. La tristesse et la pitié m’ont suivi depuis le jour où je la laissai désespérée à Dunharrow pour aller aux Chemins des Morts, et nulle crainte sur cette route ne fut aussi présente que celle de ce qui pourrait lui arriver. Et pourtant, Eomer, je vous le dis, elle vous aime d’un amour plus véritable que celui qu’elle me porte, car elle vous aime et elle vous connaît, mais en moi, elle n’aime qu’une ombre et une pensée : un espoir de gloire et de hauts faits et des terres loin des champs de Rohan.

« Peut-être ai-je le pouvoir de guérir son corps et de la rappeler de la sombre vallée. Mais à quoi elle s’éveillera : espoir, oubli ou désespoir, je l’ignore. Et si c’est au désespoir, elle mourra, à moins que ne vienne une autre guérison que je ne puis lui apporter. Hélas ! car ses exploits l’ont mise au rang des reines de grand renom. «

Aragorn se pencha alors et observa le visage d’Eowyn, et celui-ci avait en vérité la blancheur d’un lis, la froideur du gel et la dureté d’une pierre taillée. Mais, se courbant, il lui baisa le front et l’appela doucement, disant :

« Eowyn fille d’Eomund, éveillez-vous ! Car votre ennemi est mort ! «

Elle ne fit aucun mouvement, mais elle recommença à respirer profondément, de sorte que sa poitrine s’élevait et retombait sous la toile blanche du drap. De nouveau, Aragorn écrasa deux feuilles d’athelas et les jeta dans l’eau fumante, et il lui en baigna le front et le bras droit qui reposait, froid et inerte, sur le couvre-lit.

Alors, soit qu’Aragorn eût en vérité un pouvoir oublié venu de l’Ouistrenesse, soit que ce fût seulement ses mots sur la Dame Eowyn qui agissaient sur eux, comme la douce influence de l’herbe se répandait dans la pièce, il parut à ceux qui étaient là qu’un vent vif soufflait par la fenêtre, et il ne portait aucune senteur, mais c’était un air entièrement frais, net et jeune, comme s’il n’avait été respiré par aucun être vivant et venait vierge des montagnes neigeuses haut sous une voûte d’étoiles, ou de lointains rivages d’argent lavés par des vagues écumantes.

« Éveillez-vous, Eowyn, Dame de Rohan ! « répéta Aragorn, il prit sa main droite dans la sienne, et il y sentit revenir la chaleur de la vie. « Éveillez-vous ! L’ombre est partie et toute l’obscurité a été balayée ! « Puis il mit la main d’Eowyn dans celle d’Eomer et s’écarta. « Appelez-la ! « dit-il, et il sortit silencieusement de la chambre.

« Eowyn, Eowyn ! cria Eomer au milieu de ses larmes. Mais elle ouvrit les yeux et dit : « Eomer ! Quelle est donc cette joie ? On avait dit que tu avais été tué. Non, ce n’étaient que les sombres voix de mon rêve. Pendant combien de temps ai-je rêvé ? «

« Pas longtemps, ma soeur, dit Eomer. Mais n’y pense plus ! «

« Je suis étrangement lasse, dit-elle. Il me faut me reposer un peu. Mais dis-moi, qu’en est-il du Seigneur de la Marche ? Hélas ! Ne me dis pas que cela, c’était un rêve, car je sais qu’il n’en est rien. Il est mort, comme il le prévoyait. «

« Il est mort, dit Eomer, mais il m’a chargé de dire adieu à Eowyn, plus chère qu’une fille. Il gît en grand honneur dans la Citadelle de Gondor. «

« La nouvelle est douloureuse, dit-elle. Et pourtant il est suprêmement bon d’avoir osé espérer durant les jours sombres, quand il semblait que l’honneur de la Maison d’Eorl était tombé au-dessous de celui de la dernière cabane de berger. Et qu’est-il advenu de l’écuyer du roi, le Semi-Homme ? Il faut en faire un chevalier de Riddermark, Eomer, car il est vaillant ! «

« Il est étendu non loin dans cette Maison, et je vais aller le trouver, dit Gandalf. Eomer va rester ici un moment. Mais attendez pour parler de guerre ou de malheur d’être tout à fait rétablie. C’est une grande joie de vous voir revenir à la santé et à l’espoir, une si vaillante dame ! «

« À la santé ? dit Eowyn. Peut-être. Au moins tant qu’il y aura une selle laissée vacante par quelque cavalier tombé que je pourrai remplacer, et des exploits à accomplir. Mais à l’espoir ? Je ne sais. «

Gandalf et Pippin arrivèrent à la chambre de Merry, où ils trouvèrent Aragorn près du lit. « Pauvre vieux Merry ! « s’écria Pippin, et il courut au chevet de son ami, car il lui semblait que l’état de celui-ci avait empiré, une teinte grise s’étendait sur le visage, comme sous l’effet d’années de chagrin, et Pippin fut soudain saisi de la peur que Merry ne mourût.

