Devoir de Philosophie

Cours: LE DIALOGUE

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

 

 NOTIONS CONCERNEES: autrui, le langage, la philosophie PLAN: 1) communication et dialogue 2) les règles du dialogue (étude d’un texte de Platon) 3) dialogue et pensée (étude d’un texte de Merleau-Ponty)  

***

INTRODUCTION Est-ce que le dialogue est simplement un acte de langage, une "façon de parler" parmi d’autres possibles? Par exemple, est-ce que le dialogue est à deux ce que le monologue est à un? Par ailleurs, à partir de quand y a-t-il dialogue? Suffit-il d’être à deux et de dire ce qu’on pense pour qu’il y ait dialogue? Autrement dit, à quelles conditions un dialogue est-il réussi? I. COMMUNICATION ET DIALOGUE Quels sont les rapports entre dialogue et communication? Peut-on ramener l’un à l’autre? Est-ce que le dialogue est une simple forme d’un genre plus vaste qui serait la communication? Peut-on dire que le dialogue est une simple façon de parler ou le dialogue a-t-il ses spécificités?        1) la communication Que comprend-t-on on général par "communication"? On entend par là le plus souvent le langage. Et il est vrai que toute forme de langage est communication. Mais la réciproque n’est pas vraie: toute communication n’est pas un langage... Au sens strict, communication signifie "mise en commun de quelque chose", avec l’idée de partage, de point d’intersection. On parle en ce sens de "vases communiquants", "de voies de communication" (un réseau routier ou fluvial, par exemple), ou encore "de pièces qui communiquent par une porte"... Retenir : la communication n’a pas un sens essentiellement langagier : elle désigne simplement la mise en commun de quelque chose, par exemple par le langage ou par un autre moyen. A la limite, donner un coup de poing, c’est "communiquer" très efficacement ma rage à autrui, lui dire que je suis en colère comme ne pourrait le dire aucun message. Et même si c’est bien de la communication en ce sens langagier dont on parle, de quoi parle-t-on exactement? La communication, qu’elle soit verbale ou écrite, se ramène à la transmission d’une information. Pour qu’il y ait communication, il suffit de trois éléments: une information (un signal) qui est transmise, un émetteur qui lance ce signal, et un récepteur qui reçoit l’information. On voit ici que la communication prend un sens très large: un feu de signalisation qui passe au rouge émet l’information "arrêtez-vous", un ordinateur communique avec un autre en lui transmettant des fichiers... Qu’est-ce alors qu’une communication réussie? Pour les spécialistes de la communication que sont les ingénieurs de France Télécom, une communication est réussie quand il y a "transmission d’information sans perte d’information". C’est-à-dire que la communication doit se faire sans "bruit": sans parasites sur la ligne, sans grésillement, sans rien qui puisse recouvrir le message et altérer la qualité de l’écoute. N.B. on voit ici en quoi la communication ne peut pas avoir le sens courant qu’on lui prête. Si je reçois un coup de fil du Japon, la communication établie avec mon correspondant peut être techniquement parfaite, sans aucun bruit de fond. Mais comme mon interlocuteur s’exprime en japonais, je ne comprendrai rien, il n’y aura pas eu de communication au sens où on l’entend couramment. Au sens strict, la communication d’une information n’a donc rien à voir avec le sens du message, il n’est même pas besoin que le message soit compris pour que la communication soit réussie. Elle ne suppose d’ailleurs pas nécessairement de retour d’information depuis l’interlocuteur, et peut donc très bien s’apparenter au monologue, au "dialogue de sourds".        2) l’idéologie de la communication Notre époque a été définie comme celle de la communication (voir Pascale Weil, A quoi rêvent les années 90, éd. Points Seuils). L’idée ambiante, c’est qu’il suffit de communiquer pour régler tous les conflits, quels qu’ils soient. On communique tous azimuts, on crée même des experts en communication. Jusque dans les entreprises, la communication est de règle. Le paradoxe, c’est que, si on y regarde de près, on a l’impression que plus on communique, et moins il y a écoute véritable. On ne fait que générer un surcroît de "bruit de fond" qui nuit en même temps à la véritable transmission d’informations, et à la rencontre authentique d’autrui. Par ailleurs, est-il bien sûr que la communication soit vraiment panacée universel ? Qu’elle soit une alternative à la violence ? Imaginons une négociation entre patronat et syndicats. Plutôt que d’amorcer un conflit social, on va se réunir autour d’une table de discussion. Imaginons même qu’on arrive à un accord, de quoi s’agit-il réellement ? Il s’agit plutôt d’un compromis que d’un véritable accord. C’est-à-dire que chacune des parties va renoncer à quelques uns de ce qu’elle considère comme ses "droits". Au bout du compte, on peut parier que le syndicat n’aura pas eu tout ce à quoi il avait droit, et le patronat qu’il a trop donné... Ce genre de négociation débouche plutôt sur de nouveaux ferments de "crise". Exemple, la, ou plutôt les grèves récentes des routiers. Après une première grève, les routiers ont obtenu quelques concessions, mais moins d’un an plus tard, il leur a fallu entamer une nouvelle grève pour obtenir l’application de ces accords. Au niveau des relations internationales, peut-être que la communication aurait de meilleurs résultats. Si tel pays en guerre civile pouvait réunir les belligérants autour d’une table pour exprimer leurs désaccords, peut-être apprendrait-on à mieux se connaître, et éviterait-on pas mal de conflits armés ? Encore une fois, c’est discutable. D’une part, parce qu’il faut souvent forcer les belligérants à se rencontrer (sommet de Rambouillet), d’autre part, parce que ce genre de communication peut conduire aussi bien à la certitude que les revendications respectives sont incompatibles. Exemple : (exemple excessif comme tous les exemples, mais bon), si on avait négocié sérieusement avec Hitler avant l’annexion des Sudètes, on aurait compris que la guerre est inévitable. Plus généralement, en politique, ce qui règne, c’est le mot d’ordre de François Ier : "Ce que mon frère (Charles Quint) veut (Naples), je le veux aussi". On voit donc que, finalement, le fait de communiquer peut aussi bien résorber les conflits que simplement les reporter à plus tard, voire les précipiter ou en engendrer ! Conclusion : il ne faut donc pas confondre communication et dialogue. La communication est une simple transmission d’informations. Elle serait même plutôt le produit idéologique d’une époque qui est en mal de dialogue. Le dialogue, de son côté, est méconnu. Quelles sont les véritables fonctions du dialogue ? Comment fonctionne-t-il, et quelles sont ses visées ? On peut lui en reconnaître deux : la recherche de la vérité et la rencontre d’autrui. Pour continuer sur le thème du dialogue, nous allons étudier deux textes et en profiter pour voir la méthode du commentaire de texte. II. LES REGLES DU DIALOGUE On se propose d’étudier ce texte de Platon selon la première méthode, de manière linéaire. Il faut commencer par dégager le plan du texte pour voir de la manière la plus précise possible quel est l’argument du texte. A partir de là, on pourra déterminer quelques éléments qui font "l’intérêt philosophique du texte" pour la question du dialogue. Remarques : 1) ce passage intervient au cours d’une discussion sur la rhétorique, Socrate semble faire une sorte de mise au point, il donne des préalables pour la suite de l’entretien. 2) il serait bon de chercher quelques éléments d’information sur les sophistes. Pour dégager le plan, on vous propose la méthode suivante : lire le texte attentivement, et à chaque fois qu’il vous semble qu’on change de sujet, considérer qu’il s’agit peut-être d’une autre partie. Quand vous aurez dégagé un plan, cherchez à voir comment ces parties s’enchaînent entre elles, ce qui fait la cohérence du passage (pourquoi Socrate parle-t-il de ça alors qu’il parlait d’autre chose auparavant, il y a sûrement une raison). En bref, il ne suffit pas de décomposer le texte en parties statiques, il faut aussi le recomposer selon une intention de celui qui parle.

