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Le Japon participera aux missions de paix de l'ONU

Publié le 22/02/2012

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15 juin 1992 - Une page de l'histoire japonaise vient subrepticement d'être tournée : à la faveur d'une loi en apparence anodine autorisant les soldats nippons à participer aux missions de paix des Nations unies, le Japon a changé de cap, s'écartant de la voie suivie depuis la défaite de 1945 en matière de relations internationales. Ce texte, dont le contenu peut certes sembler symbolique étant donné les réserves dont il est assorti, constitue la seconde remise en question - après la création des Forces d'autodéfense au début des années 50 - de l'article 9 de la Constitution de 1947 par lequel le Japon renonce à la force comme moyen de résolution des conflits. La nouvelle loi, adoptée le 15 juin 1992, limite le nombre des soldats participant aux missions de paix à deux mille et subordonne les activités les plus importantes de celles-ci (stationnement dans une zone-tampon, surveillance d'une ligne d'armistice...) à un autre vote. Le pas n'en a pas moins été franchi : " Cette loi modifie radicalement la voie suivie par le Japon en ce qu'elle autorise, de fait, le déploiement de soldats japonais à l'étranger ", écrit le quotidien Asahi. L'extrême droite pavoise, hurlant ses slogans sur la reconquête de la souveraineté nippone. Il y a, derrière cette question, plus qu'une casuistique constitutionnelle. C'est pourquoi elle suscite tant d'émoi dans la région, où la perspective de revoir des uniformes japonais réveille les mémoires. La démission en bloc des députés socialistes avant le vote et la renaissance d'un activisme populaire à l'origine de manifestations, certes de faible ampleur mais répétées, sont symptomatiques : une partie de l'opinion nippone s'inquiète des conséquences de ce changement de cap. Selon les sondages, plus de 50 % des Japonais y sont hostiles. Les concessions du gouvernement, en particulier sur le " gel " des dispositions sur les activités les plus importantes d'une force de paix, témoignent d'une prise en compte de ces réticences et doivent permettre à l'opinion publique de " mûrir ", estime l'un des chefs de clans du Parti libéral-démocrate (PLD) au pouvoir, M. Hiroshi Mitsuzuka. Mais l'essentiel, aux yeux des conservateurs, a été admis : la possibilité de l'envoi de troupes à l'étranger. L'insistance gouvernementale sur ce point constitue l'élément troublant de la nouvelle orientation de la politique extérieure japonaise. L'opposition admettait le principe d'une participation en hommes, et pas seulement en " chèques ", au maintien de la paix mondiale. Elle préconisait la création d'un corps spécial, en conservant par conséquent intact le statut des Forces d'autodéfense. Le rejet de la proposition socialiste est significatif : plus qu'une contribution aux missions de l'ONU, le gouvernement visait à une révision détournée de la Constitution (1). Cette question est un serpent de mer depuis que le Japon a recouvré son indépendance en 1951 à la suite du traité de San Francisco. Une armée mal-aimée A une première vague de " révisionnistes " souhaitant un remaniement de la Constitution afin de revitaliser les valeurs traditionnelles a succédé une autre, plus réaliste, prônant un aggiornamento constitutionnel afin de mettre le texte en accord avec les faits et de procéder à une restauration de la souveraineté nationale en faisant reconnaître la légitimité des forces militaires (2). Un tenant de ce courant fut l'ex-premier ministre Nakasone, auquel ont succédé les " jeunes loups " du clan Takeshita, tel l'ex-secrétaire général du PLD, M. Ichiro Ozawa. Plutôt que d'affronter la procédure d'une révision constitutionnelle exigeant l'accord des deux-tiers du Parlement, les néo-nationalistes ont préféré recourir à une violation en douceur de la loi suprême. Le pas qui vient d'être franchi entraîne des conséquences en cascade : - par une reconnaissance internationale des Forces d'autodéfense, il ouvre la voie à une légitimation de celles-ci aux yeux de l'opinion. Mal aimée, l'armée nippone est perçue par les Japonais comme un mal nécessaire plutôt que comme