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Le gouffre se creuse entre le pouvoir et le peuple algériens

Publié le 17/01/2022

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16 décembre 2000 Ils n'ont plus aucune illusion : les massacres et la misère, ils devront vivre avec, et pour de longues années encore. Tenir bon est l'impératif que s'est fixé l'homme de la rue, ballotté entre découragement et rage de survivre. Même si les difficultés de la vie quotidienne n'ont pas eu raison de la vitalité de la plupart des Algériens, leur lassitude est grande, leur rejet de la classe politique sans appel, et l'absence de perspective plus pesante que jamais. Justifié ou non, le sentiment qui prévaut est qu' « on ne comprend rien de ce qui se passe dans le pays, en particulier au sommet de l'Etat », qu'on ne sait pas « où se prennent les décisions » et que « tout stagne ». Près de 40 % des 30 millions d'Algériens vivent aujourd'hui au-dessous du seuil de la pauvreté. « Au moins, on ne court pas le risque de la maladie de la vache folle ! », ricanent certains, exaspérés que le ministre de l'agriculture ait eu récemment la maladresse de faire valoir, comme une donnée sécurisante, que l'Algérien ne mange au mieux que 13 kilos de viande par an, contre 83 kilos pour un Européen. D'un bout à l'autre du pays, la malnutrition s'aggrave, alors que les étals sont plutôt bien pourvus. Et quand l'aliment de base des enfants, le lait - importé pour les trois quarts - a vu son prix augmenter de 25 % le 15 février, beaucoup de gens ont eu l'impression que l'on se moquait d'eux. L'OBJECTIF DES JEUNES La veille, on annonçait que la balance commerciale du pays avait enregistré un excédent de plus de 10 milliards de dollars sur l'ensemble de l'année 2000, contre 3 milliards l'année précédente, grâce à la hausse du prix du baril. « L'argent est là, les gens le savent, et c'est ce qui les met en fureur, remarque un universitaire. Leur pouvoir d'achat est de plus en plus faible, les sans-logis se multiplient et, fait absolument nouveau, des familles entières \\ vivent dehors, y compris en plein coeur d'Alger. » Partir, pour gagner la Grande- Bretagne, le Canada, l'Australie - à défaut de la France - reste l'objectif des jeunes. En attendant, ils sont de plus en plus nombreux à vivre du trabendo (contrebande), et à rêver de profiter du marché parallèle, de plus en plus puissant. A l'illisibilité économique se superpose l'illisibilité politique. Quelle est la stratégie du président Bouteflika ? « Il n'en a aucune », répondent les plus charitables. « il rêve du prix Nobel de la paix », ajoutent les autres. Les partis d'opposition entrés dans la coalition gouvernementale formée il y a dix-huit mois - notamment le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) du laïc Saïd Saadi et le Mouvement de la société pour la paix (MSP) de l'islamiste Mahfoud Nahnah - ont perdu tout crédit. Les plus avisés reconnaissent au chef de l'Etat le mérite d'avoir ouvert des chantiers qui s'imposaient, tels que la réforme de la justice, de l'éducation, ou encore les privatisations. Mais la concrétisation tarde tant à venir que les gens n'y croient plus. Ils ne croient plus en rien, ni en leur président, ni à ses projets, ni à sa capacité à séduire encore sur la scène internationale. Ils se méfient, surtout, d'un homme auquel ils reprochent pêle-mêle et sans nuances de parler et de voyager beaucoup, de « dire tout et le contraire de tout », et d'avoir « des dérapages verbaux incessants ». UN BOUC ÉMISSAIRE ? Que signifie, par exemple, son projet de « concorde nationale », évoqué fin janvier ? Est- ce le prélude à un autre référendum ? Personne ne le sait. « Bouteflika nous avait promis la justice et la paix, soulignent-ils avec amertume, et on n'a eu ni l'une ni l'autre... » Le chef de l'Etat serait-il le bouc émissaire d'une population exaspérée par une trop longue attente ? C'est ce que fait valoir son entourage. « Qui pense à souligner que plus de la moitié du PIB est aujourd'hui assurée par le secteur privé, aussi archaïque soit-il ? Qui remarque que Bouteflika a osé affronter ses détracteurs pour imposer la venue en Algérie des ONG de défense des droits de l'homme ? Quoiqu'il fasse ou ne fasse pas, on l'accable ! » s'indigne l'un de ses défenseurs, pour qui le premier défi du président a été de gagner du temps. « Bouteflika veut moderniser le pays et opérer des réformes, estime cet allié du chef de l'Etat, mais il doit prendre garde à le faire sans traumatisme supplémentaire pour la population. Cet impératif l'empêche de tout casser. » Il reste malgré tout un mystère : comment Abdelaziz Bouteflika le séducteur, le diplomate de carrière, a-t-il pu s'attirer un tel ressentiment de la population quand quelques mots de réconfort de sa part auraient souvent suffi, non pour sortir de l'impasse, mais pour garder le contact ? « Après l'horrible massacre en janvier, dans un lycée de Médéa, ni lui ni aucun ministre n'a fait le déplacement, ni prononcé un seul mot de compassion, soupire un enseignant de Médéa. Cette attitude est incompréhensible. Les médias d'Etat ne mentionnent presque jamais ces tueries qui nous traumatisent tous. Comme s'il s'agissait de «non-événements». Et le jour où l'on apprend de nouveaux carnages, on nous affirme que la concorde civile est un succès ! C'est une façon de gérer la crise, mais le petit peuple, lui, a l'impression qu'il ne compte pas. »

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