 

 

SOCRATE : J’imagine, Gorgias, que tu as eu, comme moi, l'expérience d'un bon nombre d'entretiens. Et, au cours de ces entretiens, sans doute auras-tu remarqué la chose suivante : les interlocuteurs ont du mal à définir les sujets dont ils ont commencé de discuter et à conclure leur discussion après s’être l’un et l'autre mutuellement instruits. Au contraire, s’il arrive qu’ils soient en désaccord sur quelque chose, si l’un déclare que l’autre se trompe ou parle de façon confuse, ils s’irritent l’un contre l’autre, et chacun d’eux estime que son interlocuteur s’exprime avec mauvaise foi, pour avoir le dernier mot, sans chercher à ce qui est au fond de la discussion. Il arrive même, parfois, qu’on se sépare de façon lamentable : on s’injurie, on lance les mêmes insultes qu’on reçoit, tant et si bien que les auditeurs s’en veulent d’être venus écouter pareils individus. Te demandes-tu pourquoi je parle de cela ? Parce que j’ai l’impression que ce que tu viens de dire n’est pas tout à fait cohérent ni parfaitement accordé avec ce que tu disais d’abord au sujet de la rhétorique. Et puis j’ai peur de te réfuter, j’ai peur que tu ne penses que l’ardeur qui m’anime vise, non pas à rendre parfaitement clair le sujet de notre discussion, mais bien à te critiquer. Alors, écoute, si tu es comme moi, j’aurai plaisir à te poser des questions, sinon j’y renoncerai. Veux-tu savoir quel type d’homme je suis ? Eh bien, je suis quelqu’un qui est content d'être réfuté, quand ce que je dis est faux, quelqu’un qui a aussi plaisir à réfuter quand ce qu’on me dit n’est pas vrai, mais auquel il ne plaît pas moins d’être réfuté que de réfuter. En fait, j’estime qu’il y a plus grand avantage à être réfuté que de réfuter, dans la mesure où se débarrasser du pire des maux fait plus de bien qu’en délivrer autrui. Parce qu’à mon sens, aucun mal n’est plus grave pour l’homme que se faire une fausse idée des questions dont nous parlons en ce moment. Donc, si toi tu m’assures que tu es comme moi, discutons ensemble sinon laissons tomber cette discussion, et brisons là. Platon, Gorgias 457d-458 a.

