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Corse : jacobins, ne tuez pas la paix !

Publié le 17/01/2022

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28 juillet 2000 C 'est une affaire entendue, les Français en ont assez des problèmes corses. Cela ne veut pas dire qu'ils en aient assez des Corses eux-mêmes, mais on commence à gommer un peu trop la différence. C'est aussi une affaire entendue : la justice doit être sans faiblesse, comme la police. Les assassins doivent être arrêtés et punis, et l'Etat fut trop faible. Cela étant dit, je suis sidéré et, maintenant, très alarmé par beaucoup de commentaires sur ce sujet. Ils sont souvent dangereux, car ils sont de nature xénophobe. Ceux qui le nient vont créer le peuple corse par rejet. Comment peut-on s'imaginer qu'il suffirait d'un projet d'accord pour ramener dans le droit chemin les quelques dizaines de tueurs, dont beaucoup de mafieux, qui, pour maintenir leur ligne de violence démente, sont de plus en plus obligés de se couper des troncs principaux du "nationalisme" corse ? Ce dont il s'agit dans ce processus n'est, hélas, pas d'arrêter par un seul acte toute violence, ce n'est à la portée de personne. C'est seulement, mais c'est essentiel, et cela s'appellera un jour la paix, d'en tarir le recrutement. Il ne faut plus que les adolescents et les jeunes adultes corses, dans leur recherche de dignité, découvrent l'histoire de leur région comme celle d'une oppression. Je n'ai pas une goutte de sang corse mais je n'aime pas que l'on me raconte des histoires, fût-ce au nom de mon pays. Je suis, amis jacobins, aussi fier que vous, sinon davantage car, député européen, j'évalue mieux la force comme les différences par rapport à nos concitoyens d`Europe ou du monde, des principes qui ont fait la République française et qui scellent son unité. Mais les principes fondamentaux de la République française se veulent libérateurs, et non oppressifs. Le droit à la résistance à l'oppression est même un des droits fondamentaux de l'homme et du citoyen. Car il y a eu oppression, et il en reste de fortes traces. Je suis pour l'application des principes, mais pas au prix de l'oubli total du passé. Il y a une révolte corse. On ne peut espérer la traiter sans la comprendre. Il faudrait tout de même se rappeler : - que lorsque Louis XV acheta les droits de suzeraineté sur la Corse à la République de Gênes, il fallut une guerre pour prendre possession de notre nouveau domaine. La France y perdit plus d'hommes que pendant la guerre d'Algérie. - que la Corse est restée "gouvernement militaire" jusque tard dans le XIXe siècle, avec tout ce que cela implique en termes de légalité républicaine. - que, pendant la guerre de 1914-1918, on a mobilisé en Corse, ce qu'on n'a jamais osé faire sur le continent, jusqu'aux pères de six enfants. - que, de ce fait, encore en 1919, il n'y avait pratiquement en Corse presque plus d'hommes valides pour reprendre les exploitations agricoles. Les tout jeunes n'ont pas eu le temps de recevoir la transmission des savoir-faire. C'est ainsi qu'ils sont devenus postiers et douaniers. - que c'est donc à ce moment que la Corse devient une économie assistée, ce qu'elle n'était pas auparavant. L'apparition de la "paresse corse" dans les blagues, les chansons et le folklore datent de là. On n'en trouve pas trace avant. - que, d'autre part, le droit successoral traditionnel corse était fort différent du code civil. C'est ainsi que les "métropolitanisés", si j'ose dire, Corses ou non-Corses, se sont injustement appropriés, bien des terres ancestrales. C'est aussi la raison principale pour laquelle beaucoup d'agriculteurs corses traditionnels n'ont pas de titres de propriété leur permettant d'obtenir du crédit. - que, de la même façon, le code civil ne prévoit pas, et interdit même, la propriété collective. Or tout l'élevage corse, et notamment celui des porcs - la charcuterie corse est justement célèbre -, se faisait sur terres de pacage collectives. - que la tuerie d'Aléria, les 21 et 22 août 1975, a été ressentie comme la fin de tout espoir d'une amélioration consécutive à des discussions avec le gouvernement de la République et a donné le signal du recours à la violence, parce que tous les Corses, je crois sans exception, ont très bien compris que jamais une riposte pareille à une occupation de ferme n'aurait pu avoir lieu dans l'Hexagone. - que, d'ailleurs, treize ans auparavant, la Corse avait reçu du gouvernement français un autre signal dangereux. Suite à des incidents survenus, déjà, à la fin des années 50, le gouvernement créa la Société de mise en valeur de la Corse, Somivac. Elle avait charge de racheter des terres disponibles, en déshérence ou non, de les remembrer, d'y tracer voies et chemins, d'y amener l'irrigation dans certains cas, puis de les revendre à des paysans corses. Les quatre cents premiers lots furent prêts à la vente au tout début 1962. De Paris vint l'ordre d'en réserver 90 % pour les pieds-noirs rentrant d'Algérie. 90 %, pas 15 % ou même 50 % ! Ce pourcentage est une incitation à la guerre civile. - que l'on fit, en 1984, une découverte étrange. Le président Giscard d'Estaing, vers 1976 ou 1977, avait pris la sage décision d'assurer à la Corse la "continuité territoriale", c'est-à-dire la prise en charge par l'Etat de tout surcoût de transport lié à son insularité. Sept ou huit ans après - est-ce stupidité, manque de courage ou concussion ? -, l'administration avait assuré la continuité territoriale pour les transports de personnes et pour les transports de marchandises de l'Hexagone vers la Corse, mais pas dans le sens inverse ! Les oranges corses continuaient d'arriver à Marseille avec des frais de transport plus élevés que celles qui venaient d'Israël. Pour les vins et la charcuterie, ce fut la mort économique. - et qu'enfin la Corse, comme la Martinique et la Guadeloupe, a subi pendant bien des décennies un monopole de pavillon maritime imposé par l'Etat, avec les conséquences asphyxiantes que l'on devine. Certains ont voulu résumer tout cet ensemble de faits économiques par le concept de colonialisme. Le débat sémantique est sans intérêt, car il est sans conclusion. L'imbrication profonde de la population corse dans la population française et le très grand nombre de Corses qui ont magnifiquement servi la France comme hauts fonctionnaires, officiers ou ministres, dénie un tel concept. Il suffit de savoir qu'une oppression particulière a gravement affaibli l'économie corse. Lorsque