l'objet d'une fierté nationale - une telle légitimation signifie que les limites aux dépenses militaires n'ont plus de raison d'être. Déjà, le seuil psychologique de 1 % du PNB a été dépassé sous le gouvernement Nakasone. Or, un accroissement du budget de défense est une exigence constante du patronat, reflétant les pressions de l'industrie d'armement - sur le plan diplomatique, la participation de troupes nippones aux missions de l'ONU renforce la position internationale du Japon et le met en meilleure posture pour briguer un siège permanent au Conseil de sécurité. Dans la région, elle confirme la rentrée en scène de Tokyo, non seulement comme artisan de la reconstruction mais comme une composante politique au Cambodge, prélude à une rentrée en force en Indochine - ce changement de cap répond, enfin, aux voeux des Etats-Unis. Après lui avoir imposé le principe de renonciation à la force, les Américains ont exercé, depuis le début de la guerre froide, de constantes pressions sur le Japon pour qu'il assume davantage de responsabilités en matière de sécurité. Suivant la " ligne Yoshida " (premier ministre au début des années 50), Tokyo a résisté, jusqu'à un certain point, à ces exigences, le " parapluie " nucléaire américain servant mieux les intérêts nationaux axés sur la reconstruction et l'opinion étant hostile à une telle évolution. " Fille illégitime de la Constitution " La fin de la guerre froide et la nécessité pour le Japon de jouer un rôle sur la scène internationale, conjuguées à l'humiliation ressentie lorsque la contribution nippone de 13 milliards de dollars à l'effort de guerre américain dans le Golfe fut acceptée avec dédain par Washington, incitèrent les conservateurs - avec l'aide les partis centristes - à forcer une reconnaissance de cette " fille illégitime de la Constitution " qu'est la force militaire nippone. Selon M. Yoshikazu Sakamoto, professeur honoraire de sciences politiques de l'Université de Tokyo, les conservateurs ont habilement changé d'argumentation : " Jusqu'à présent, ils mettaient en avant le droit légitime à l'autodéfense mais se heurtaient à l'article 9. Désormais, ils se présentent comme les défenseurs de la Constitution et se fondent sur les aspirations nippones à la " paix éternelle " contenues dans son préambule ainsi que sur la Charte de l'ONU (...) pour permettre aux forces militaires japonaises d'assumer des missions à l'étranger ". Ils esquivent ainsi l'inconstitutionnalité de l'armée nippone, " piègent " l'opposition sur son propre terrain (les aspirations à la paix mondiale qu'elle a toujours défendues contre un engagement du Japon dans un camp) et introduisent la confusion dans les esprits. Le gouvernement s'est gardé d'indiquer quel prix le Japon est prêt à payer pour participer à des forces de paix : l'opinion publique comprendra, poursuit M. Sakamoto, lorsque des soldats japonais seront impliqués dans de affrontements armés. " Un jour, les Américains se repentiront d'avoir encouragé le Japon à reprendre du service dans les actions militaires outremer ", estime M. Masao Kunihiro, député socialiste. Indépendamment des missions sous l'égide de l'ONU, il est clair que Washington veut que le Japon assume une part du fardeau de gendarme de la région. " Quel rôle l'armée nippone sera-t-elle appelée à jouer dans la politique extérieure nationale ? ", s'inquiète l'Asahi : à partir du moment où la ligne entre engagement militaire et non militaire est franchie, aucune hypothèse n'est à exclure. La gauche rappelle que c'est pour " maintenir la paix en Asie " et sous prétexte d' " autodéfense " que, dans les années 30, fut déclenchée la guerre en Chine. La remontée du militarisme n'est pas à l'ordre du jour. Mais un verrou constitutionnel n'en vient pas moins de sauter, ouvrant une boîte de Pandore : avant d'autoriser l'envoi de ses troupes à l'étranger, et plutôt que de s'excuser de l' " excès de pacifisme " de son opinion publique - dont ses partenaires devraient se féliciter - le gouvernement aurait dû préciser la nature de la puissance civile que le Japon aspire à être. Un modèle qui reste en pointillé. PHILIPPE PONS Le Monde du 17 juin 1992

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