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Comment les "diamants de sang" financent les guerres africaines

Publié le 17/01/2022

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15 juin 2000 "Un chef doit toujours être un poète. Il doit parler au nom des dieux, des génies et des esprits de la mort", philosophait le sergent Learoyd, héros de L'Adieu au Roi, de Pierre Schoendorfer, qui , dans la brousse , s'était taillé un royaume à sa mesure. Le président du Zimbabwe, Robert Mugabe, n'a probablement pas une telle ambition poétique, lui qui vient d'obtenir deux belles concessions de diamants en République démocratique du Congo (RDC, ex-Zaïre), en paiement de son soutien militaire au régime du président Laurent-Désiré Kabila , en guerre contre ses opposants intérieurs et les Etats qui les soutiennent (Ouganda, Rwanda), lesquels contrôlent l'est et le nord- ouest du pays. L'exploitation de la mine de Tshibua et des dépôts alluviaux de la rivière Senga-Senga, dans le Kasaï-Oriental, sur une étendue de 500 km2, a ainsi été confiée au consortium Oryx Diamonds. Cette entreprise regroupe l'Osleg, pôle industriel de l'armée du Zimbabwe, Cosleg, son alter ego en RDC, contrôlé par le régime Kabila, et des intérêts omanais. Elle est une filiale de Petra Diamonds, petite société minière sud-africaine, à laquelle est notamment associée une firme minière établie par des mercenaires combattant en Sierra Leone. Selon le Mining Journal de Londres du 26 mai, Oryx percevra 40 % des bénéfices à venir, les Zimbabwéens 40 % et la société de M. Kabila 20 %. Le projet de cotation d'Oryx, le 13 juin, sur l'Alternative Investment Market, équivalent londonien du second marché parisien, a mis en émoi la City. "Que se passera-t-il avec un contrat en cas de changement de gouvernement [dans l'un ou l'autre des pays concernés] ? Et acheter de tels titres sur ce marché pose un problème éthique, puisque l'investisseur finance indirectement une guerre civile ", affirme John Clemmow, spécialiste de l'Afrique chez le courtier Investec. Mais plus qu'une affaire financière, la controverse Oryx tourne à Londres à l'affaire d'Etat. Car cette coentreprise a été ouvertement créée pour faire payer, faute de liquide, la facture du soutien militaire d'Harare au gouvernement de M. Kabila. Par ailleurs, le parti du président Mugabe, l'Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique (ZANU-PF), principal actionnaire d'Osleg, avec l'armée zimbabwéenne, est aussi le fer de lance de l'occupation de fermes de Blancs par des "vétérans " de la guerre d'indépendance. Enfin, à en croire l'ONG britannique Global Witness, la concession confiée à Oryx a été retirée autoritairement par M. Kabila à la société d'Etat Minière de Bakwanga (Miba). Cette affaire intervient alors que la communauté internationale s'efforce d'endiguer le commerce des diamants de "sang", utilisés pour financer les guerres en Afrique. A l'instar du pétrole et de l'or dans les années 70-80, les pierres de feu sont désormais devenues le nerf de la guerre à l'échelle du continent noir, favorisant les dérives sanglantes. Les protagonistes se servent des zones diamantifères qu'ils contrôlent pour acheter des armes. Jadis le Liberia, l'ex-Rhodésie, la Namibie ou le Zaïre du maréchal Mobutu ont été en proie à de tels conflits. De nos jours, c'est le cas de l'Angola, de la Sierra Leone et de la RDC. CODE DE CONDUITE Aujourd'hui, la campagne engagée par Global Witness contre les "diamants de conflits" a trouvé un écho auprès des gouvernants. Au nom de la diplomatie "éthique", la Grande- Bretagne travailliste a mis la création d'un code de conduite des achats de diamants à l'ordre du jour de la prochaine réunion des ministres des finances du G 8, au Japon en juillet, dans l'espoir de tarir la source de pierres illicites. A Washington, des auditions ont été organisées le mois dernier par la Commission des relations internationales de la Chambre des représentants. L'ONU, elle, a enquêté sur le trafic qui alimente l'effort de guerre de l'Unita, le mouvement rebelle de Jonas Savimbi en Angola. Le conglomérat sud-africain De Beers, maître jusqu'ici du marché mondial, n'est pas en reste (lire ci-dessous). Il a gelé ses achats en provenance d'Angola et a fermé son bureau de Freetown, capitale de la Sierra Leone. La firme, qui contrôle 65 % du diamant mondial, étudie l'introduction d'un certificat de "garantie de provenance" pour calmer les appréhensions des acheteurs. Plus qu'une réforme, une révolution pour cette impérieuse entreprise qui, jusqu'à présent, ne se souciait guère d'éthique commerciale. Sous le régime de l'apartheid en Afrique du Sud, la De Beers avait fermé les yeux sur le trafic qui permettait aux alliés africains de Pretoria de s'approvisionner en armes. Mais, avec l'avènement du pouvoir noir, les pressions des investisseurs institutionnels et l'effort de lobbying des ONG, le géant sud-africain a été contraint de sortir de son immobilisme. "La compagnie craint par- dessus tout une réaction hostile des consommateurs contre les diamants, particulièrement aux Etats-Unis, premier marché au monde des ventes de bijoux, comme ce fut le cas avec la fourrure", souligne le spécialiste londonien Mark Cockle. Une mobilisation générale donc, mais pour quels résultats ? Les circuits de blanchiment, via les pays limitrophes, sont bien organisés. Libanais en Afrique de l'Ouest, Belges dans la région des Grands Lacs et Israéliens en Afrique australe : la puissance des intermédiaires et l'efficacité des systèmes de contrebande sont des obstacles redoutables à la lutte contre ce fléau. Le plus souvent, les diamants font sans problème l'aller et retour entre le pays producteur et un paradis fiscal, avec la complicité des centres de taille (Anvers, Tel-Aviv, etc.) et des banques diamantaires. Ainsi Oryx est domiciliée dans les îles Caïmans, et Petra est immatriculée aux Bermudes. Les experts s'interrogent sur la nature exacte d'Oryx, dont le prospectus, remis à la Bourse de Londres, évoque des gisements de qualité supérieure. Or la production du Kasaï est de piètre qualité, dite industrielle, et destinée à la petite joaillerie. A Londres, on murmure qu'Oryx ne serait qu'une coquille vide, destinée à blanchir les diamants angolais, qui comptent parmi les plus belles gemmes brutes du monde. MARC ROCHE Le Monde du 2 juin 2000

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