Devoir de Philosophie

Dissertation: Existe-t-il des critères du bonheur ? Existe-t-il des critères du bonheur ?

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

[Piège de ce sujet : oublier la question du critère et faire un devoir sur le bonheur en général] [Introduction : à délayer éventuellement] Parmi les questions banales qui viennent à l'esprit lorsqu'on porte en terre un défunt, ne manque pas de surgir celles-ci : qu'a-t-il fait de sa vie? A-t-il vécu pour rien? Peut-on au moins se dire qu'il a été heureux? Mais comment répondre à cette dernière question? Le bonheur se voit-il et se constate-t-il? [On cite le sujet sans se croire autorisé à le transformer] Dispose-t-on de critères permettant de conclure au bonheur des autres. Et dans notre propre cas, que se passe-t-il? [On montre qu'on a compris les enjeux du sujet] Au moment du plus capital, c'est à dire au moment de l'appréciation du sens de nos existences, lorsque nous sommes à la fois celui qui juge et celui qui est jugé, manquons nous des repères les plus élémentaires? Allons-nous vivre dans le brouillard, ou pouvons nous faire des bilans fermes et définitifs. [Le principe du plan sera élémentaire : faire varier les sens de "bonheur", et voir ce que devient le sujet dans ces divers cas] [Première partie, intégrant une idée très contestable du bonheur] Pour le naïf, le bonheur est affaire de cumul de plaisirs. Il consiste en une opération, et plus précisément une sommation active et réfléchie. Si, de l'aube au coucher, je fais se succéder les plaisirs de divers registres, et si je réussis à me faufiler entre les mailles du malheur, la résultante ne sera pas indigne du nom de bonheur, pense le sens commun [un "truc" des premières parties : attaquer le sens commun, ou les doctrines avec lesquelles on n'est pas d'accord]. Et qu'on ne vienne pas objecter que le plaisir est bas : d'Epicure jusqu'à nous, rien n'interdit de se proposer des plaisirs de haute qualité et de profond raffinement. Le jouisseur entre dans le visible, et son bonheur prend une dimension d'objectivité. Regardons-le faire, ce jouisseur! Il savoure, il prépare, il aménage. Il accorde à chaque plaisir le temps de sa préparation et de sa consommation. Il refuse aussi les déplaisirs qui s'annoncent. Les médiations ne lui font pas défaut, depuis les draps choisis aux livres qui ne tombent pas des mains, en passant pas les nourritures les plus gastronomiquement pensées. [Référence culturelle] Comme dom Giovanni à quelques instants de sa mort, il a des femmes, et se nourrit de faisan, cependant qu'un orchestre lui joue la "cosa rara". Ne confondons pas critère et condition. [au moins un minimum d'analyse de ce terme!] On s'interroge non sur l'attitude à déployer en vue du bonheur, mais sur l'existence de faits observables et constatables à volonté sur lequel appuyer le jugement. Alors n'hésitons pas : les critères du bonheur tel qu'on le comprend pour l'instant existent, le plaisir se lit sur la mine et le visage, comme se décrypte le sens des conduites hédonistes. Le skieur qui s'offre une petite godille serrée sur la piste noire nourrit ostensiblement l'ogre bonheur. [Corroboration de la thèse] Au reste, comment s'expliqueraient des phénomènes tels que la jalousie, l'envie, si le bonheur ne s'annonçait pas par ses marques, et par un certain art, qui ne manque pas de fasciner lorsque l'hédoniste le déploie sans vergogne. Si le désir est désir de l'objet du désir de l'autre (thèse de R. Girard), c'est que la médiation du bonheur d'affiche ostensiblement comme telle. Il existe donc [exploitation de la thèse] des images fiables du bonheur, et surtout des relations d'images du bonheur, puisqu'il faut comprendre qu'une durée est nécessaire à l'entretien du bonheur et que les critères qu'on en peut lire doivent se confirmer dans cette durée. Pas de critère dans l'instant. [Confirmation philosophique] Les philosophes ne manquent pas pour cautionner une telle façon de voir, de Maupertuis à Fourier, et son arithmétique des passions humaines, en passant par Bentham ou Smith. Le rapport entre plaisir et bonheur est pour eux quantitatif, affaire de somme et de bilan, et le bonheur possède lui-même cette essence consistant en une sommation réussie. Le bonheur commence avec le plaisir et se continue avec sa continuation. C'est aussi la leçon qu'on a prêtée à Epicure, un des rares hédonistes à avoir en apparence logé le bonheur dans un plaisir renouvelé visible pour soi même et pour autrui. Il suffit de pouvoir toujours ressentir un plaisir à portée de comportement, pour que se construise le bonheur. Seule une distinction savante entre des divers types de plaisirs contredit cette lettre du texte. [critique] Une telle façon de mathématiser le bonheur à partir du plaisir ne résiste pourtant pas à la critique, car elle entérine trois contresens, l'un sur le désir, l'autre sur le bonheur lui-même, le troisième sur leur rapport. Premier point : il est niais de croire qu'on peut déployer des stratégies sur le désir, ou même seulement des tactiques (de cumul, choix préparation). "Un bourgeois ne mange pas deux fois", rappelait Marx. Et le pauvre Sade, pour ne pas le comprendre, se voit ballotté de paroxysme en paroxysme, jusqu'à ce que le sinistre libertin qu'il met en scène n'ait d'autre issue que celle de sa propre mort. On sait depuis Aristote que le plaisir vient lorsqu'on ne le recherche pas et ne vient pas lorsqu'on le recherche. Il advient "automatiquement", et également chez le bienheureux et chez le malheureux qui a plaisir à ne plus être battu ou à bénéficier d'une rémission dans sa maladie. Ce qui fait que jamais une conduite de jouissance vécue ou observée ne pourra servir de critère. Sinon, nous serions reconduits aux caniches et aux ivrognes, voire au galeux platonicien comme à autant de paradigmes. [Confirmation chez un grand auteur] Kant a clairement perçu qu'il