Devoir de Philosophie

Humanisme et spiritualité Pierre-Henri SIMON

Publié le 24/03/2020

Extrait du document

humanisme

Humanisme et spiritualité

Pierre-Henri SIMON

1903 - 1972 Le Jardin et la ville (1962)

À prendre les choses très généralement, qu’est-ce que former l’esprit ? C’est d’abord l’informer, lui donner, au fur et à mesure qu’il peut les assimiler, les connaissances qui fondent l’action. Il est évident que chaque individu ne peut refaire pour son compte la science et la morale: il devra, certes, tout repenser par lui-même de ce qu’il aura reçu, faute de quoi il ne serait pas une personne, mais il devra d’abord avoir reçu. Seulement, pour penser, pour accéder à une idée personnelle des choses, pour faire progresser, dans la mesure du possible, les sciences, les arts, les techniques et la morale même, il faudra que son esprit ait acquis une force, une souplesse, une aptitude critique: il n’aura donc pas suffi de l’informer, il faudra l’avoir exercé. Or plus l’élève est neuf, plus cet impératif d’exercice a d’importance ; plus tard, on pensera davantage à le rendre savant, mais tout d’abord à placer l’accent sur la gymnastique du jugement. [...]

Et sans doute attend-on que j’appelle ici Montaigne, la culture recherchée non tant pour les «commodités externes» que pour la forme de l’intelligence cultivée, les études dont il faut sortir «habile homme» plutôt «qu’homme savant», le précepteur choisi pour sa tête «bien faite plutôt que bien pleine». Oui, je renvoie à ces phrases dorées, qui posent le principe de la pédagogie humaniste et qui, bien que consacrées à l’éducation aristocratique d’un « enfant de maison », ne laissent point d’être1 applicables à toute expérience pédagogique, quel qu’en soit le niveau intellectuel et social. Je n’y mettrai qu’une nuance, c’est de rappeler, dans la phrase de Montaigne, les mots que l’on omet généralement : « Choisissez un conducteur qui eût plutôt la tête bien faite que bien pleine, et qu’on y requît tous les deux. » Qu’on y requît tous les deux : le parti justement pris d’orienter l’instruction sur l’exercice du jugement plutôt que sur la charge de la mémoire, et d’exiger «les mœurs de l’entendement plus que la science», n’a jamais impliqué, pour Montaigne ni pour aucun humaniste de bonne race, une indifférence aux connaissances et à l’étoffe de la pensée : l’apologie de la tête bien faite ne saurait être l’excuse de la tête vide, conséquence

humanisme

« ÉTHIQUES ET CITOYENNETÉ qu'une certaine paresse en a parfois tirée.

Il est trop évident que l'esprit n'est pas un moulin qui puisse tourner sans rien moudre, ou du moins, 35 s'il le fait, c'est un passe-temps bien superflu et bien dangereux, si jolie que soit la musique.

La faculté critique ne peut s'exercer que sur une matière objective, et s'il est vrai que l'éducation doit choisir celle-ci selon un critère de complexité progressive, encore faut-il qu'il la donne à l'enfant.

Je dirai même qu'il ne suffit pas de justifier les connaissances 40 comme matières à exercer le jugement: elles ont intrinsèquement, dans la formation de l'esprit, leur valeur et leur utilité.

C'est le naturisme de Rousseau qui a mis en circulation l'idée contestable que l'intelligence de l'homme est plus belle et plus forte dans sa virginité; qu'elle doit n'apprendre que ce qui lui paraît immédiatement utile et ne savoir que 45 ce qu'elle découvre, ou ce que son précepteur ingénieux la conduit sub­ tilement à découvrir: en vérité, l'enfant est un héritier, et l'idée même de civilisation n'est pas séparable de celle d'un patrimoine continuelle­ ment accru et transmis, de telle sorte que chaque génération bénéficie de l'expérience de toutes celles qui l'ont précédée, pour concevoir sa so sagesse et posséder sa science, et pour faire à son tour un pas en avant.

Ce qui veut dire que l'esprit del' enfant doit recevoir, au fur et à mesure qu'il a la force de les digérer (et cette force grandit par l'acte même d'apprendre), les connaissances qui font de lui un homme de son temps, un civilisé, un fils en possession de son patrimoine.

Le Jardin et la ville, Éd.

du Seuil.

1.

Som pourtant.

,.~-Î~entifiez le procédé argumentatif auquel l'auteur a recours à partir de la ligne 15.

• Quels reproches Pierre-Henri Simon fait-il au système pédagogique de Rousseau? • À quels indices perçoit-on les préférences de l'auteur pour Montaigne? > Groupement de textes: voir 65 -67 -69 -74.

126. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles