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Grand cours: CONSCIENCE & INCONSCIENT (i de j)

Publié le 22/02/2012

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conscience

 

4) Bilan : la révolution psychanalytique

 

- L'hypothèse de l'inconscient s'avère donc, aux yeux de Freud, nécessaire et légitime : les symptômes psychopathologiques, les rêves, les actes manqués, les lapsus seraient incompréhensibles sans cette hypothèse. Freud entend donc dégager le sens caché de nos conduites : la psychanalyse se définit alors comme une interprétation géniale des comportements humains, un décryptage des sens cachés derrière le sens apparent.

 

- La psychanalyse nous est apparue comme une explication des phénomènes psychiques par des conflits de force (énergétique), mais aussi comme une exégèse du sens apparent par un sens latent (herméneutique). La théorie freudienne met en place une " logique du double sens " (ibid., p.59) où le langage est décrit comme fondamentalement distordu, dans la mesure où il veut dire autre chose que ce qu'il dit, il a un double sens, il est équivoque.

 

- L'inconscient désigne véritablement un texte à déchiffrer, une " récollection du sens " (ibid., p.38), de même que l'interprétation se présente comme un " exercice du soupçon " : entreprise de réduction des illusions et des mensonges de la conscience. La psychanalyse nous laisse ainsi à penser que la conscience n'est pas telle qu'elle croit être et que sa catégorie fondamentale est, comme le dit Ricoeur, le " rapport caché-montré ou, si l'on préfère, simulé-manifesté " (ibid., p.44).

 

- La psychanalyse est donc une authentique procédure de la démystification.  En cela, Freud est un des grands maîtres du soupçon, à la suite de Nietzsche et de Marx.

 

- Mais, loin d'être un détracteur de la conscience, Freud vise plutôt à une extension de celle-ci: " ce que veut Freud, c'est que l'analysé, en faisant sien le sens qui lui était étranger, élargisse son champ de conscience, vive mieux et finalement soit un peu plus libre et, si possible, un peu plus heureux " (ibid., p. 45). Par le discours, Freud nous enseigne la possibilité d'une mise en place d'un éclairement et d'une redistribution des désirs du Moi : " le Je advient où le ça était ", en ce sens que le sujet émerge à la place de la confusion et de l'obscurité des désirs inconscients. Le Je accède ainsi à la lumière de la conscience par le travail de la parole.

 

- A ce titre, le freudisme représente un acquis irréversible, et ce, bien que la psychanalyse connaisse, de nos jours, une époque de " vaches maigres " qui est le résultat direct des nombreux assauts critiques que la psychanalyse a subis du vivant même de Freud et surtout après sa mort en 1939.

 

C) LE PROCES DE L'INCONSCIENT

- La psychanalyse a été l’objet de nombreuses critiques tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du mouvement psychanalytique. C’est notamment l’hypothèse de l’inconscient qui pose problème.

- En effet, Freud prétend que le sens préexiste dans l’inconscient et que le psychanalyste ne fait que le mettre à jour. Faut-il alors admettre que l’inconscient est conscient de ses propres pulsions, conscient de la censure et de ses interdictions, suffisamment intelligent pour se déguiser ? L’inconscient serait, dans cette hypothèse, conscient de lui-même et de la conscience. Mais n’est-ce pas paradoxal et profondément obscur ? Qui plus est, postuler l’existence en nous d’une pensée inconsciente n’est-ce pas compromettre gravement la liberté?

 

1.     L'inconscient, une hypothèse rétroactive et aporétique

 

- L'inconscient ne serait-il pas, en premier lieu, le résultat d'une construction a posteriori, c'est-à-dire d'une hypothèse rétroactive destinée à éclairer toutes les difficultés de la vie psychologique ?

 

- En effet, l'inconscient est insensible au temps mais il se souvient des traumatismes et des paroles de l'autre; il oppose une résistance à la cure parlée, il raisonne, imagine, identifie, oppose, masque, s'exprime, se cache, etc.  Cet inconscient n'est rien d'autre que la conscience elle-même, les opérations qu'on attribue à l'inconscient sont les opérations mêmes de la conscience quotidienne. Par un préjugé qui identifie conscience et conscience claire, on a rejeté dans les ténèbres de l'inconscient les activités obscures, affectives, contradictoires qui sont celles de la conscience.

 

- La théorie freudienne implique une sous-estimation des limites inhérentes à toute conscience de soi. Il s'agit d'une position idéaliste qui méconnaît les difficultés inhérentes à tout processus de prise de conscience. La psychanalyse pèche par excès de rationalisme : elle ne dévalorise la conscience que pour " surintellectualiser " l’inconscient. Un minimum d’aveuglement n’est - il pas nécessaire et indépassable ?