« N’ayez aucune crainte, dit Aragorn. Je suis arrivé à temps, et je l’ai rappelé. Il est fatigué en ce moment, et affligé, et il a reçu une blessure semblable à celle de la Dame Eowyn en osant frapper cette mortelle créature. Mais ces maux sont réparables, tant sont grandes sa force et sa gaieté. Il n’oubliera pas son chagrin, mais celui-ci n’assombrira pas son coeur et lui enseignera simplement la sagesse. «

Aragorn posa alors la main sur la tête de Merry et, la passant doucement parmi les boucles brunes, il toucha les paupières, l’appelant par son nom. Et quand la fragrance de l’athelas se répandit dans la pièce, telle la senteur des vergers et de la bruyère à la lumière du soleil plein d’abeilles, Merry se réveilla soudain et dit :

« J’ai faim. Quelle heure est-il ? «

« Celle du souper est passée, dit Pippin, mais je suppose que je pourrai t’apporter quelque chose, s’ils le permettent. «

« Ils le permettent bien certainement, dit Gandalf. Et toute autre chose que ce Cavalier de Rohan pourrait désirer, pourvu qu’on puisse la trouver dans Minas Tirith, où son nom est en grand honneur. «

« Bon ! dit Merry. Eh bien, j’aimerais d’abord un souper et après cela une pipe. « Mais un nuage passa sur son visage. « Non, pas de pipe. Je ne crois pas que je refumerai jamais. «

« Pourquoi donc ? « demanda Pippin.

« Eh bien, répondit lentement Merry. Il est mort. Cela m’a tout remis en mémoire. Il a dit qu’il regrettait de n’avoir jamais eu le loisir de parler science des herbes avec moi. C’est presque la dernière chose qu’il m’ait dite. Je ne pourrai plus jamais fumer sans penser à lui et à ce jour, Pippin, où il est venu à cheval à l’Isengard et où il fut si poli. «

« Dans ce cas, fumez et pensez à lui ! dit Aragorn. Car c’était un coeur noble et un grand roi, et il tenait ses serments, et il s’est levé des ombres pour une dernière belle matinée. Malgré la brièveté de votre service auprès de lui, ce devrait vous être un souvenir heureux et honorable jusqu’à la fin de vos jours. «

Merry sourit. « Eh bien, dit-il, si Grands-Pas veut bien fournir le nécessaire, je fumerai et penserai. J’avais de la meilleure herbe de Saroumane dans mon paquetage, mais je ne sais sûrement pas ce qu’il en est advenu dans la bataille. «

« Maître Meriadoc, dit Aragorn, si vous imaginez que j’ai traversé les montagnes et le royaume de Gondor par le fer et par le feu à seule fin d’apporter des herbes à un soldat insouciant qui jette son équipement, vous vous trompez. Si votre paquetage n’a pas été retrouvé, il vous faudra faire mander le maître des herbes de cette Maison. Et il vous dira qu’il ne savait pas que l’herbe que vous désirez avait aucunes vertus, mais qu’elle est appelée herbe aux Ouistriens par le vulgaire, galenas par les nobles, et qu’elle a d’autres noms en d’autres langues plus savantes, et après avoir ajouté quelques vers à demi oubliés qu’il ne comprend pas, il vous informera avec regret qu’il n’y en a pas dans la Maison, et il vous laissera à vos réflexions sur l’histoire des langues. Et c’est ce que je dois faire également. Car je n’ai pas dormi dans un lit tel que celui-ci depuis mon départ de Dunharrow, ni rien mangé depuis les ténèbres avant l’aube. «

Merry saisit sa main et la baisa. « Je suis affreusement navré, dit-il. Partez tout de suite ! Depuis cette nuit même de Bree, nous n’avons fait que vous gêner. Mais c’est la façon des miens d’user de paroles légères en de tels moments et d’en dire moins qu’ils ne pensent. Nous craignons d’en dire trop. Cela nous prive des mots justes quand la plaisanterie n’est pas de mise. «

« Je sais cela fort bien, sans quoi je ne vous traiterais pas de la même façon, dit Aragorn. Puisse la Comté vivre à jamais dans toute sa fraîcheur ! « Et, après avoir embrassé Merry, il sortit, suivi de Gandalf.

