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Le sac de Nankin

Publié le 22/02/2012

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13 décembre 1937 - Quand les premiers soldats japonais entrent le 13 décembre 1937 à Nankin, la capitale de la Chine nationaliste, évacuée le mois précédent par le généralissime Tchiang Kaï-Chek (surnommé le " Gimo " ), a été déclarée ville ouverte. Abandonnée par une grande partie de sa population, la métropole a, en revanche, accueilli des centaines de milliers de réfugiés. Cela fait cinq mois que la guerre sino-japonaise fait rage. Les Japonais, malgré la résistance chinoise, sont entrés en force dans ce grand géant malade, occupant sa capitale historique - Pékin, alors appelée Peiping, la " Paix du Nord " - sa capitale économique, Shanghai, et Canton, la capitale du Sud. La violence avait déjà régné lors de la longue bataille pour Shanghai, l'armée japonaise écrasant civils et militaires sous un déluge de feu. Mais c'est pendant ce que l'on a appelé le " sac de Nankin " - en anglais, on dit avec plus de réalisme le " viol de Nankin " - que la soldatesque nipponne a atteint les limites de l'horreur. Quand les Japonais franchirent les hautes murailles construites par les empereurs Ming autour de Nankin, rares étaient ceux qui s'attendaient au pire. Le général Tang Seng Shih, commandant de la place, s'était enfui, son armée s'était débandée sous les coups de boutoir nippons, après avoir jeté armes et uniformes dans les rues. Les tracts lancés par avion prêchaient le calme : " Les troupes japonaises s'appliqueront, dans toute l'étendue possible, à protéger les bons citoyens et à leur permettre de vivre en paix, dans l'exercice normal de leurs occupations ", assuraient-ils. Une boucherie organisée Ivres de victoire, de fureur, les soldats nippons furent lâchés dans Nankin comme des bêtes fauves, sans contrôle pendant des jours. Ils venaient de perdre 40000 camarades - contre 450000 pour les Chinois, soit 60 % de leurs effectifs - face à des adversaires qu'ils méprisaient. Ils s'étaient battus pendant des mois dans des conditions affreuses. Le jour de la revanche était arrivé, qui plus est toléré, voire encouragé par des chefs qui pratiquaient habituellement une impitoyable discipline. La ville fut mise à sac, incendiée par des soudards ne respectant ni hôpitaux, ni écoles, ni églises, ni locaux couverts par l'immunité diplomatique. Les témoignages des rares étrangers restés sur place sont terribles : viols, exécutions, massacres en masse... Les femmes étaient violées sur place, sur le seuil de la maison d'étrangers où elles tentaient de se réfugier, écolières dans leurs dortoirs, infirmières dans les hôpitaux, Volonté d'humilier tout un peuple, obsession sexuelle d'hommes soumis à une violence institutionnalisée, qui traumatisèrent toute une ville, tout un peuple. Au lieu de briser sa volonté de résistance, ces violences ne firent qu'exacerber le nationalisme chinois, déconsidérant par avance les gouvernements " collaborateurs ", " fantoches " mis sur pied par Tokyo. Le nombre des victimes de cette dizaine de jours d'orgie meurtrière n'a jamais été établi avec certitude. Robert Guillain, alors tout jeune envoyé spécial de l'agence Havas en Chine, donne dans ses souvenirs le chiffre de 200 000 victimes. Toujours est-il que les survivants ont été traumatisés par ce qu'ils avaient vu, ce à quoi ils avaient échappé. Mais il n'y eut pas que de la folie dans ces massacres. La boucherie fut bien organisée : au cours du " recensement " de la population, raconte H.J. Timperley, " on annonça à la foule que s'il y avait parmi elle d'anciens soldats et qu'ils sortaient des rangs, ils auraient la vie sauve et on les emploierait comme travailleurs. Deux cent quarante sortirent des rangs... Deux ou trois survécurent pour narrer leur sort... L'un des groupes avait été mitraillé, l'autre, entouré de soldats, fut employé comme objectif pour l'escrime à la baïonnette ". D'autres, ficelés ensemble, furent arrosés d'essence et brûlés vifs, noyés ou utilisés pour l'exercice au sabre par les samouraïs en folie... Soldats, fonctionnaires furent massacrés systématiquement. Malheureusement pour l'état-major impérial, pour ces militaristes avides d' " espace vital " qui lançaient l'archipel dans une frénésie de conquête, il y eut des témoins. Des généraux se plaignirent que des étrangers se soient trouvés inopportunément sur place. Leur témoignage ne pouvait être assimilé à la propagande nationaliste chinoise. De même que ceux sur la violence des combats à Shanghai dans