 

- La psychanalyse serait ainsi un croyance naïve à la possibilité de la pleine lucidité, de la pleine conscience : la psychanalyse n’attribue, en effet, l’inconscience qu’au refoulement, elle croit qu’il est possible de la vaincre grâce à la cure, et de voir clair en soi ; elle croit qu’il est possible au psychanalyste de voir ce que les autres ne voient pas, et de les connaître dans leur vérité

 

- L'inconscient n'est alors rien d 'autre que la projection, dans le passé de l'individu, de l'activité de la conscience. En réalité, ce sont les événements conscients rapportés par le patient dans sa parole qui éclairent le désir : ce sont les associations de la parole libre, les commentaires sur les rêves, les récits sur la vie affective qui permettent de définir le désir inconscient. C'est donc la conscience parlée qui éclaire l'inconscient et non l'inverse.

 

- L’inconscient n’est - il pas alors une création pure et simple du psychanalyste, en ce sens que l’inconscient ne vient à l’être que par l’interprétation. Le sens que révèle l’interprétation ne lui préexisterait pas mais s’engendrerait par elle. Les symptômes névrotiques, le rêve posséderaient bien un sens mais un tel sens serait celui auquel parviendrait le psychanalyste au terme d’un travail d’élucidation.

 

- L’inconscient serait, dans ce cas, une sorte « d'infra-conscience «, un effort vers le langage, une expression archaïque, fragmentaire. Le sujet qui souffre serait, au fond, celui qui ne serait pas libéré du poids de l’habitude, des préjugés de l’enfance ; il ne réussirait pas à verbaliser, à donner une cohérence à sa vie. Le rôle du psychanalyste se limiterait à reconstituer, à partir des données fragmentaires que le sujet donnerait, un texte clair, lisible, cohérent. La fin de la cure ne serait jamais que l’acquiescement du sujet à la signification donnée par le psychanalyste, lequel serait comme un sorcier.

 

- On peut également déceler une contradiction dans la théorie freudienne. Freud affirme, en effet, que par la psychanalyse il est possible de prendre conscience de son inconscient, de remplacer « le ça par le moi «. Comment admettre que l’inconscient est conscient de ses propres pulsions, conscient de la censure et de ses interdictions et suffisamment intelligent pour se déguiser ? L’inconscient serait alors conscient de lui-même et de la conscience.

 

2) La scientificité de la psychanalyse

 

- La plus célèbre critique de la scientificité de la psychanalyse est venue de Karl Popper.

 

- Selon Popper, une théorie scientifique n’est jamais vérifiable empiriquement, c’est-à-dire confirmée par les faits. C’est la falsifiabilité qui est le critère de démarcation entre une vraie science et une pseudo-science. Seules peuvent être qualifiées de scientifiques les théories à la fois réfutables et non encore réfutées. Toute théorie est, en effet, provisoire. La démontrer, c’est tenter de la falsifier, c’est élaborer les conditions de la découverte de faits capables de l’infirmer. Le critère de scientificité d’une théorie réside dans la possibilité de l’invalider, de la réfuter ou encore de la tester.

 

- La falsifiabilité désigne donc la capacité d’une théorie scientifique de se soumettre à une méthode critique sévère, comportant des tests expérimentaux cruciaux susceptibles de la réfuter.  

 

- Ce qui caractérise, selon Popper, un énoncé métaphysique ou idéologique, c’est l’impossibilité d’établir à son endroit un protocole d’expérience susceptible de le réfuter. Un énoncé métaphysique ou idéologique n’est ni démontrable ni réfutable. Ce qui définit, au contraire, la scientificité, c’est la falsifiabilité, et c’est ce critère qui permet d’établir une démarcation entre science et non science

 

- Or, la psychanalyse n’est pas une science: les théories psychanalytiques “sont purement et simplement impossibles à tester comme à réfuter. Il n’existe aucun comportement humain qui puisse les contredire”. La psychanalyse est une théorie qui a réponse à tout. Cette capacité de tout expliquer, présentée comme le point fort de la théorie, est considérée, au contraire, par Popper comme son point le plus faible. Une théorie qui fait du complexe d’Oedipe le noyau de la névrose, la clef du devenir humain, peut expliquer tous les comportements imaginables, et aucun ne peut la mettre en défaut. Quelle que soit la critique qu’on lui adresse, aussi pertinente soit-elle, elle tourne à l’avantage de la psychanalyse car elle est aussitôt interprétée en termes de résistance. La psychanalyse est ainsi un système herméneutique irréfutable.