Explication du texte/éléments en vue du commentaire A. Découpage du texte Le plan de ce passage est relativement facile à trouver. - Jusqu’à la ligne 10 (--> "écouter pareils individus"), Socrate semble décrire un certain type de dialogue. - De là jusqu’à la ligne 15 (--> "sinon j’y renoncerai"), il s’adresse directement à Gorgias en parlant de leur propre dialogue qui vient d’avoir lieu dans les premières pages de l’ouvrage. - Puis, jusqu’à la fin, Socrate semble faire son autoportrait intellectuel. L’erreur à ne pas commettre pour dégager le plan consistait à se fier aux mots de liaison qui indiquent en général une modification dans l’argumentation. Mais, par exemple, le "au contraire" de la ligne quatre n’introduit aucune rupture dans la construction. Il a ici le sens de "bien pire : etc..." et prolonge ce qui précède. Il vaut donc mieux s’en remettre au sens des phrases qu’au repérage des mots de liaison (d’autant plus que beaucoup de textes sont des traductions, et que certains termes peuvent être surtraduits). Maintenant que le plan est indiqué, on peut partir de là pour essayer de développer les idées. Le but, c’est de rendre compte de l’enchaînement des arguments. Pourquoi Socrate passe-t-il par ces différentes étapes, que veut-il démontrer par là ? Il faut imaginer un texte de commentaire comme une réponse à une question et qu’il faut essayer de retrouver la question. En même temps chaque partie est comme un élément partiel de la réponse et ne trouve son sens que dans son lien avec ce qui précède. B. Première partie Socrate commence par décrire une expérience assez courante : comment certains dialogues en viennent à capoter. Il précise d’ailleurs que Gorgias comme lui-même ont "l’expérience d’un bon nombre d’entretiens". Gorgias est un célèbre professeur de rhétorique de la Grèce antique, un sophiste de renom, dont le métier est justement d’apprendre à parler, à mener un entretien jusqu’à obtenir l’adhésion de l’interlocuteur. Socrate, lui, passait son temps à courir les rues d’Athènes en posant des questions aux personnes qu’il rencontrait, ce qui donnait lieu à des dialogues (cf. Apologie deSocrate). Le Gorgias, dont ce passage est tiré est donc une discussion d’un professionnel du dialogue à un autre, et son thème est justement la rhétorique (cf. ligne 12). Comment ces dialogues décrits par Socrate en viennent-ils à échouer ? Il isole trois causes principales (lignes 3 et 4). * Première cause : "les interlocuteurs ont du mal à définir les sujets dont ils ont commencé de discuter". En quoi cela peut-il aller jusqu’à faire échouer un dialogue ? Ce n’est pas évident, il faut donc essayer d’imaginer des raisons à cela. Il peut arriver que je crois parler d’un sujet avec un interlocuteur, de discuter gravement avec lui et de me rendre compte qu’il ne parle pas du tout de la même chose. Par exemple, si je discute de "chaises" avec un menuisier, il se peut que pour moi, le tabouret rentre dans la catégorie des chaises. Pour le menuisier professionnel, il n’en est pas question. Le problème, c’est donc que si on n’a pas parfaitement défini ce que c’est qu’une chaise au préalable, le dialogue va démarrer sur un malentendu initial dont aura pas conscience. On croit parler de la même chose, on utilise le même mot "chaise", mais en des sens différents, alors qu’on croit être d’accord. Fatalement, certaines affirmations de l’un des interlocuteurs ne pourront pas être comprises par l’autre. Je peux affirmer par exemple quelque chose qui est vrai du tabouret, pas de la chaise, et mon menuisier va croire que je me moque de lui. Du simple fait que notre vécu est différent, que notre expérience n’est pas la même, nous concevons tous différemment les mêmes choses. En fait, une telle situation a quelque chose de burlesque, c’est le ressort du quiproquo au théâtre. On croit parler de la même chose parce qu’on utilise le même mot, mais comme on y met des sens différents, c’est comme si on ne parlait pas de la même chose. De manière plus générale, tout malentendu repose sur une méprise de ce genre. C’est bien parce qu’on croit être d’accord qu’il y a possibilité de malentendu : le malentendu est d’abord un bien entendu (on croit savoir tous les deux ce que c’est qu’une chaise, alors qu’en fait on n’en a pas la même conception). * Deuxième cause : les interlocuteurs ont du mal à "s’instruire mutuellement". Que se passe-t-il le plus souvent dans les dialogues que nous connaissons ? Un premier interlocuteur (A) affirme