Cette ville sauvée deux fois ...
Publié le 17/01/2022
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23 novembre 1944 - Le 22 novembre 1918, les troupes françaises entraient à Strasbourg. Vingt-six ans-et un jour-plus tard, le 23 novembre 1944, les blindés de la 2e DB pénétraient dans la capitale alsacienne au terme d'une chevauchée bien dans la manière de Philippe de Hautecloque, dit Leclerc, cavalier, chasseur et fonceur.
En 1944, les forces françaises étaient insérées dans une hiérarchie américaine qui remontait jusqu'au commandant suprême des forces alliées, le général Dwight Eisenhower. Sans difficulté lorsqu'il s'agit de libérer Strasbourg. Avec de graves dissension lorsqu'il faudra la garder.
La Ire armée française du général le Lattre de Tassigny appartient au groupe d'armées du général Jacob Devers, de même que la VIIe armée américaine du général Patch, au 17e corps de laquelle était rattachée la 2e division blindée de Leclerc. En octobre 1944, les forces de Devers butent sur les Vosges que tiennent solidement les allemands. De Lattre, avec huit divisions, contourne le massif par le sud, libère Mulhouse et Altkirch et encercle les forces ennemies entre Belfort et le chef-lieu du Bas-Rhin. Plus au nord, la division nord-africaine du général Guillaume prend Gérardmer et les cols de la Schlucht et de Bussang. Le Rhin est atteint, mais l'offensive achoppe devant ce qui devient la poche de Colmar.
Strasbourg ne peut être atteint que par le nord.
La VIIe armée américaine de Patch a progressé en Lorraine.
Deux de ses divisions d'infanterie, la 79e et la 44e, poussent, la première à l'ouest, la seconde à l'est de la route nationale n° 4 Nancy-Saverne-Strasbourg.
La 2e DB, qui a pris Baccarat le 31 octobre, doit tenter la percée.
Le 19 novembre, les allemands décrochent devant l'infanterie américaine. Leclerc est à Cirey. Parti le jour même, le groupement tactique du colonel de Langlade, avec ses deux sous-groupements Mijonnet et Massu, passera par les contreforts des Vosges et, par des routes de montagne, prendra le col de Valsberg. Le groupement Dio avec Rouvillois et Quilichini, par le nord-est, contournera Sarrebourg, atteindra la plaine d'Alsace et se rabattra sur Saverne, où il fera sa jonction avec Langlade et sera rejoint par le groupement Billotte.
Les blindés français sont maintenant dont la plaine d'Alsace. Le 23, à 7 h 15, Leclerc les lance vers la ville par tous les itinéraires disponibles. Trois quarts d'heure plus tard, les chars du 3e escadron du régiment blindé des fusiliers marins pénètrent dans une ville stupéfaite et se trouvent nez à nez avec des tramways d'où s'échappent des soldats allemands affolés.
Aux portes de Strasbourg, quelques accrochages ont eu lieu. Les Allemands tiennent toujours les forts qui portent les noms de Rapp, Foch, Joffre, Pétain... C'est dans le fort Ney, où il s'est réfugié, que le général Valterrodt, gouverneur militaire, capitule, deux jours plus tard, après avoir demandé un simulacre de combat, " pour l'honneur ".
La rencontre de Gaulle-Eisenhower
Leclerc peut faire son entrée dans la ville et se rendre à l'hôtel de ville. Le serment de Koufra a été tenu.
De Gaulle, aussitôt averti, se rend à l'Assemblée consultative et lui annonce la nouvelle : " Un frisson, écrira-t-il en deux phrases typiquement gaulliennes, parcourt l'assistance, élevée soudain tout entière au-dessus d'un quelconque débat. Les armes ont cette vertu de susciter, l'unanimité française. " Mais Strasbourg reste menacée. A Noël, le maréchal Von Rundstedt perce le front allié dans les Ardennes, et les forces allemandes lancent des attaques en Lorraine et vers Haguenau. Eisenhower veut abandonner cette position aventureuse et ramener ses lignes sur les Vosges, Ire armée française comprise. Himmler, nommé par Hitler responsable militaire et politique de l'Alsace, va-t-il rentrer à Strasbourg, défendue par la brigade Alsace-Lorraine, les maquisards mal armés qu'avait regroupés André Malraux ?
De Gaulle intime à de Lattre l'ordre d'inclure la ville dans son secteur alors qu'elle est, en principe, dans celui de l'armée Patch, de refuser le repli déjà ordonné par Devers et de défendre Strasbourg à tout prix. Il alerte Roosevelt et Churchill.
Le 2 janvier 1945, il se rend au quartier général d'Eisenhower, à Versailles. Churchill est là. Il sait lui, la valeur symbolique de Strasbourg. Le commandant suprême énumère les motifs militaires de sa décision. Pour la France, répond de Gaulle, ce serait un désastre. Argument politique, rétorque Eisenhower, " basé sur le sentiment et non sur la logique et le bon sens ". " Les armées sont faites pour servir la politique des Etats ", dit le Français. Churchill opine.
Bon, dit " Ike ", mais une armée française " indépendante " ne recevra ni carburant ni munitions. Dangereuse mesure, réplique de Gaulle, " le peuple français pourrait bien retirer (aux alliés), dans sa fureur, l'utilisation des chemins de fer et des transmissions indispensables aux opérations ". Echec et mat, le commandant suprême s'incline. Il téléphone à Devers d'arrêter le repli sur les Vosges. De Lattre jette dans la ville la division marocaine de Guillaume. Strasbourg est sauvée pour la deuxième fois.
JEAN PLANCHAIS
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