l'Histoire a un tel visage, il faut soit beaucoup d'inconscience, soit beaucoup d'indécence pour dire seulement aux Corses : "Assez erré maintenant. Soyez calmes et respectez les lois de la République. Vous bénéficierez alors pleinement de leur générosité." De cette application uniforme et loyale, les Corses n'ont guère vu trace dans leur longue histoire. Certes, il y a la part corse dans ce gâchis. Elle n'est pas mince : violence, clanisme, corruption. Naturellement, il faut sanctionner, et on ne l'a pas assez fait. Mais il faut tout autant comprendre comment le système se pérennise. Ici, l'histoire débouche sur la sociologie. C'est une évidence mondiale que toute société autosuffisante est beaucoup plus résistante à la corruption que toute société assistée. Or la Corse l'est, largement par le fait de la France, depuis bien des décennies. Il n'est dès lors pas surprenant que cette puissante institution méditerranéenne, la grande famille, la gens, soit devenue l'instrument presque exclusif de la solidarité et de la défense collective. Tout commence bien sûr par la terre. En l'absence d'une véritable justice foncière, c'est la violence qui est devenue l'instrument de défense des droits personnels, et la loi du silence, l'omerta, la traduction inévitable de la solidarité familiale devenue clanique. On est vite passé de la terre à l'ensemble des activités sociales. De plus, là comme ailleurs en France, l'Etat distribue des subventions, puisque chez nous, au lieu d'être pour l'essentiel utilisés sur place comme dans les Etats fédéraux, les produits de notre fiscalité remontent au centre avant d'en retomber pour attester la générosité de la République. Dans un univers culturel où la légalité et l'équité étaient aussi peu apparentes, il n'est guère surprenant que les clans se soient organisés, violence et loi du silence comprises, pour contrôler à tout prix les processus électoraux et les flux financiers qu'ils induisent. Voilà le gâchis dont il faut maintenant sortir. Les trois quarts des Corses, qui n'en peuvent plus de la violence, s'appuient désespérément sur l'Etat central malgré sa longue impéritie. Un dernier quart, qui s'est décrit comme autonomiste il n'y a pas si longtemps - comme nationaliste aujourd'hui -, n'a pas renoncé à voir enfin traitées correctement les lourdes spécificités de la situation corse. Ils sont prêts à chercher des solutions négociées et le disent, comme à renoncer à la violence. De ce fait, quelques centaines de desperados les ont quittés pour sombrer dans la violence pure. Ils n'obéissent plus à leur commandement. Comment en vouloir aux représentants élus de ces mouvements ? C'est au contraire leur honneur, et la garantie de sérieux de leur choix. Comment traiter alors cette nécessité pour la Corse de prendre une part plus grande à la maîtrise de ses affaires pour les conduire en fonction de ses caractéristiques propres ? Le fait que l'on ait pu évoquer et citer dans le projet gouvernemental des "attributions législatives" a suffi à mettre le feu aux poudres. Trois questions se posent à cet égard. La première : a-t-on vraiment lu le texte ? Le projet dispose que (c'est moi qui souligne) : "Le Parlement pourrait ainsi autoriser l'Assemblée territoriale de Corse à adapter, par ses délibérations dans certains domaines précisément déterminés et dans le respect des principes qu'il aura fixés, des dispositions législatives déjà en vigueur ou en cours d'examen. Les délibérations adoptées par l'Assemblée de Corse dans ces conditions seraient, sous réserve de l'exercice des voies de recours devant la juridiction administrative, exécutoires. De valeur réglementaire, elles..." Que voilà un "législatif corse" sérieusement encadré par le législatif national ! Et craint-on vraiment que le Conseil d'Etat ou les tribunaux administratifs ne laissent se faire le démantèlement de l'Etat ? Si au final la substance de ces nouvelles attributions était plus franchement législative, c'est alors la compétence du Conseil constitutionnel qui serait de droit, autre garantie solide. De quoi a-t-on peur ? Deuxième question : a-t-on vraiment lu la Constitution elle-même ? C'est notre loi fondamentale dans sa sagesse, et notamment par son article 34, qui entérine le problème et traite l'existence d'une vaste zone grise entre la majesté et la généralité de la loi, et les contingences du règlement. Je le sais d'expérience : pour un gouvernant qui souhaite faire prendre une mesure importante, le choix entre la loi et le décret est rarement évident. Il existe même dans la Constitution (article 37) une procédure qui permet au Conseil constitutionnel de dénoncer le caractère législatif de tel texte ou de telle matière pour renvoyer l'un ou l'autre au règlement. Pourquoi ne l'appliquerait-on pas aux affaires corses, à quelques grandes exceptions de principe près ? Les arguments de procédure constitutionnelle ne tiennent guère. Le seul argument constitutionnel de poids, c'est notre dévotion à l'uniformité. Mais là, c'est l'Histoire qui parle, plus que le droit. Mon choix est fait : mieux vaut une différence reconnue qu'une fausse uniformité oppressive. Reste alors la troisième question. Si vraiment l'on croit, comme l'affectent nos jacobins, et comme je le crois moi-même, aux vertus exclusives de l'action politique et de la démocratie pour assurer à la Corse un avenir de calme et d'expansion, alors pourquoi vouloir en exclure les Corses eux-mêmes ? Le pari qui s'esquisse consiste à penser que les Corses fiers de l'être et qui revendiquent leur identité, une fois devenus plus nettement responsables, sauront traiter des difficultés d'existence de cette identité mieux qu'il n'a été fait par le passé. Refuser ce pari, c'est refuser la démocratie dans son principe. Refuser de donner une large autonomie à l'Assemblée de Corse c'est d'abord faire le calcul surprenant que les nationalistes pourraient y être bientôt majoritaires, ce que tout dément, mais surtout afficher clairement que l'on se méfie d'eux, que l'on ne croit ni à l'apprentissage de la responsabilité ni aux vertus des réconciliations négociées. Lionel Jospin a eu un grand courage dans cette affaire. Il serait dommage et dangereux qu'une frilosité républicaine bornée l'empêche d'établir entre la France et la Corse de nouvelles relations fondées sur la confiance réciproque. La République en sortirait à coup sûr renforcée, alors que la persistance de la crise l'affaiblit gravement. PAR MICHEL ROCARD Le Monde du 31 août 2000