quelque chose. Le deuxième (B) va lui donner son opinion sur la même question. A va reprendre son point de vue pour imposer sa conception des choses. B va reprendre le sien. Et ainsi de suite. On assiste là, non plus à un quiproquo, mais plutôt à un dialogue de sourds. Aucun des deux participants n’arrive à tenir réellemnt compte de ce que l’autre vient de lui répondre, à intégrer sa réponse dans sa réflexion. Ce genre de dialogue est purement statique, horizontal, face-à-face stérile. Que devrait être le dialogue pour qu’il y ait "instruction mutuelle"? A affirme son point de vue. B va lui répondre là-dessus, à partir de ce que l’autre vient de dire, non à partir de ce que lui pense de la question. A devra soit admettre la critique et rectifier ce qu’il vient de dire, soit préciser sa réponse pour justifier son opinion. Il faut, idéalement, qu’on parte toujours de ce qui vient d’être dit pour s’élever dans la discussion. Faute de quoi, le dialogue ne peut avoir comme objectif que de toujours revenir aux positions de départ, dont aucun ne démordra. Alors que le but du vrai dialogue n’est pas d’exposer ses opinions, mais de les soumettre à la critique pour pouvoir s’élever au-dessus du niveau de l’opinion. Autrui n’est pas tellement un adversaire qu’il faut convaincre qu’un juge qui peut m’aider à explorer ma propre pensée. De même moi pour lui. * Troisième cause : ils ont du mal à "conclure la discussion". Quel doit être le rôle de la conclusion dans un dialogue ? Si celui-ci est bien mené, la conclusion est simplement le constat du résultat du dialogue, de l’acord auquel on est arrivé. Mais en même temps, la conclusion est une étape importante, et parfois délicate. Par exemple, il y a des gens qui ne savent pas conclure. Une fois arrivés au résultat que l’on cherchait, ils ne savent pas le reconnaître. C’est une des raisons pour lesquels certains dialogues socratiques semblent inachevés (aporétiques). Ce n’est pas qu’on n’a pas trouvé le résultat, c’est que l’interlocuteur ne le voit pas. Même dans des discussions quotidiennes, il arrive qu’on soit arrivé au bout du dialogue, mais que l’on cherche encore plus. C’est qu’on ne savait pas exactement ce que l’on cherchait, faute de s’être bien mis d’accord. Le dialogue ne se termine pas, il est forcément inachevé. il ne s’agit d’ailleurs pas tant d’un dialogue que d’une longue dérive où l’on passe de questions en questions, de thèmes à d’autres. D’ailleurs si l’on regarde les gens discuter autour de nous, on s’aperçoit que les défauts relevés par Socrate sont chose courante. En général, on commence un dialogue à l’envers. Chacun commence par poser sa conclusion, puis essaie de la défendre. Il n’y a pas vraiment de question, de but de la recherche, vu qu’il n’a pas été défini. Et on est comme peiné de voir que l’interlocuteur ne partage pas le même point de vue que nous. On essaie alors de le convaincre, de vaincre sa réticence. Comme lui en fait de même, le dialogue tourne à une guerre de positions. Et au fond, chacun se dit que si l’autre ne me comprend pas, c’est qu’il ne veut pas me comprendre... Conséquence normale dans ce cas : "on s’irrite l’un contre l’autre", on s’accuse de "mauvaise foi". (lignes 4 à 10) Dans cette première partie, Socrate semble avoir isolé les causes habituelles qui font qu’un dialogue échoue. On peut donc en déduire que pour que le dialogue réussisse il suffit d’éviter ces quelques écueils. Les règles d’un bon dialogue seraient donc - bien définir le sujet - essayer de s’instruire mutuellement en argumentant - arriver à une conclusion La question est : "suffit-il de respecter ces règles pour arriver à un dialogue authentique" ? C. Deuxième partie Le sens de cette deuxième partie est assez clair à partir de là. Socrate veut faire prendre conscience à Gorgias que leur discussion sur la rhétorique risque de prendre une mauvaise tournure. D’une part, Socrate a relevé des contradictions dans les propos de Gorgias ("ce que tu viens de dire n’est pas tout à fait cohérent ni parfaitement accordé avec ce que tu disais d’abord"). D’autre part, il a peur que Gorgias ne le croie de mauvaise foi et s’irrite contre lui. Ce serait alors la fin de la discussion. On peut relever des expressions quasi similaires entre la première et la deuxième partie : - "se trompe ou parle de façon confuse", l. 5-6 // "n’est pas tout à fait cohérent ni parfaitement accordé avec ce que tu disais d’abord", l. 11-12 - "s’exprimer avec mauvaise foi, pour avoir le