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Indépendance à l'égard des mobiles? Le libre arbitre : arbitraire ou bien raison ?

Publié le 22/02/2012

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libre arbitre
Je désire, premièrement, que l'on remarque que l'indifférence me semble signifier proprement cet étal dans lequel la volonté se trouve, lorsqu'elle n'est point portée, par la connaissance de ce qui est vrai ou de ce qui est bon, à suivre un parti plutôt que l'autre; et c'est en ce sens que je l'ai prise, quand j'ai dit que le plus bas degré de la liberté consistait à se pouvoir déterminer aux choses auxquelles nous sommes tout à fait indifférents. Mais peut-être que, par ce mot d'indifférence, il y en a d'autres qui entendent cette faculté positive que nous avons de nous déterminer à l'un ou à l'autre de deux contraires, c'est-à-dire à poursuivre ou à fuir, à affirmer ou à nier une même chose. Sur quoi j'ai à dire que je n'ai jamais nié que cette faculté positive se trouvât en la volonté; tant s'en faut, j'estime qu'elle s'y rencontre, non seulement toutes les fois qu'elle se détermine à ces sortes d'actions, où elle n'est point emportée par le poids d'aucune raison vers un côté plutôt que vers un autre; mais même qu'elle se trouve mêlée dans toutes ses autres actions, en sorte qu'elle ne se détermine jamais qu'elle ne la mette en usage; jusque-là que, lors même qu'une raison fort évidente nous porte à une chose, quoique, moralement parlant, il soit difficile que nous puissions faire le contraire, parlant néanmoins absolument, nous le pouvons : car il nous est toujours libre de nous empêcher de poursuivre un bien qui nous est clairement connu, ou d'admettre une vérité évidente, pourvu seulement que nous pensions que c'est un bien de témoigner par là la liberté de notre franc arbitre. De plus il faut remarquer que la liberté peut être considérée dans les actions de la volonté, ou avant qu'elles soient exercées, ou au moment même qu'on les exerce. Or il est certain, qu'étant considérée dans les actions de la volonté avant qu'elles soient exercées, elle emporte avec soi l'indifférence, prise dans le second sens que je la viens d'expliquer, et non point dans le premier. C'est-à-dire qu'avant que notre volonté se soit déterminée, elle est toujours libre, ou a la puissance de choisir l'un ou l'autre de deux contraires, mais elle n'est pas toujours indifférente; au contraire, nous ne délibérons jamais qu'à dessein de nous ôter de cet état, où nous ne savons quel parti prendre, ou pour nous empêcher d'y tomber. Et bien qu'en opposant notre propre jugement aux commandements des autres, nous ayons coutume de dire que nous sommes plus libres à faire les choses dont il ne nous est rien commandé, et où il nous est permis de suivre notre propre jugement, qu'à faire celles qui nous sont commandées ou défendues; toutefois, en opposant nos jugements ou nos connaissances les unes aux autres, nous ne pouvons pas ainsi dire que nous soyons plus libres à faire les choses qui ne nous semblent ni bonnes ni mauvaises, ou dans lesquelles nous voyons autant de mai que de bien, qu'à faire celles où nous apercevons beaucoup plus de bien que de mal. Car la grandeur de la liberté consiste, ou dans la grande facilité que l'on a à se déterminer, ou dans le grand usage de cette puissance positive que nous avons de suivre le pire, encore que nous connaissions le meilleur. Or est-il que, si nous embrassons les choses que notre raison nous persuade être bonnes, nous nous déterminons alors avec beaucoup de facilité; que si nous faisons le contraire, nous faisons alors un plus grand usage de cette puissance positive; et ainsi nous pouvons toujours agir avec plus de liberté touchant les choses où nous voyons plus de bien que de mal, que touchant celles que nous appelons indifférentes. Et en ce sens-là aussi, il est vrai de dire que nous faisons beaucoup moins librement les choses qui nous sont commandées, et auxquelles sans cela nous ne nous porterions jamais de nous-mêmes, que nous ne faisons celles qui ne nous sont point commandées. D'autant que le jugement, qui nous fait croire que ces choses-là sont difficiles, s'oppose à celui qui nous dit qu'il est bon de faire ce qui nous est commandé; lesquels deux jugements, d'autant plus également ils nous meuvent, et plus mettent-ils en nous de cette indifférence, prise dans le sens que j'ai le premier expliqué, c'est-à-dire qui met la volonté dans un état à ne savoir à quoi se déterminer. Maintenant, la liberté étant considérée dans les actions de la volonté au moment même qu'elles sont exercées, alors elle ne contient aucune indifférence, en quelque sens qu'on veuille la prendre; parce que ce qui se fait, ne peut pas ne se point faire dans le temps même qu'il se fait; mais elle consiste seulement dans la facilité qu'on a d'opérer, laquelle, à mesure qu'elle croît, à mesure aussi la liberté augmente; et alors faire librement une chose, ou la faire volontiers, ou bien la faire volontairement, ne font qu'une même chose. Et c'est en ce sens-là que j'ai écrit que je me portais d'autant plus librement à une chose, que j'y étais poussé par plus de raisons, parce qu'il est certain que notre volonté se meut alors plus facilement et avec plus d'impétuosité. R. Descartes.

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