existait un bonheur fantasmatique et abstrait, celui-là même qui veut sérier les plaisirs, et croit naïvement qu'il est possible d'y parvenir. "Idéal de l'imagination", ce bonheur tourne le dos à un monde dont il abstrait la négativité. Il ne saurait donc faire l'objet de critères puisqu'il advient dans l'imaginaire, plat fantasme d'un maximum de plaisirs, aussi peu consistant que l'idée d'un maximum, dont il se réclame. Mais Kant - position unique dans l'histoire de la philosophie - refuse d'accorder au concept de bonheur d'autre sens que celui-ci, onirique et quelque peu infantile. A-t-il raison de chasser le bonheur comme un être de raison. N'est-il pas possible de lui donner un contenu plus positif? [Deuxième partie fondée sur l'idée (nettement plus soutenable) d'un bonheur récompense de la vertu.] Bien que, pour Kant, la vertu ne fasse que nous rendre "dignes du bonheur", un plus large consensus de philosophes fait du bonheur la récompense objective de la vertu, de quelque façon qu'on envisage cette dernière. [Analyse de concept] Dans son essence, le bonheur, conçu précédemment comme une opération, devient alors un phénomène de sens. On doit donc s'attendre à ce que ce régime sémantique pose les questions propres à ce type de réalité qu'est le sens. Certes, il est susceptible d'être éprouvé sous la forme d'un sentiment, mais il ne consiste pas dans un sentiment. Et même au cas où le bonheur s'annonce sous forme d'un sentiment, largement trompeur, celui-ci est aussi diffus que la bonne humeur, en provenance du corps, mais beaucoup plus durable que la joie qui résulte généralement d'une discontinuité dans le vécu (moment de réussite à un examen, par exemple). Chacun sent bien que le bonheur doit être durable, tardif - les jeunes gens ont beaucoup à faire avant de le connaître - et solide : il doit pouvoir faire face à un coup du sort. S'il se donne dans un sentiment de bonheur, il n'a rien de fiable : je me crois heureux durant ces quelques semaines où tout réussit, mais bientôt, rétrospectivement, je me rendrai compte qu'il n'y avait là que bien-être et tonicité. La joie ne fait pas plus le bonheur qu'une hirondelle le printemps, cite-t-on depuis Aristote. Elle illumine les visages, mais rien n'est plus trompeur que cette inscription de sens à la surface des visages, qui fera paraître l'un rieur et l'autre bougon par pur hasard de la configuration des traits. [Retour à la question des critères] Il faut alors déchanter. Il va de soi que le sens est invisible. On ne s'attendra donc pas à trouver de critères d'un tel bonheur. Ce que les autres hommes laissent constater ne permet pas de conclure : combien de suicidés dont on aura pu penser jusqu'au dernier moment que "tout allait bien"! De plus, et conformément à un paradoxe habilement mis en lumière par Kant, le sujet lui-même ne peut pas dire s'il a été vertueux. Autant la souillure se voit, autant la vertu est incertaine. Si je n'ai pas plongé dans l'eau froide pour sauver un enfant de la noyade, l'idée ne m'en quittera pas et je ne pourrai jamais prétendre à une vie sans tache. Mais si j'ai plongé, rien ne me dit que c'est "par vertu" plutôt que par bravade, par réflexe, par irréflexion... Le sens d'une vie morale ne se trouve que s'il se cherche, et s'il se cohère longuement, et la certitude du bonheur résulte alors d'un haut degré de réflexivité. Au moment où le cercueil descend dans la tombe, nous ne pouvons que ressentir la grande incertitude qui résulte de ce que nous avons trop peu parlé. Ce défunt, si nous avions pris le temps de réfléchir avec lui sur le sens de sa vie, nous aurions lentement approché les contours généraux de son éventuel bonheur, avec toujours cette clause d'incertitude qu'il ne disait et qu'il ne se disait peut-être pas tout. Il est donc concevable de partir en chasse aux critères, de façon à pouvoir trancher si autrui est heureux ou non, mais avec cette réserve que les critères garderont une certaine approximation, comme il est fatal dès que l'on se trouve dans le plan de l'herméneutique, où tout se ruine en un instant : combien de prolixes professions de bonheur n'ont d'autre fonction que de faire barrage à l'insoutenable évidence d'une vie gâchée. [conséquences et exploitation : ne pas confondre image et critère] Une telle façon de voir dessine comme une obligation de parler du bonheur, de dialoguer le bonheur, en évitant de se laisser fasciner par ses images et ses clichés. Dans un monde publicitaire acharné à leurrer, c'est loin d'aller de soi. Le critère est au bout d'un travail sincère. Inversement, il apparaît comme une hygiène de récuser les images du bonheur que l'on nous administre : beaux objets, décors de chrome ou d'idylle d'où la négativité a été chassée, évidence de la médiation par l'objet, amoralité du contexte... [transition] Ce moralisme pourrait nous suffire. Toutefois, il n'a pas été précisé encore quel type de vertu était requis. Le bonheur se construit-il sur des vertus d'affrontement, de justice, de bonté? Par l'art de la gestion du désir? Suffit-il d'aimer? [Troisième partie, reposant sur la doctrine aristotélicienne du bonheur] Si l'on écoute Aristote, qui n'est pas le moindre conseiller en ces matières, pour être heureux, il faut tout.  Aristote n'a rien d'un démesuré, tout au contraire, mais il perçoit que le principe (entéléchique) du bonheur ne dispense pas de ses accompagnements. Pour le principe, il s'agit de réaliser les virtualités les plus humaines, à leur plus haut degré, appliquées aux plus hauts objets, conformément au concept de télos. Je suis homme, j'ai à porter à son sommet (akmè) ce qui appartient en propre aux hommes, à savoir la pensée. Mais de multiples conditions sont requises, santé, beauté, combativité, argent, descendance, et ... chance. Aristote tranche nos conversations de table avec vigueur : ne cherchez pas une condition du bonheur, mais toutes.

Chacun de ces acolytes nécessaires joue alors un rôle de critère, mais de critère négatif s'il vient à manquer. Ce malade, ce handicapé n'aura pas été pleinement heureux. Si cet autre a été pauvre, non plus. Ce qui fait qu'au moment du bilan d'une vie, nombreux sont ceux pour qui manifestement les conditions du bonheur n'étaient pas remplies. Perspective cruelle et d'un eudémonisme bien peu "démocratique", mais qui concorde avec les arrière pensées que tout un chacun peut ressentir. A la loterie du bonheur tous ne gagnent pas et les lots sont d'une flagrante inégalité. Mais, cruel ou non, n'est-ce pas le cas? Ne sommes nous pas sous le règne d'une loi de partage qui se garde de distribuer à tous un lot de même valeur? [Réponse à une objection] A moins que l'on puisse être heureux "quand même". Nous autres héritiers du christianisme serions tout disposés à faire de l'épreuve une occasion d'affermir le bonheur, voire de le mériter et de le gagner, comme dans l'ordalie. Les Textes sacrés ne vomissent-ils pas la tiédeur en général, et celle des vies sans historie en particulier. Mais Aristote ne l'aurait sûrement pas accordé. La résistance à l'adversité est pour lui affaire de caractère, donc d'éducation, et tout homme bien élevé sait garder sa dignité dans l'épreuve. On est bien loin de l'idée hégélienne du travail du négatif ou de l'image romantique de la mine dans laquelle il faut descendre pour espérer trouver le diamant. [Ultime centrage sur la question posée] Si des objectivités permettent de diagnostiquer le malheur, par contre ce qui fait le centre du bonheur tombe à nouveau dans l'invisibilité. Rappelons que pour Aristote, le bonheur concerne l'activité de notre âme la plus intellectuelle appliquée aux plus hauts objets. En clair la connaissance métaphysique et théologique. Il ne veut évidemment pas dire que la "contemplation" procure à celui qui contemple un vécu suprêmement délectable - ce serait du mysticisme, et par ailleurs l'orgasme n'a jamais constitué un modèle de savoir vivre -, mais qu'un homme qui ne pense pas passe à côté de l'essentiel et ne peut prétendre avoir honoré sa destination. C'est un devoir de savoir et le bonheur suit de son accomplissement. Mais on voit que cette formule est grosse de tous les enfers : comment savoir? Quand en saurai-je assez? Suis-je certain de savoir? Comment savoir tout sur tout? Et pour la question qui nous occupe, quels sont les signes de la détention du savoir? Si Aristote pouvait nous guider dans la réponse, il nous suggérerait peut-être qu'il ne s'agit pas de confondre savoir et culture, et que le savoir qu'il a en vue est de nature théologique. Il reste un côté asymptotique à ce bonheur : je puis tendre vers le savoir, je puis en savoir assez ou beaucoup, mais jamais je ne puis prétendre être en possession exhaustive de ce savoir théorétique. Du coup les critères doivent se contenter d'être partiels et inchoatifs : ce défunt qu'on porte en terre m'a montré qu'il ne comprenait pas rien au monde et je l'ai vu affairé à comprendre. Mais son bonheur se conjugue en un mode seulement probable. [Conclusion : une boutade ou une image quelconque...] 

Liens utiles