« - que l'on fit, en 1984, une découverte étrange.

Le président Giscard d'Estaing, vers 1976 ou 1977, avait pris la sage décisiond'assurer à la Corse la "continuité territoriale", c'est-à-dire la prise en charge par l'Etat de tout surcoût de transport lié à soninsularité.

Sept ou huit ans après - est-ce stupidité, manque de courage ou concussion ? -, l'administration avait assuré lacontinuité territoriale pour les transports de personnes et pour les transports de marchandises de l'Hexagone vers la Corse, maispas dans le sens inverse ! Les oranges corses continuaient d'arriver à Marseille avec des frais de transport plus élevés que cellesqui venaient d'Israël.

Pour les vins et la charcuterie, ce fut la mort économique. - et qu'enfin la Corse, comme la Martinique et la Guadeloupe, a subi pendant bien des décennies un monopole de pavillonmaritime imposé par l'Etat, avec les conséquences asphyxiantes que l'on devine. Certains ont voulu résumer tout cet ensemble de faits économiques par le concept de colonialisme.

Le débat sémantique estsans intérêt, car il est sans conclusion.

L'imbrication profonde de la population corse dans la population française et le très grandnombre de Corses qui ont magnifiquement servi la France comme hauts fonctionnaires, officiers ou ministres, dénie un telconcept.

