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La tragédie de l'Exodus-47

Publié le 17/01/2022

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8 septembre 1947 - Le dernier acte de la tragédie de l'Exodus-47 s'est joué ce matin à l'aube dans le port de Hambourg. Le débarquement des émigrants juifs, qui ont navigué près de soixante jours à bord des trois liberty-ships, a commencé sans incident. L'opération " Oasis " -comme les Anglais ont dénommé ce débarquement,-qui avait été prévue pour dimanche, n'a eu lieu que ce matin en raison de la brume et sans doute pour permettre au calme de revenir à bord de l'Ocean-Vigour, le premier des bateaux-cages arrivé à Hambourg samedi. La résistance fut symbolique. Un représentant des émigrés avait demandé que les troupes anglaises descendent dans la cale et ordonnent aux réfugiés de débarquer. Ce fut accordé. Lentement, silencieusement, les rescapés de l'Exodus quittèrent alors l'Ocean-Vigour; les soldats britanniques transportaient leurs bagages. On voyait qu'ils étaient à bout de forces et qu'ils sentaient qu'une véritable résistance était devenue inutile. Conduits aux wagons qui leur étaient réservés, ils seront transportés au fur et à mesure vers les camps de Lübeck, à 75 kilomètres de Hambourg, dont l'aménagement vient d'être terminé. Seuls peuvent pénétrer sur le quai 29 les journalistes accrédités auprès du service britannique d'informations. Des palissades cachent tout mouvement dans le bassin, et de nombreux curieux, enfants en guenilles, Allemands au teint terreux, aux vêtements élimés, massés le long du Landungsbrücke, ne purent entrevoir le premier des liberty-ships ramenant en terre allemande des juifs qui, quelques mois auparavant, tentèrent de s'en évader à jamais. A Port-de-Bouc les organisations juives avaient participé à l'accueil des réfugiés. Les autorités britanniques annoncèrent récemment que l'American Joint Distribution Committee (AJDC) ferait partie du service d'accueil. Or le " Joint " a catégoriquement refusé toute collaboration, ainsi que les autres organisations israélites de secours. Ce refus peut avoir de graves conséquences pour l'AJDC, qui assure le ravitaillement des la plupart des personnes " déplacées " juives en Allemagne. Les journalistes et photographes n'ont pas été autorisés à monter sur le bateau. En compensation ils jouissent à Hambourg d'une organisation remarquable. Des voitures avec leurs chauffeurs sont à leur disposition. Du Press Camp ils peuvent téléphoner ou télégraphier à leurs journaux, et les observateurs russes obtiennent Moscou en une heure. A l'hôtel Reichshof, pour un shilling par jour, ils ont une chambre, trois repas et quinze cigarettes, et dans la salle à manger un orchestre allemand, aux heures de repas, alterne musique de jazz et valses viennoises. Au même moment quatre mille juifs échappés à l'enfer nazi sont contraints à débarquer sur ce sol où ils ont laissé les cadavres de tant de leurs frères... Certes les méthodes britanniques et les méthodes nazies n'ont rien de commun. Pourquoi alors au quai 29, tandis que descendent un à un les juifs de l'Exodus, des haut-parleurs diffusent-ils une violente musique de danse ? Malgré soi on est amené à évoquer de pénibles souvenirs. Aujourd'hui le débarquement se poursuivra. Puis ce sera le tour du Runymede-Park et de l'Empire-Rival. Comment se comporteront les passagers de ces deux autres liberty-ships, dont les meneurs ont été au préalable emprisonnés pour éviter toute agitation à bord ? Nous le saurons bientôt. Mais n'oublions pas que les émigrants de l'Empire-Rival sont pour la plupart des jeunes gens décidés. Les parachutistes de la Royal Airborne qui assurent leur garde en savent quelque chose. Alors que le transfert des réfugiés de l'Ocean-Vigour avait commencé dans une atmosphère presque complètement détendue, on annonce que les troupes britanniques ont chargé à coup de poing et de matraque les juifs qui refusaient de débarquer. A 9 h 35, après le débarquement par la force d'une demi-douzaine de jeunes israélites, environ deux cents policiers et soldats britanniques casqués sont montés à bord. De nouvelles scènes de violence se produisent peu avant 10 heures lorsqu'une trentaine de jeunes émigrants qui s'accrochent à la rambarde et à la passerelle sont portés à terre. Certains d'entre eux crient : " Nous n'avons pas perdu notre espoir! ", et veulent interpeller les journalistes. Mais les soldats britanniques les empêchent de parler. Des ouvriers allemands installent à présent une seconde passerelle et le débarquement se poursuit. Les autorités tentèrent d'éloigner les journalistes de l'espèce de tribune qui leur était réservée et d'où l'on voyait le mieux. Les haut-parleurs cessent de diffuser de la musique et ne font plus entendre qu'un avis officiel de temps à autre. Un second train d'émigrants a quitté les docks à 10 heures. Au moment du départ les émigrants ont hué les troupes britanniques et ont protesté violemment contre la façon dont ils étaient traités. Le débarquement a continué ensuite sans incidents. Alors que l'Ocean-Vigour approchait de Hambourg, l'agence Dena annonçait que le comité central des juifs libérés, au camp de Belsen, demandait à tous les coreligionnaires de la zone britannique d'observer une stricte discipline pendant l'opération du débarquement. Cependant, en dépit de ces recommandations, des troubles ont éclaté dimanche après-midi dans le camp même de Belsen, où près de cinq mille juifs ont manifesté violemment contre la Grande-Bretagne. Une effigie de M. Bevin, portant en surimpression une croix gammée, a été brûlée en même temps qu'un drapeau anglais. D'autre part, les cent quarante mille juifs qui se trouvent dans des camps de la zone américaine ont décidé de faire la grève de la faim pendant toute la journée d'aujourd'hui lundi pour protester contre le débarquement de l'Exodus.-(Reuter.) Le Monde du 9 septembre 1947

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