Pippin demeura là. « Eut-il jamais son pareil ? dit-il. Excepté Gandalf, bien sûr. Je pense qu’ils doivent être parents. Pauvre benêt, ton paquetage est à côté de ton lit, et tu l’avais sur le dos quand je t’ai rencontré. Il le voyait tout le temps, évidemment. Et en tout cas, j’ai moi-même de quoi bourrer ta pipe. Allons ! C’est de la Feuille de Longoulet. Bourre-t’en une pendant que je courrai chercher de quoi manger. Et puis détendons-nous un peu. Mon Dieu ! Nous autres Touque et Brandebouc, nous ne pouvons pas vivre longtemps sur les hauteurs. «

« Non, dit Merry, moi je ne peux pas. Pas encore, en tout cas. Mais au moins, Pippin, pouvons-nous maintenant les voir et les honorer. Mieux vaut aimer d’abord de ce qu’on est fait pour aimer, je suppose, il faut commencer quelque part et avoir des racines, et la terre de la Comté est profonde. Il y a cependant des choses plus profondes et plus hautes, et sans elles pas un ancien ne pourrait soigner son jardin en ce qu’il appelle paix, qu’il en ait entendu parler ou non. Je suis heureux de les connaître, un peu. Mais je me demande pourquoi je dis cela. Où est cette feuille ? Et sors ma pipe de mon paquetage, si elle n’est pas brisée. «

Aragorn et Gandalf se rendirent alors auprès du Gardien des Maisons de Guérison, et ils lui recommandèrent que Faramir et Eowyn restent là pour recevoir des soins attentifs pendant bien des jours encore.

« La Dame Eowyn, dit Aragorn, voudra bientôt se lever et partir, mais il ne faudra pas la laisser faire si vous pouvez la retenir en aucune façon, pendant une dizaine de jours au moins. «

« Quant à Faramir, dit Gandalf, il faudra bientôt lui apprendre la mort de son père. Mais il ne faudra pas lui faire tout le récit de la folie de Denethor avant qu’il ne soit tout à fait remis et qu’il ait des devoirs à remplir. Veillez à ce que Beregond et le perian, qui y ont assisté, ne lui parlent pas encore de ces choses ! «

« Et l’autre perian, Meriadoc, qui est à mes soins, qu’en est-il de lui ? « demanda le Gardien.

« Il est probable qu’il sera en état de se lever demain, pour un petit moment, dit Aragorn. Laissez-le faire, s’il le désire. Il pourra marcher un peu avec l’aide de ses amis. «

« C’est une race remarquable, dit le Gardien, hochant la tête. D’une trempe coriace, à mon avis. «

Beaucoup de gens étaient rassemblés aux portes des Maisons pour voir Aragorn, et ils le suivirent, et quand il eut enfin soupé, des hommes vinrent le prier de guérir leurs parents ou leurs amis dont la vie était en danger à la suite de contusions ou de blessures ou qui restaient sous l’Ombre Noire. Aragorn se leva et sortit, il envoya quérir les fils d’Elrond, et ensemble ils peinèrent tard dans la nuit. Et la nouvelle courut la Cité : « En vérité, le Roi est revenu. « Et ils le nommèrent « Pierre elfique «, à cause de la pierre verte qu’il portait, et ainsi le nom

« de pareilles choses.

Mais qui sait ce qu’elle disait aux ténèbres, seule, dans les amères veilles de la nuit, lorsque toute sa vie semblait s’étriquer et les murs de son appartement se resserrer autour d’elle, comme une cage pour retenir quelque bête sauvage ? » Eomer se tut et contempla sa sœur comme s’il se remémorait tous les jours de leur vie passée en commun.

Mais Aragorn dit : « J’ai vu aussi ce qu e vous avez vu, Eomer.

Peu d’autres chagrins parmi les mauvaises fortunes de ce monde offrent plus d’amertume et de doute au cœur d’un homme que la vue de l’amour d’une dame aussi belle et aussi vaillante, auquel il ne peut répondre.

La tristesse et la pit ié m’ont suivi depuis le jour où je la laissai désespérée à Dunharrow pour aller aux Chemins des Morts, et nulle crainte sur cette route ne fut aussi présente que celle de ce qui pourrait lui arriver.

Et pourtant, Eomer, je vous le dis, elle vous aime d’un amour plus véritable que celui qu’elle me porte, car elle vous aime et elle vous connaît, mais en moi, elle n’aime qu’une ombre et une pensée : un espoir de gloire et de hauts faits et des terres loin des champs de Rohan.

« Peut -être ai -je le pouvoir de g uérir son corps et de la rappeler de la sombre vallée.

Mais à quoi elle s’éveillera : espoir, oubli ou désespoir, je l’ignore.

Et si c’est au désespoir, elle mourra, à moins que ne vienne une autre guérison que je ne puis lui apporter.

Hélas ! car ses expl oits l’ont mise au rang des reines de grand renom. » Aragorn se pencha alors et observa le visage d’Eowyn, et celui- ci avait en vérité la blancheur d’un lis, la froideur du gel et la dureté d’une pierre taillée.