les mois qui précédèrent, et qui avaient fait aussi des victimes par centaines de milliers d'août à décembre 1937. Albert Londres avait porté témoignage sur cette immense guerre de rue qui se déroulait aux portes de la concession française. Robert Guillain raconte dans ses souvenirs : " Ce fut finalement une bataille curieuse et bien chinoise, cette bataille de Shanghai. Elle était certes réelle avec ses héros et ses morts, mais en vraie bataille chinoise, elle avait en même temps ceci de truqué que les Chinois, dès que cela allait vraiment trop mal pour eux, pouvaient en sortir : ils n'avaient qu'à venir au bout de nos rues pour se réfugier sur le sanctuaire de notre territoire et s'y constituer prisonniers... des Français. En revenant du " front " vers 10 heures du soir, c'est au bout de la rue de Hué que je les ai vus sortir de la guerre et de la nuit...., à quelques mètres des " boîtes " , où des Occidentaux en smoking noyaient leur angoisse ou leur ennui ". Après la fin des combats, Guillain fut autorisé à visiter le quartier de Chapei : " C'était le spectacle d'une ville après un bombardement [...]. Les ruines, ce qui restait de pierre, de béton, de tôle, de surfaces pavées, tout était littéralement criblé, troué, rongé par l'effet d'un déluge de fer. Je visitai encore la campagne à l'ouest de la ville. Même ici, la guerre avait laissé une destruction terrible. [...] Dans les champs, on tombait sur l'épouvante de cadavres de soldats chinois gisant encore un peu partout ". Les combats de Shanghai avaient commencé le 13 août - cinq semaines après l' " incident du pont Marco-Polo ", le 7 juillet, près de Pékin, qui déclencha la guerre - par un " blitzkrieg " des Japonais, qui croyaient pouvoir écraser les Chinois par leur supériorité stratégique et tactique. " Le Japon gagnera la guerre en un mois ", déclara le général Sugiyama, ministre de la guerre. Il est vrai que les nationalistes avaient mollement résisté autour de Pékin. Mais l'incident suscita une assez profonde réaction patriotique pour interdire tout règlement négocié. Résistance communiste Après des décennies de " grignotage " du territoire chinois - occupation de Port-Arthur (Dalian) en 1905, des ex-concessions allemandes après le traité de Versailles, de la Mandchourie après l' " incident de Moukden " du 18 septembre 1931, et graduellement du nord de la Chine, - la guerre éclatait enfin au grand jour. Conquérant économique qui ruinait l'industrie chinoise, l'Empire du Soleil-Levant et la clique de militaristes qui le dirigeait étaient devenus pour les Chinois des occupants d'une cruauté qui n'a toujours pas été oubliée. Malgré une résistance acharnée et des succès initiaux à Taierzhuang pour le général nationaliste Li Zongren, et à Pingxingguan pour le communiste Lin Biao, malgré le dynamitage des digues du fleuve Jaune par les nationalistes pour ralentir l'avance nippone - qui causa des centaines de milliers de morts parmi la population, - le " Gimo " dut abandonner sa capitale provisoire de Wuhan fin 1938 pour se réfugier à Chongqing (ou Chungking). L'entrée des Etats-Unis dans la guerre permit, après 1941, aux Chinois de bénéficier du soutien américain. Tchiang Kaï-Chek, qui donnait la priorité au blocus des zones communistes - " Ils sont le cancer de la Chine, alors que les Japonais n'en sont que la vermine ", disait-il, - céda encore du terrain à l'envahisseur lors des offensives de 1944. Les communistes trouveront dans cette guerre le tremplin militaire et politique qui leur permettra de terminer la guerre en héros de la lutte antijaponaise. C'est en capitalisant sur cette réputation gagnée dans la guérilla, de même que sur les erreurs politiques et stratégiques de Tchiang Kaï-Chek, qu'ils parviendront à remporter en 1949 la guerre civile. Collaboration mort-née Après la bataille de Shanghai, le " sac de Nankin " aura donc été le révélateur d'un nouveau nationalisme chinois. On pourrait dire que c'est là que se trouvent les premiers germes de la défaite japonaise, dans cette violence profonde et absurde, dans ce mépris de l'adversaire, au point de perdre toute perspective politique. La " collaboration " y est mort-née, et l'image du Japon, en Asie surtout, ne s'en est pas encore définitivement relevée. Quelle famille chinoise n'a pas connu dans son sein, parmi la parentèle, les amis ou les voisins, des victimes de la barbarie de l'armée nippone ? Il faudra plus de vingt ans pour que Pékin, comme d'ailleurs Séoul, acceptent d'absoudre le Japon. PATRICE DE BEER Le Monde du 14 décembre 1987

« bombardement [...].