3) Les critiques d'Alain et de Sartre

- La psychanalyse se trouve contestée par une philosophie de la liberté pour laquelle l’Inconscient introduirait un déterminisme radical dans mes actes et pensées, et supprimerait ma liberté. Beaucoup de philosophes reprochent à la psychanalyse d’être réductionniste, c’est- à – dire de ramener la vie psychique à un jeu de forces pulsionnelles et affectives qui ne laisse guère de place à l’activité rationnelle, de rendre impensable la recherche de la vérité objective, de réduire en l’homme le supérieur à l’inférieur.

- Alain a mis en évidence les dangers éthiques du freudisme. S'il ne s'agit nullement de contester la réalité de l'inconscient, il convient toutefois de refuser les mythes dangereux qu'il pourrait envelopper et véhiculer : l'irresponsabilité notamment. " Il faut éviter plusieurs erreurs que fonde le terme d'inconscient. La plus grave de ces erreurs est de croire que l'inconscient est un autre Moi; un Moi qui a ses préjugés, ses passions et ses ruses; une sorte de mauvais ange, diabolique conseiller…"

- On parle d’inconscient là où il n’y a, au fond, qu’instinct ou mécanisme. Imaginer l’inconscient comme un personnage n’est qu’une manière de « donner dignité à son propre corps «. Qui plus est, reconnaître l’existence d’un inconscient psychique c’est reconnaître l’existence d’un autre Moi qui me gouvernerait à mon insu, c’est une abdication de soi et de sa responsabilité.

- Alain rapproche l'idée freudienne d’une autre erreur : la croyance en l’hérédité. Une telle croyance nous dépouille, en réalité, de la maîtrise de notre vie. Elle nous fait imaginer « qu'une même vie va recommencer «, une vie analogue à celle du père. Le texte s’achève alors sur le rejet de toute forme de déterminisme et sur l’affirmation de la pleine maîtrise de soi du sujet.

- Dans un perspective un peu similaire, Sartre, dans L'Etre et le Néant, refuse de faire de l'inconscient le maître de nos actes et de nos choix. Ne cherchons jamais d'excuses à nos actes et ne nous abritons pas derrière notre inconscient, veut au fond dire Sartre lorsqu'il critique Freud.

- En effet, comment concevoir une conscience qui ignorerait ce qu'elle refoule et rejette ? Comment est-il possible de refouler une représentation si on ne commence pas par en avoir conscience ? Comment l’analysé pourrait-il finir par reconnaître la vérité d’une interprétation, s’il ne savait pas en fait ce qu’il prétendait ne pas savoir ? Les phénomènes décrits par Freud ne sont que des cas particuliers de ce phénomène général qu’est la « mauvaise foi « : chacun écarte, en effet, de sa pensée les aspects du réel qui le gênent et tend à ne voir que ce qu’il a envie de voir.

- Mais comment ce mensonge à soi est-il possible ?

- D’abord parce qu'il y a toujours un décalage entre notre vécu et la représentation que nous en avons. La mauvaise foi renvoie fondamentalement à la condition humaine : caractérisé par cette mise à distance qu’est la conscience, l’être humain ne peut jamais coïncider avec lui-même, il « est ce qu'il n'est pas et il n'est pas ce qu'il est «. La spontanéité ou l’authenticité absolues sont, par conséquent, interdites : croire, c’est toujours affecter de croire ; dans tout sentiment ou comportement il y a une dimension de jeu et d’automystification.

- Aussi existe-t-il, dans toute vue, une part de mensonge. C’est dire que ce mensonge contient une part de vérité puisqu’aucune forme de sincérité absolue n’est possible.

- Par cette critique du freudisme, Sartre entend donc sauvegarder la liberté souveraine de la conscience, ainsi que l'unité et la transparence de la conscience.

 

4) Conclusion sur les critiques du freudisme

 

- La théorie freudienne semble donc poser plus de questions qu'elle n'en résout, malgré sa prétention à apporter un gain de sens et à constituer une hypothèse légitime et nécessaire fondée sur le caractère lacunaire de la conscience.

 

- L'idée d'un inconscient psychique et tout le cortège conceptuel qui l'accompagne apparaissent non seulement comme étant éminemment contradictoires, aporétiques, empreints d'un dogmatisme doctrinal généralisé, mais aussi comme signifiant un renoncement à soi, c'est-à-dire à la liberté.

 

- Le concept d'inconscient demeure énigmatique. S'il est non seulement différent de la conscience mais tout autre qu'elle, l'inconscient est situé en continuité avec elle, de telle sorte notamment que la conscience est un destin possible pour des représentations inconscientes. On peut parler d'une certaine indétermination quant au statut de l'inconscient.

 

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