dernier mot", l. 7 // "te critiquer", l. 14 - "sans chercher à ce qui est au fond de la discussion", l. 7-8 // "non pas à rendre parfaitement clair le sujet de la discussion", l. 13-14 La stratégie est donc assez rusée : on commence par exposer les raisons qui font que d’autres, dans leurs dialogues, en viennent à s’insulter. Gorgias ne pourra que être d’accord. Et ce n’est que dans un deuxième temps que Socrate fait le rapprochement avec son présent entretien avec Gorgias. Il sera trop tard pour celui-ci pour refuser son assentiment. A une démarche frontale (dire à Gorgias : "tu te trompes"), Socrate préfère une approche biaisée ("tu te trompes, mais ne va pas réagir comme ces gens qui...") D. Troisième partie Dans la troisième partie, Socrate semble procéder à une sorte d’autoportrait intellectuel. Pourquoi cela ? C’est justement pour se disculper à l’avance de l’accusation de mauvaise foi : ce qui l’intéresse, ce n’est pas de montrer qu’il a raison, mais d’arriver à la vérité. C’est à ce sujet que l’on peut développer la différence, et même l’opposition, entre le philosophe et le sophiste. Pour Platon, le dialogue est beaucoup plus qu’une simple conversation, c’est une véritable méthode pour chercher la vérité. C’est-à-dire que, sur un sujet donné, on commence par donner une opinion quelconque. A l’interlocuteur de l’examiner (comme une sage-femme qui examine un enfant nouveau-né) pour voir si cette idée est viable ou si elle comporte des contradictions et des faiblesses. A lui donc d’approuver ou de critiquer. Or comme toute opinion est toujours l’expression d’un point de vue partiel, (elle est l’expression d’une ignorance) elle est toujours critiquable, il y a toujours à redire. A partir de là, on peut s’appuyer sur cette critique pour avancer dans la recherche. Progressivement, on sort de l’opinion, on s’élève au-dessus de l’ignorance, et par retouches successives, on approche de la vérité. Le dialogue n’a donc rien d’une simple conversation, puisqu’il est recherche de la vérité. Mais d’autre part, on ne peut pas non plus l’assimiler à quelque chose comme un enseignement. Il n’y a pas un des deux interlocuteurs qui dévoilerait à l’autre la vérité recherchée. Il n’y a pas communication du savoir de l’un à l’autre, comme de l’huile qui passerait d’un bol à un autre. Il y a en fait découverte de la vérité. Aucun des deux ne la connaît, mais à deux on peut l’inventer. C’est pour cela que mon interlocuteur n’est pas un adversaire. J’ai besoin de lui pour préciser ma pensée, y découvrir les erreurs, sortir de l’ignorance... Par contre, pour le sophiste, pour le maître de rhétorique, le dialogue est plutôt une forme de combat. Il s’agit surtout d’une occasion pour faire la preuve de sa maîtrise de la rhétorique. a) Pour le sophiste, le but même de toute discussion est de convaincre l’autre. Celui-ci est un adversaire qu’il faut vaincre. Pour cela tous les moyens sont bons, même les arguments les plus spécieux, qui n’ont que l’apparence de la logique. Exemple : "est-ce que tu as ce que tu n’as pas perdu ? - Dame, oui. -Est-ce que tu as perdu tes cornes ? - Euh, non. - Donc, tu vois bien que tu portes des cornes." Un exemple moderne serait celui du cheval à un franc. Ce qui est rare, est cher. Un cheval à un franc, c’est rare, donc un cheval à un franc, c’est cher. Aristote a fait un relevé des principaux sophismes et de leur fonctionnement dans le livre VI de l’Organon, les Réfutations sophistiques. Le principal exercice en vigueur dans les écoles de sophistes consistait à d’abord soutenir une thèse, puis à démontrer la thèse opposée. On voit donc que le sophiste ne s’embarrasse pas de la vérité. Le dialogue n’est pas une méthode pour arriver à la vérité, c’est surtout une forme de pouvoir. Savoir parler dans une démocratie est réellement la clé du pouvoir politique. C’est pour cela que les leçons de sophistes se payaient si cher (jusqu’à une mine d’argent). b) D’ailleurs, pour les Sophistes, la vérité n’existe pas, ou plutôt, ils ont une définition spéciale de la vérité. D’après Protagoras, un maître sophiste, "l’homme est la mesure de toute chose, de celles qui sont, qu’elles sont, de celles qui ne sont pas, qu’elles ne sont pas". Explication, si dans une salle de classe, on ouvre la porte et une fenêtre, on va créer un courant d’air. Selon les personnes, pour certains ce courant d’air sera chaud, pour d’autres ils sera froid, tout dépend de leur état de santé, de leur degré de fatigue, de leur complexion. Le