Les ruines, ce qui restait de pierre, de béton, de tôle, de surfaces pavées, tout était littéralement criblé, troué,rongé par l'effet d'un déluge de fer.

Je visitai encore la campagne à l'ouest de la ville.

Même ici, la guerre avait laissé unedestruction terrible.

[...] Dans les champs, on tombait sur l'épouvante de cadavres de soldats chinois gisant encore un peupartout ". Les combats de Shanghai avaient commencé le 13 août - cinq semaines après l' " incident du pont Marco-Polo ", le 7 juillet,près de Pékin, qui déclencha la guerre - par un " blitzkrieg " des Japonais, qui croyaient pouvoir écraser les Chinois par leursupériorité stratégique et tactique.

" Le Japon gagnera la guerre en un mois ", déclara le général Sugiyama, ministre de la guerre.

Ilest vrai que les nationalistes avaient mollement résisté autour de Pékin.

Mais l'incident suscita une assez profonde réactionpatriotique pour interdire tout règlement négocié. Résistance communiste Après des décennies de " grignotage " du territoire chinois - occupation de Port-Arthur (Dalian) en 1905, des ex-concessionsallemandes après le traité de Versailles, de la Mandchourie après l' " incident de Moukden " du 18 septembre 1931, etgraduellement du nord de la Chine, - la guerre éclatait enfin au grand jour.

Conquérant économique qui ruinait l'industrie chinoise,l'Empire du Soleil-Levant et la clique de militaristes qui le dirigeait étaient devenus pour les Chinois des occupants d'une cruautéqui n'a toujours pas été oubliée. Malgré une résistance acharnée et des succès initiaux à Taierzhuang pour le général nationaliste Li Zongren, et à Pingxingguanpour le communiste Lin Biao, malgré le dynamitage des digues du fleuve Jaune par les nationalistes pour ralentir l'avance nippone- qui causa des centaines de milliers de morts parmi la population, - le " Gimo " dut abandonner sa capitale provisoire de Wuhanfin 1938 pour se réfugier à Chongqing (ou Chungking).

L'entrée des Etats-Unis dans la guerre permit, après 1941, aux Chinoisde bénéficier du soutien américain. Tchiang Kaï-Chek, qui donnait la priorité au blocus des zones communistes - " Ils sont le cancer de la Chine, alors que lesJaponais n'en sont que la vermine ", disait-il, - céda encore du terrain à l'envahisseur lors des offensives de 1944.

Lescommunistes trouveront dans cette guerre le tremplin militaire et politique qui leur permettra de terminer la guerre en héros de lalutte antijaponaise.

C'est en capitalisant sur cette réputation gagnée dans la guérilla, de même que sur les erreurs politiques etstratégiques de Tchiang Kaï-Chek, qu'ils parviendront à remporter en 1949 la guerre civile. Collaboration mort-née Après la bataille de Shanghai, le " sac de Nankin " aura donc été le révélateur d'un nouveau nationalisme chinois.

On pourraitdire que c'est là que se trouvent les premiers germes de la défaite japonaise, dans cette violence profonde et absurde, dans cemépris de l'adversaire, au point de perdre toute perspective politique.

La " collaboration " y est mort-née, et l'image du Japon, enAsie surtout, ne s'en est pas encore définitivement relevée.

Quelle famille chinoise n'a pas connu dans son sein, parmi la parentèle,les amis ou les voisins, des victimes de la barbarie de l'armée nippone ? Il faudra plus de vingt ans pour que Pékin, commed'ailleurs Séoul, acceptent d'absoudre le Japon. PATRICE DE BEER Le Monde du 14 décembre 1987 CD-ROM L'Histoire au jour le jour © 2002, coédition Le Monde, Emme et IDM - Tous droits réservés. »

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