Mais, se courbant, il lui baisa le front et l’appela doucement, disant : « Eowyn fille d’Eomund, éveillez -vous ! Car votre ennemi est mort ! » Elle ne fit aucun mouvement, mais elle recommença à respirer profondément, de sorte que sa poitrine s’élevait et retombait sous la toile blanche du drap.

De nouveau, Aragorn écrasa deux feuilles d’athelas et les jeta dans l’eau fumante, et il lui en baigna le front et le bras droit qui reposait, froid et inerte, sur le couvre -lit.

Alors, soit qu’Aragorn eût en vérité un pouvoir oublié venu de l’Ouistrenesse, s oit que ce fût seulement ses mots sur la Dame Eowyn qui agissaient sur eux, comme la douce influence de l’herbe se répandait dans la pièce, il parut à ceux qui étaient là qu’un vent vif soufflait par la fenêtre, et il ne portait aucune senteur, mais c’étai t un air entièrement frais, net et jeune, comme s’il n’avait été respiré par aucun être vivant et venait vierge des montagnes neigeuses haut sous une voûte d’étoiles, ou de lointains rivages d’argent lavés par des vagues écumantes. « Éveillez -vous, Eowyn, Dame de Rohan ! » répéta Aragorn, il prit sa main droite dans la sienne, et il y sentit revenir la chaleur de la vie.

« Éveillez -vous ! L’ombre est partie et toute l’obscurité a été balayée ! » Puis il mit la main d’Eowyn dans celle d’Eomer et s’écarta.

« Appelez -la ! » dit -il, et il sortit silencieusement de la chambre.

« Eowyn, Eowyn ! cria Eomer au milieu de ses larmes.

Mais elle ouvrit les yeux et dit : « Eomer ! Quelle est donc cette joie ? On avait dit que tu avais été tué.

Non, ce n’étaient que les s ombres voix de mon rêve.

Pendant combien de temps ai - je rêvé ? » « Pas longtemps, ma sœur, dit Eomer.

Mais n’y pense plus ! » « Je suis étrangement lasse, dit -elle.

Il me faut me reposer un peu.

Mais dis -moi, qu’en est - il du Seigneur de la Marche ? Hélas ! Ne me dis pas que cela, c’était un rêve, car je sais qu’il n’en est rien.

Il est mort, comme il le prévoyait. » « Il est mort, dit Eomer, mais il m’a chargé de dire adieu à Eowyn, plus chère qu’une fille.

Il gît en grand honneur dans la Citadelle de Gondo r.

» « La nouvelle est douloureuse, dit - elle.

Et pourtant il est suprêmement bon d’avoir osé espérer durant les jours sombres, quand il semblait que l’honneur de la Maison d’Eorl était tombé au -dessous de celui de la dernière cabane de berger.

Et qu’est -il advenu de l’écuyer du roi, le Semi -Homme ? Il faut en faire un chevalier de Riddermark, Eomer, car il est vaillant ! » « Il est étendu non loin dans cette Maison, et je vais aller le trouver, dit Gandalf.

Eomer va rester ici un moment.

Mais attendez pour parler de guerre ou de malheur d’être tout à fait rétablie.

C’est une grande joie de vous voir revenir à la santé et à l’espoir, une si vaillante dame ! » « À la santé ? dit Eowyn.

Peut -être.

Au moins tant qu’il y aura une selle laissée vacante par quelque cavalier tombé que je pourrai remplacer, et des exploits à accomplir.

Mais à l’espoir ? Je ne sais.

» Gandalf et Pippin arrivèrent à la chambre de Merry, où ils trouvèrent Aragorn près du lit.

« Pauvre vieux Merry ! » s’écria Pippin, et il courut au chevet de son ami, car il lui semblait que l’état de celui- ci avait empiré, une teinte grise s’étendait sur le visage, comme sous l’effet d’années de chagrin, et Pippin fut soudain saisi de la peur que Merry ne mourût. « N’ayez aucune crainte, dit Aragorn.

Je suis arrivé à temps, et je l’ai rappelé.

Il est fatigué en ce moment, et affligé, et il a reçu une blessure semblable à celle de la Dame Eowyn en osant frapper cette mortelle créature.

Mais ces maux sont réparables, tan t sont grandes sa force et sa gaieté.

Il n’oubliera pas son chagrin, mais celui- ci n’assombrira pas son cœur et lui enseignera simplement la sagesse. » Aragorn posa alors la main sur la tête de Merry et, la passant doucement parmi les boucles brunes, il to ucha les paupières, l’appelant par son nom.

Et quand la fragrance de l’athelas se répandit dans la pièce, telle la senteur des vergers et de la bruyère à la lumière du soleil plein d’abeilles, Merry se réveilla soudain et dit : « J’ai faim.

Quelle heure es t- il ? ». »

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