courant d’air, en lui-même, n’est ni chaud ni froid. C’est donc l’homme, l’individu qui définit la vérité, sa vérité, chacun pour soi. Et il y a autant de vérités qu’il y a d’individus. Le sophiste réduit donc la vérité à la simple opinion, il la dissout dans la sensation (c’est une question d’apparences) et on arrive à un relativisme généralisé (tout est vrai et faux en même temps, ça dépend simplement de qui). A partir de ce moment-là, le discours du sophistes est un art des apparences, du maquillage. C’est un art d’illusion, une prestidigitation qui fait passer les choses dans leur contraire. Il s’agit de multiplier les apparences pour mieux convaincre l’interlocuteur, et il vaut mieux paraître avoir que d’avoir raison. La vérité, c’est simplement la vraisemblance. Du coup, il y a des vérités qui sont plus ou moins fortes ou faibles. Tout dépend du nombre de personnes qui partagent cette opinion. De leur nombre, mais également de leur force rhétorique. En quelque sorte, le sophiste, lorsqu’il arrive à convaincre toute une assemblée de la "vérité" de telle ou telle affirmation, rend vraie cette affirmation. Plus cette vérité est partagée, et plus elle est "vraie". Finalement, la vérité selon le sophiste est une simple convention passée entre les hommes, elle ne dépend pas de la réalité des choses, de leur essence, mais de l’opinion qu’on s’en fait, de l’apparence. C’est la force (rhétorique) qui est le meilleur fondement de la vérité. Le piquant dans l’affaire, c’est que pour les Grecs de l’époque, il n’y avait guère de différence entre le sophiste et le philosophe. Platon disait que le sophiste est au philosophe ce que le loup est au chien. Il arrive qu’on s’adresse à Socrate de manière élogieuse après un discours pour lui dire "quel merveilleux sophiste tu fais, Socrate". Et finalement, les accusations portées contre Socrate lors de son procès, qui le feront condamner à mort (corrompre la jeunesse, ne pas croire aux Dieux de la Cité) sont les accusations traditionnellement portées contre les sophistes auxquels on assimilait Socrate ! On comprend alors tout le poids de la dernière partie. Socrate se démarque absolument des sophistes. Pour ceux-ci, le but, du dialogue, ce qui fait que le dialogue est réussi pour eux, c’est d’avoir pu réfuter l’interlocuteur coûte que coûte. Alors que pour Platon, ce n’est qu’un moyen pour arriver à la vérité, grâce à l’interlocuteur et non contre lui. S’il dit qu’il vaut mieux être réfuté que de réfuter, c’est qu’on en tire un plus grand bénéfice. On est débarrassé par là de l’erreur, le "pire des maux". L’erreur n’est jamais seulement une faute intellectuelle, elle affecte l’âme tout entière. L’âme se nourrit de vérité, si elle reste dans l’erreur, elle dépérit, se corrompt, se convertit au mal. Ce n’est jamais que par une erreur de jugement qu’on fait le mal. "Nul n’est méchant volontairement". C’est pour cela que la question débattue (la rhétorique) est si grave (ligne 21). La rhétorique conditionne la politique d’une part. Mais ce qui est en jeu d’autre part, c’est le statut même du discours philosophique. Si celui-ci n’est fondamentalement orienté vers la vérité, animé par le souci du Bien, il se renverse en son contraire, un bavardage sophistique. Pour conclure : On peut dire que ce texte, Socrate commence par donner différentes règles pour réussir un dialogue (définition, argumentation, conclusion). Mais par la suite, sans le dire, il semble ajouter une règle plus fondamentale encore : il faut préférer la vérité à avoir raison. Ici, c’est l’intention même du dialogue qui sera déterminante pour faire que le dialogue soit réussi ou non. Il faut un réel désir de vérité de part et d’autre. Sans ce désir, sans cette finalité, les différentes règles énoncées plus haut ne sont que des dispositions techniques vides de sens, proches des procédés rhétoriques. III. L’EXPERIENCE DU DIALOGUE La deuxième méthode pour le commentaire de textes est la méthode thématique. Il s’agit de relever les différents thèmes abordés dans le texte et de les développer en suivant un ordre logique qui n’est pas celui du texte. La difficulté de cette méthode consiste à bien choisir un ordre qui respecte la pensée du texte. Il arrive qu’on néglige un passage qu’on juge secondaire et qui pourtant pouvait être la clé du texte. On vous propose donc de travailler ce passage de Merleau-Ponty, qui semble approfondir certains points de la pensée de Platon et peut-être la corriger sur d’autres.

