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La gauche "plurielle" devance largement une droite disloquée

Publié le 17/01/2022

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13 juin 1999 Comparé à ce qu'il a été dans les quatorze autres pays de l'Union européenne, le niveau de l'abstention, en France, dimanche 13 juin, s'est situé dans la moyenne, très en dessous de l'indifférence exprimée massivement par les Britanniques ou les Néerlandais. Il n'en reste pas moins qu'une participation inférieure à la moitié de l'électorat (47 %), aggravée par un nombre inhabituel de bulletins blancs ou nuls, doit être considérée comme un signe alarmant d'incompréhension, voire d'hostilité devant le débat européen tel qu'il a été mené durant la campagne. En l'absence d'enjeux de politique intérieure suffisamment clairs pour l'attirer aux urnes, plus d'un électeur sur deux n'a pas été convaincu de s'y rendre par les options européennes qui lui étaient proposées. Cette désertion ne peut pas être minimisée par une comparaison avec les quatre élections européennes précédentes. La mise en place de l'euro, la chute, provoquée par le Parlement de Strasbourg, de la Commission européenne présidée par Jacques Santer, et la guerre du Kosovo ont donné à la politique européenne une densité qu'elle n'avait pas auparavant. La plupart des partis en ont tenu compte et ont fait dans leurs discours, positifs ou critiques, une large place à l'Europe. L'attitude des abstentionnistes relève donc d'une sorte de grève du vote devant des évolutions qui sont ressenties comme impénétrables au sens commun ou comme ayant pour effet de déposséder les citoyens de toute influence sur les choix des dirigeants. S'y est ajouté, en France, le mécontentement spécifique de certains secteurs de la population, dont les préférences vont généralement à la droite et que finit par lasser le marasme dans lequel celle-ci ne cesse de s'enfoncer. Écart respectable La gauche a profité de cette double abstention. L'hostilité envers l'Europe frappe moins, en effet, son électorat que celui de la droite, et les électeurs qui avaient voté pour elle en 1997 ont moins de reproches à lui faire que ses adversaires n'ont de griefs envers les dirigeants de l'opposition. Lionel Jospin s'est félicité d'un "très bon résultat" pour la liste que conduisait François Hollande, en ajoutant que "pour la majorité plurielle, dans son ensemble, avec des modifications qui tiennent aussi à la nature du scrutin, c'est aussi un bon résultat". Avec 22 % des voix, le PS, auquel s'étaient associés le MDC et le PRG, a obtenu, sinon un "très bon" résultat, du moins un niveau d'adhésion pas très éloigné du pic atteint en 1989 (23,62 %), un an après la réélection de François Mitterrand et la mise en place du gouvernement de Michel Rocard. Quant à la gauche gouvernementale dans son ensemble, avec près de 39 % des voix, elle réussit son meilleur score des quatre scrutins européens qu'elle a affrontés en étant au pouvoir. C'est pour elle l'événement principal, qui, non seulement, la place, pour la première fois dans ce type d'élection, devant l'opposition, mais à bonne distance du total (35 %) des trois formations de droite. Cependant, l'événement secondaire, que M. Jospin a attribué à la "nature du scrutin", est presque aussi important. Avec près de 10 % des voix, les Verts, autour de Daniel Cohn-Bendit, apparaissent aujourd'hui comme la deuxième formation de la gauche. Leur électorat représente presque la moitié de celui du PS, du MDC et du PRG réunis. Quand on se souvient des charges lancées contre M. Cohn- Bendit par les représentants de la gauche installée, parmi lesquels s'était distingué Jean- Pierre Chevènement, on comprend sa mauvaise humeur : le ministre de l'intérieur a diagnostiqué "un effet Cohn-Bendit et un effet dioxine" qui sans doute, à ses yeux, ne font qu'un... Il est peu probable que M. Jospin, qui avait fait savoir qu'à ses yeux le résultat des élections européennes ne peut influer sur la composition du gouvernement, change d'avis du jour au lendemain. Les réalités parlementaires - trente-trois députés communistes, sept Verts - vont reprendre leurs droits, à charge pour les écologistes, une fois M. Cohn- Bendit revenu à Bruxelles, de traduire en projets et propositions le "score assez extraordinaire" dont s'est félicitée leur tête de liste. Les discussions sur la préparation des élections municipales de mars 2001, déjà commencées entre les Verts et les socialistes, vont prendre une tournure nouvelle, notamment à Paris, où les écologistes apparaissent comme les principaux partenaires d'une éventuelle victoire de la gauche. Échec du PCF Pour les communistes, le résultat des élections européennes est évidemment décevant. "Mutation", participation au gouvernement, intégration dans la gauche "plurielle", changement de visage de la CGT, ouverture de la liste à des personnalités non communistes : rien n'y fait, le PCF, loin de retrouver le niveau rassurant atteint par Robert Hue au premier tour de l'élection présidentielle de 1995 (8,64 %), plafonne au-dessous de 7 % des voix. Le renouvellement a fait long feu. Sans doute la stagnation de l'extrême gauche - Lutte ouvrière et la Ligue communiste révolutionnaire, ensemble, ne font pas mieux que les 5 % obtenus par la seule Arlette Laguiller en 1995 - atténue-t-elle l'échec du Parti communiste, mais le risque existe, pour M. Hue, d'apparaître comme le dirigeant d'un parti annexé en fait par le PS, sous couvert de majorité "plurielle". A droite, l'échec de Nicolas Sarkozy, dont la liste arrive derrière celle de Charles Pasqua, est d'abord celui de Jacques Chirac. Au total, les deux listes dont la démarche était clairement déconnectée de celle du chef de l'Etat - pour ne pas dire en rupture franche avec lui -, celle de M. Pasqua (plus de 13 % des voix) et celle de François Bayrou (plus de 9 %), devancent de près de 10 points celle du RPR et de DL (environ 12,7 %). Au moment où l'extrême droite, scindée en deux, semble bien confirmer dans les urnes, avec 9 % des voix au total, la baisse d'influence enregistrée par les sondages, la droite ne profite pas du déclin de cette force politique, qu'elle a longtemps présentée, pourtant, comme la principale cause de ses difficultés. Non seulement la situation de M. Chirac, deux ans après sa dissolution de l'Assemblée nationale, ne s'est pas améliorée, mais elle s'est dégradée. PATRICK JARREAU Le Monde du 15 juin 1999

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