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L'Autorité palestinienne minée par le blocage du processus de paix

Publié le 17/01/2022

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7 mars 2001 Par sa durée et par son intensité, le bouclage des zones autonomes contrôlées totalement ou seulement partiellement par l'Autorité palestinienne est sans précédent. Eclipsé par les opérations militaires qui ensanglantent régulièrement les territoires occupés et autonomes et par l'apparente continuité de la vie dans les principales agglomérations palestiniennes, il bouleverse pourtant dans des proportions jusqu'à présent inégalées la vie des Palestiniens. Qui aurait pu imaginer la bande de Gaza à la fois coupée du monde extérieur et tronçonnée en trois ou quatre parties, au gré des barrages israéliens déployés à la suite d'attaques contre des patrouilles de Tsahal, des convois de colons ou bien contre leurs camps retranchés ? Qui s'attendait à ce que les accès aux villes et aux villages de Cisjordanie soient durablement barrés par des levées de terre et de pierres ? Que les transports de marchandises, les déplacements de personnes, même pour raisons sanitaires, dépendent du bon vouloir des troupes d'occupation ou de périples aléatoires sur de mauvais chemins ? Doublé du gel du transfert du produit des taxes qui reviennent de droit aux Palestiniens, ce bouclage a pour objectif avoué de faire plier l'Autorité palestinienne. Se définissant comme agressé et en état de légitime défense, Israël pose comme préalable l'arrêt des violences perpétrées par les Palestiniens et joue du blocus pour y parvenir. Dénonçant l'usage disproportionné de la violence par Tsahal et les punitions collectives, les responsables palestiniens exigent avant toute chose la fin des bouclages israéliens, qui incitent, selon eux, à la riposte. Cette impasse risque-t-elle de provoquer l'effondrement du système provisoire qu'est l'Autorité présidée par Yasser Arafat ? Depuis le début de cette véritable guerre larvée, les moindres signes d'un effritement sont guettés. L'assassinat du directeur de la télévision palestinienne, à Gaza, en janvier, par des hommes restés depuis introuvables, les escarmouches mettant aux prises les diverses factions des camps de Jabalia et de Khan Younes avec la sécurité préventive, toujours à Gaza, en février, ont été interprétés en ce sens. A juste titre ? ACCUSATIONS DE CORRUPTION L'élimination d'un responsable incarnant cette corruption qui colle aux basques de l'Autorité depuis les rapports au vitriol rédigés par le Conseil législatif palestinien lui a été paradoxalement utile. Elle n'aurait même rien fait pour l'éviter. De même, le pire, jusqu'à présent, a toujours été évité entre les services de sécurité et les populations les plus remuantes. Régime intérimaire d'un Etat à venir, l'Autorité n'a jamais pu disposer, au cours des années du processus d'Oslo, de véritables pouvoirs régaliens. Ses handicaps sont nombreux, le plus important demeurant la division de son espace en huit zones (Gaza et les villes les plus importantes de Cisjordanie, dont une partie seulement de Hébron), que les bouclages ont poussé jusqu'à l'extrême. Pourtant, l'Autorité parvient encore à s'adapter. Deux éléments concourent à sa survie : la légitimité de Yasser Arafat et la pression constante d'Israël, qui resserre les liens face à l'ennemi commun. En dépit de l'impopularité de l'institution qu'il préside, jugée inefficace, en dépit donc des accusations de corruption portées plus précisément contre certains des négociateurs, accusés d'avoir su profiter des relations privilégiées tissées avec leurs homologues israéliens, M. Arafat bénéficie toujours d'une légitimité aux contours multiples et dans laquelle le président le dispute au combattant et au nationaliste. Lorsque la rue palestinienne s'opposait aux réunions israélo-palestiniennes de Charm el-Cheikh et de Taba, elle vilipendait celui-là tout en épargnant celui-ci. Localement, les groupes du Fatah engagés en première ligne dans l'Intifada conspuent la tentation permanente de l'Autorité de faire des compromis jugés honteux, tout en réaffirmant leur allégeance à M. Arafat. La fin du traitement de faveur accordé par les Israéliens aux hommes de l'Autorité, notamment pour leurs déplacements, l'extension aux cercles de celle-ci (fonctionnaires du ministère de la santé, membres de la Force 17, la garde prétorienne dévouée à Yasser Arafat) du terrorisme d'Etat assumé par Israël contre les Palestiniens jugés responsables d'opérations anti-israéliennes contribuent également à réaffirmer une solidarité minimum face à l'occupant, tout comme les tirs contre les bureaux du numéro deux de l'OLP, Abou Mazen, à Ramallah. « Personne ne fera aux Israéliens le cadeau d'une guerre civile entre Palestiniens », clame-t-on au Hamas comme dans les factions contestataires de l'OLP. « L'ARGENT ET LES ARMES » « Le pouvoir de l'Autorité repose sur deux facteurs : l'argent et les armes, et je ne vois pas pour l'instant de menaces imminentes pour elle », analyse le professeur Abed Sattar Qassim, signataire en 1999 d'une pétition dénonçant la corruption qui lui a valu, à l'époque, six mois de prison. Les chiffres sont pourtant alarmants : plus de 60 % de la population active est au chômage du fait du ralentissement de l'économie et du chômage forcé imposé aux Palestiniens autrefois employés en Israël ; la moitié des Palestiniens vivent désormais au-dessous du seuil de pauvreté. A Gaza, l'Unrwa, l'agence des Nations unies chargée des réfugiés, assiste 127 000 familles, y compris en dehors des camps, et le Programme alimentaire mondial a lancé une opération d'urgence. Depuis trois mois, les Etats-Unis et l'Union européenne exhortent Israël à rétrocéder le montant des taxes que l'Etat juif perçoit à la place de l'Autorité sur les marchandises à destination des territoires et qui a été bloqué depuis le début des troubles. Premier employeur palestinien (les seuls effectifs des forces de sécurité s'élèvent à 40 000 hommes), l'Autorité est un puissant acteur social, ce qui explique l'inquiétude internationale et les versements exceptionnels européens qui lui ont permis de garder la tête hors de l'eau, pour quelques temps encore. « Parmi les diverses institutions palestiniennes, l'éducation et la santé semblent bien résister. Ceux qui ont connu la première Intifada se sont adaptés plus facilement que les «returnees» ( ceux qui sont rentrés de leur pays d'accueil ) de l'OLP », analyse un observateur. La situation de la sécurité, même si elle s'est dégradée, semble également encore sous contrôle. Le déploiement de forces de police aux carrefours de Gaza et la présence désormais ostensible des services jugés les plus fidèles, la Force 17 et la marine, disent bien que des risques de dérapage ne sont pas sous-estimés : l'Autorité n'a nulle envie de devenir la cible de groupes que la militarisation de la société pourrait pousser en avant. La première Intifada, de 1987 à 1994, avait déjà permis aux Palestiniens de faire la preuve de leur impressionnante capacité d'adaptation aux contraintes les plus douloureuses. Le cycle de troubles qui a débuté après la visite controversée d'Ariel Sharon sur l'esplanade des Mosquées comporte une différence de taille, puisque désormais l'Autorité palestinienne, en place depuis 1994, se retrouve partiellement comptable de la situation. Elle a su résister pour l'instant, mais son sort risque de dépendre du choix que feront les Israéliens de la briser ou de la maintenir « simplement » durablement affaiblie. GILLES PARIS Le Monde du 8 mars 2001

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