 

 

Dans l'expérience du dialogue, il se constitue entre autrui et moi un terrain commun, ma pensée et la sienne ne font qu’un seul tissu, mes propos et ceux de l’interlocuteur sont appelés par l’état de la discussion, ils s’insèrent dans une opération commune dont aucun de nous n’est le créateur. Il y a là un être à deux, et autrui n’est plus ici pour moi un simple comportement dans mon champ transcendantal, ni d’ailleurs moi dans le sien, nous sommes l'un pour l'autre collaborateurs dans une réciprocité parfaite, nos perspectives glissent l’une dans l’autre, nous coexistons à travers un même monde. Dans le dialogue présent, je suis libéré de moi-même, les pensées d’autrui sont bien des pensées siennes, ce n’est pas moi qui les forme, bien que je les saisisse aussitôt nées ou que je les devance, et même, l’objection que me fait l'interlocuteur m’arrache des pensées que je ne savais pas posséder, de sorte que si je lui prête des pensées, il me fait penser en retour. C'est seulement après coup, quand je me suis retiré du dialogue et m’en ressouviens, que je puis le réintégrer à ma vie, en faire un épisode de mon histoire privée, et qu’autrui rentre dans son absence, ou, dans la mesure où il me reste présent, est senti comme une menace pour moi. MERLEAU-PONTY : Phénoménologie de la perception