Il suffit de savoir qu'une oppression particulière a gravement affaibli l'économie corse.

Lorsque l'Histoire a un tel visage,il faut soit beaucoup d'inconscience, soit beaucoup d'indécence pour dire seulement aux Corses : "Assez erré maintenant.

Soyezcalmes et respectez les lois de la République.

Vous bénéficierez alors pleinement de leur générosité." De cette applicationuniforme et loyale, les Corses n'ont guère vu trace dans leur longue histoire. Certes, il y a la part corse dans ce gâchis.

Elle n'est pas mince : violence, clanisme, corruption.

Naturellement, il fautsanctionner, et on ne l'a pas assez fait.

Mais il faut tout autant comprendre comment le système se pérennise.

Ici, l'histoiredébouche sur la sociologie.

C'est une évidence mondiale que toute société autosuffisante est beaucoup plus résistante à lacorruption que toute société assistée.

Or la Corse l'est, largement par le fait de la France, depuis bien des décennies.

Il n'est dèslors pas surprenant que cette puissante institution méditerranéenne, la grande famille, la gens, soit devenue l'instrument presqueexclusif de la solidarité et de la défense collective.

Tout commence bien sûr par la terre.

En l'absence d'une véritable justicefoncière, c'est la violence qui est devenue l'instrument de défense des droits personnels, et la loi du silence, l'omerta, la traductioninévitable de la solidarité familiale devenue clanique.

On est vite passé de la terre à l'ensemble des activités sociales.

De plus, làcomme ailleurs en France, l'Etat distribue des subventions, puisque chez nous, au lieu d'être pour l'essentiel utilisés sur placecomme dans les Etats fédéraux, les produits de notre fiscalité remontent au centre avant d'en retomber pour attester la générositéde la République.

Dans un univers culturel où la légalité et l'équité étaient aussi peu apparentes, il n'est guère surprenant que lesclans se soient organisés, violence et loi du silence comprises, pour contrôler à tout prix les processus électoraux et les fluxfinanciers qu'ils induisent. Voilà le gâchis dont il faut maintenant sortir.

Les trois quarts des Corses, qui n'en peuvent plus de la violence, s'appuientdésespérément sur l'Etat central malgré sa longue impéritie.

Un dernier quart, qui s'est décrit comme autonomiste il n'y a pas silongtemps - comme nationaliste aujourd'hui -, n'a pas renoncé à voir enfin traitées correctement les lourdes spécificités de lasituation corse.

Ils sont prêts à chercher des solutions négociées et le disent, comme à renoncer à la violence.

De ce fait, quelquescentaines de desperados les ont quittés pour sombrer dans la violence pure.

Ils n'obéissent plus à leur commandement.

Commenten vouloir aux représentants élus de ces mouvements ? C'est au contraire leur honneur, et la garantie de sérieux de leur choix. Comment traiter alors cette nécessité pour la Corse de prendre une part plus grande à la maîtrise de ses affaires pour lesconduire en fonction de ses caractéristiques propres ? Le fait que l'on ait pu évoquer et citer dans le projet gouvernemental des"attributions législatives" a suffi à mettre le feu aux poudres.

Trois questions se posent à cet égard. La première : a-t-on vraiment lu le texte ? Le projet dispose que (c'est moi qui souligne) : "Le Parlement pourrait ainsi autoriserl'Assemblée territoriale de Corse à adapter, par ses délibérations dans certains domaines précisément déterminés et dans lerespect des principes qu'il aura fixés, des dispositions législatives déjà en vigueur ou en cours d'examen.

Les délibérationsadoptées par l'Assemblée de Corse dans ces conditions seraient, sous réserve de l'exercice des voies de recours devant lajuridiction administrative, exécutoires.

De valeur réglementaire, elles..." Que voilà un "législatif corse" sérieusement encadré par lelégislatif national ! Et craint-on vraiment que le Conseil d'Etat ou les tribunaux administratifs ne laissent se faire le démantèlementde l'Etat ? Si au final la substance de ces nouvelles attributions était plus franchement législative, c'est alors la compétence duConseil constitutionnel qui serait de droit, autre garantie solide.

De quoi a-t-on peur ? Deuxième question : a-t-on vraiment lu la Constitution elle-même ? C'est notre loi fondamentale dans sa sagesse, et notammentpar son article 34, qui entérine le problème et traite l'existence d'une vaste zone grise entre la majesté et la généralité de la loi, etles contingences du règlement.

Je le sais d'expérience : pour un gouvernant qui souhaite faire prendre une mesure importante, lechoix entre la loi et le décret est rarement évident.

Il existe même dans la Constitution (article 37) une procédure qui permet au. »

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