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La vertu est ennuyeuse.

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

Puisque je puis faire mon bonheur par des vices qui me sont naturels, que j'ai acquis sans travail, que je conserve sans effort, qui cadrent avec les moeurs de ma nation, qui sont du goût de ceux qui me protègent, et plus analogues à leurs petits besoins particuliers que des vertus qui les gêneraient, en les accusant depuis le matin jusqu'au soir; il serait bien singulier que j'allasse me tourmenter comme une âme damnée, pour me bistourner et me faire autre que je ne suis; pour me donner un caractère étranger au mien; des qualités très estimables, j'y consens, pour ne pas disputer; mais qui me coûteraient beaucoup à acquérir, à pratiquer, ne me mèneraient à rien, peut-être à pis que rien, par la satire continuelle des riches auprès desquels des gueux comme moi ont à chercher leur vie. On loue la vertu; mais on la hait; mais on la fuit; mais elle gèle de froid; et dans ce monde, il faut avoir les pieds chauds. Et puis cela me donnerait de l'humeur, infailliblement; car pourquoi voyons-nous si fréquemment les dévots si durs, si fâcheux, si insociables? C'est qu'ils se sont imposé une tâche qui ne leur est pas naturelle. Ils souffrent, et quand on souffre, on fait souffrir les autres. Ce n'est pas là mon compte, ni celui de mes protecteurs; il faut que je sois gai, souple, plaisant, bouffon, drôle. La vertu se fait respecter, et le respect est incommode. La vertu se fait admirer, et l'admiration n'est pas amusante. J'ai affaire à des gens qui s'ennuient et il faut que je les fasse rire. Or, c'est le ridicule et la folie qui font rire, il faut donc que je sois ridicule et fou; et quand la nature ne m'aurait pas fait tel, le plus court serait de le paraître. Heureusement, je n'ai pas besoin d'être hypocrite; il y en a déjà tant de toutes les couleurs, sans compter ceux qui le sont avec eux-mêmes.... . Dans un sujet aussi variable que les moeurs, il n'y a d'absolument, d'essentiellement, de généralement vrai ou faux, sinon qu'il faut être ce que l'intérêt vent qu'on soit; bon ou mauvais; sage ou fou; décent ou ridicule; honnête ou vicieux. Si par hasard la vertu avait conduit à la fortune; ou j'aurais été vertueux, ou j'aurais simulé la vertu comme un autre. On m'a voulu ridicule, et je me le suis fait; pour vicieux, nature seule en a vail fait les frais. Quand je dis vicieux, c'est pour parler Votre langue; car si nous venions à nous expliquer, il pourrait arriver que vous appelassiez vice ce que j'appelle vertu, et vertu ce que j'appelle vice. DIDEROT

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