Explication du texte/éléments en vue du commentaire Tout l’intérêt du texte consiste à montrer à quel point le dialogue est l’occasion d’une expérience tout à fait privilégiée d’autrui. L’expérience courante que nous faisons de l’existence des autres autour de nous est relativement restreinte. Qu’est-ce qu’autrui pour moi ? Tout d’abord un simple "comportement dans mon champ transcendantal" (lignes 4-5). Comprendre ici : "dans mon champ de perception". Autrui, c’est d’abord ce que je vois de lui. Un corps, des gestes, des attitudes. Descartes disait bien que l’on voit des chapeaux et des manteaux, c’est-à-dire surtout des apparences. Au fond, on perçoit autrui d’abord comme on perçoit n’importe quel objet, on le perçoit sur le mode de l’objet. On ne le perçoit pas en lui-même, comme une personne à part entière. Perçu, autrui n’en reste pas moins absent (ligne 14). Et si l’on essaie de dépasser cet état de chose, si l’on s’applique à voir en lui plus qu’un objet de perception, mais une autre conscience, ou alors si un mot, un geste de sa part me surprennent et me montrent bien qu’il s’agit d’un autre sujet, d’un autre moi que moi, la situation en devient inquiétante. C’est que autrui est imprévisible, menace sourde. On ne sait pas ce qui se passe là-bas, derrière ce regard, sous ce front, dans ce double-fond de l’espace dont je suis par principe exclu. Au total, soit autrui m’apparaît à l’égal des choses, et il m’est absent, soit quelque chose que je n’avais pas prévu me montre qu’il est plus que ça, mais alors, il est une menace potentielle, une zone d’ombre dans un univers d’objets. Et de même pour lui. Chacun de nous habite bien le même monde que tous les autres hommes, mais en même temps, nous ne pouvons pas intégrer autrui dans notre monde. Chacun est comme un point de vue sur le monde, mais où il est seul sujet. Du fait même que je suis sujet, je ne peux pas intégrer les autres comme sujets. On peut reprendre ici une distinction que faisait Héraclite. Nous habitons tous un monde privé "idios kosmos", c’est notre perspective sur le monde, d’où les autres sont exclus. Nous n’arrivons pas à un monde commun, un "koinos kosmos". Mais il est une expérience parmi toute où cette appréhension d’autrui se lève, où nous faisons une expérience privilégiée de l’autre. C’est le dialogue. Dans les quatre dernières lignes du texte, Merleau-Ponty semble décrire le dialogue comme une parenthèse dans la vie quotidienne, un temps suspendu où tout devient possible, un état de grâce. Tout d’abord (lignes 1 à 4), nous entrons réellement en relation les uns avec les autres à travers le discours. Nous avons quelque chose en commun, entre lui et moi dirait-on. Nos propos s’entremêlent, s’appuient l’un sur l’autre. En effet, nous avions vu avec Platon que dans le dialogue, il faut partir de ce que l’autre vient de dire à l’instant. En même temps, aucun des deux interlocuteurs n’a de priorité sur l’autre, c’est la relation de l’un à l’autre qui fait qu’il y a dialogue. C’est ce que résume la métaphore du tissu. Il faut deux fils pour faire un tricot. Et au fond, un tissu, ce n’est jamais que ça, deux fils qui se nouent l’un à l’autre, qui s’appuient l’un sur l’autre. Le miracle du tricot, c’est qu’il y a plus dans le résultat (le tissu, qui a longueur et largeur) que dans ses composants (un fil n’a que longueur, il n’a pas largeur). De même, le dialogue, est plus que la somme de deux discours. Mais on peut aller plus loin : le dialogue est plus qu’une relation entre deux sujets ou que la mise en rapport de deux discours (lignes 4 à 7). Tout se passe comme si, bien que réellement distincts, les deux interlocuteurs se rejoignent dans la distance. Nous avons plus que quelque chose en commun : nous devenons deux en un. Platon définissait la pensée comme un dialogue silencieux que l’âme se tient à elle-même. Réciproquement, Merleau-Ponty nous décrit le dialogue comme une pensée à deux. Nous sommes plus que deux aspects complémentaires d’une seule pensée qui se cherche et cherche à se dire. Nous faisons pour la première fois l’expérience de l’autre comme sujet. Nous entrons dans un "monde commun". En même temps, on ne peut pas dire que grâce au dialogue, on arriverait à une forme de connaissance de l’autre. Le but n’est pas d’arriver à connaître l’autre de l’intérieur, aussi bien qu’il se connaît lui-même. Le propre du dialogue, c’est qu’on n’y parle pas de soi. On n’est plus qu’une pensée désintéressée qui s’interroge (lignes 7 à 11). En fait, on dirait plutôt que le dialogue m’arrache à moi-même, me fait sortir de moi, dépasse la particularité des sujets qui dialoguent ("libéré de moi-même"). La meilleure preuve en est qu’on ne peut pas dire qui a dit quoi. Examinons la formule "si je lui prête des pensées, il me fait penser en retour". "Prêter" des pensées, c’est attribuer. Je lui attribue certaines idées, et c’est ce qui me fait penser. C’est-à-dire que tout semble se passer de la manière suivante. Mon interlocuteur a une idée et va chercher à la rendre par des mots. Il va utiliser certains termes plutôt que d’autres, certains seront connotés à ses yeux, il pense à plusieurs choses en même temps, etc... Bref, l’expression est toujours approximative. Lorsque moi je reçois son message, je vais essayer de faire l’opération inverse. A partir de ce qu’il a dit, retrouver ce qu’il a voulu dire. Or ce ne sera jamais exactement ce qu’il a voulu dire. Ce sera une nouvelle idée, qui n’est pas de moi (je crois que c’est ce qu’il a voulu dire), et qui n’est pas de lui non plus (vu que ce n’est pas ce qu’il a voulu dire). Curieusement, on voit donc que c’est la simple communication des idées qui donne des idées. Pire, on touche ici à une des particularités du dialogue. Alors que dans une communication au sens courant comme nous l’avions vu, le malentendu est quelque chose de mortel pour la compréhension, dans le dialogue, il est fécond, il donne des idées. Spécificité du dialogue donc : il s’invente en se cherchant, il est errance féconde. Pour conclure Dans ce court texte, Merleau-Ponty semble condenser toute une philosophie du dialogue. Il serait une sorte d’expérience inouïe d’autrui, une rencontre exceptionnelle que rien ne saurait remplacer et qui trouve sa justification et son sens en elle-même. CONCLUSION Nous avons vu donc qu’on peut envisager le dialogue sous deux aspects essentiels. Pour Platon, la fonction du dialogue est de trouver la vérité, de sortir de l’opinion grâce à la discussion argumentée, par réfutations réciproques, dans une sorte d’approche par rectifications successives. Merleau-Ponty, dans une perspective plus résolument moderne, voit dans le dialogue une expérience privilégiée d’autrui, une sortie hors du solipsisme cartésien. Dans tous les cas, on a pu voir qu’on ne peut pas réduire le dialogue à une forme de discussion ou de conversation banale. Disons que les vrais dialogues sont rares. Alors persévérons.   

 

Liens utiles