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Le soufflet. Diderot

Publié le 23/05/2011

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Afin de bien saisir le mérite dramatique et moral de ce petit récit, il sera bon de le réduire d'abord à sa donnée stricte. Puis les élèves devront en étudier la composition (mélange de narration et de dialogue à deux degrés), et les circonstances. Ils apprendront ainsi comment, sans digressions et sans ornements, le sujet peut fournir par lui-même tous les éléments d'une action vivante. Nous passions à Orléans, mon capitaine et moi. Il n'était bruit dans la ville que d'une aventure récemment arrivée à un citoyen, M. Le Pelletier, homme pénétré d'une si profonde commisération pour les malheureux, qu'après avoir réduit, par des aumônes démesurées, une fortune assez considérable au plus étroit nécessaire, il allait de porte en porte chercher dans la bourse d'autrui des secours qu'il n'était plus en état de puiser dans la sienne. Il n'y avait pas, parmi les pauvres et parmi les honnêtes gens instruits et pieux dont cette ville abonde, deux opinions sur la conduite de cet homme-là. Mais beaucoup de riches, qui se ruinaient en festins et en voyages à Paris, le regardaient comme une espèce de fou, et peu s'en fallut guet ses proches ne le fissent interdire comme dissipateur. Tandis que nous nous rafraîchissions à l'auberge des Trois-Rois, une foule d'oisifs s'étaient rassemblés autour d'une espèce d'orateur, et lui disaient : — « Vous y étiez ; racontez-nous comment la chose s'est passée. — Très volontiers, messieurs, répondit l'orateur du coin, qui ne demandait pas mieux que de pérorer. M. Aubertot, une de mes pratiques, dont la maison fait face à l'église de Saint-Paterne, était sur sa porte; M. Le Pelletier l'aborde et lui dit : — Monsieur Aubertot, ne me donnez-vous rien pour mes amis? car c'est ainsi qu'il appelle ses pauvres, comme vous savez. — Non, pour aujourd'hui, monsieur Le Pelletier. « — M. Le Pelletier insiste : — « Si vous saviez en faveur de qui je sollicite votre charité; c'est une pauvre femme qui n'a pas un guenillon pour entortiller son enfant. — Je ne saurais. — C'est une jeune fille qui manque d'ouvrage et de pain. — Je ne saurais. — C'est un manoeuvre qui n'avait que ses bras pour vivre, et qui vient de se fracasser une jambe en tombant de son échafaud. — Je ne saurais, vous dis-je. - Allons, allons, monsieur Aubertot, laissez-vous toucher, et soyez sûr que vous n'aurez jamais occasion de faire une action plus méritoire. — Je ne saurais, je ne saurais. — Mon bon, mon miséricordieux monsieur Aubertot !... — Monsieur Le Pelletier, laissez-moi en repos : quand je veux donner, je ne me fais pas prier.... « — Et cela dit, M. Aubertot, lui tourne le dos, passe de sa porte dans son arrière-boutique, où M. Le Pelletier le suit : il le suit de son arrière-boutique dans son magasin, de son magasin dans son appartement; là, M. Aubertot, excédé des instances de M. Le Pelletier, lui donne un soufflet. Alors mon capitaine se lève brusquement et dit à l'orateur : «— Et il ne le tua pas? — Non, monsieur; est-ce que l'on tue comme cela? — Un soufflet, morbleu! un soufflet! et que fit-il donc? — Ce qu'il fit après son soufflet reçu? Il prit un air riant, et dit à M. Aubertot : — Cela c'est pour moi; mais, mes pauvres? « A ces mots, tous les Orléanais présents s'écrièrent d'admiration, excepté mon capitaine, qui disait : — « Votre M. Le Pelletier, messieurs, n'est qu'un gueux, un malheureux, un lâche, un infâme, à qui cependant cette épée aurait fait prompte justice, si j'avais été là. Un soufflet, morbleu ! « L'orateur lui répliqua : — « Je sais, monsieur, que vous n'auriez pas laissé le temps à l'homme brusque et insolent de reconnaître sa faute!... — Non certes! « — Eh bien, M. Aubertot tout en pleurs s'est jeté aux pieds de M. Le Pelletier, en lui présentant sa bourse, en lui donnant mille excuses.... « — N'importe, j'aurais, dit le capitaine la main sur son arme et l'air tout enflammé, j'aurais coupé le nez et les deux oreilles à votre Aubertot. « L'orateur, avec dignité, lui répondit : — « Monsieur, vous êtes militaire, et M. Le Pelletier est chrétien. « Ce mot si simple fit un effet prodigieux; la rue retentit d'applaudissements, et moi je me disais : « On est plus grand quand on a l'Évangile dans son cœur que lorsqu'on le renferme dans le fourreau de son sabre. «

(Mélanges.)

QUESTIONS D'EXAMEN

I. — L'ensemble. — Récit plein de vie, dans lequel deux dialogues se mêlent à la narration. — Qui fait ce récit? Ne rappelle-t-il pas lui-même un autre récit? lequel? — indiquez les personnes en présence); Par quoi est coupée la narration de l' « orateur « ? Comment M. Le Pelletier a-t-il accueilli le soufflet? Comment l'eût accueilli le capitaine? Est-il surprenant qu'un capitaine ait une telle allure et un tel langage? L' « orateur « n'oppose-t-il pas l'un à l'autre M. Le Pelletier et le capitaine? Faites remarquer la netteté de son jugement; Quel intérêt présente ce récit? Dites pourquoi il est si vivant.

II. — L'analyse du morceau. — Distinguez les différentes parties du morceau : a) Lieu où se déroule l'action; b) Présentation de M. Le Pelletier; c) Récit de l'aventure qui lui est arrivée; d) Exclamation du capitaine; e) Reprise du récit; f) Opposition de deux caractères; M. Le Pelletier et le capitaine; Comment vous apparaît M. Le Pelletier? Distinguez les deux dialogues que contient le récit; Montrez la vivacité de ces dialogues; De qui est la réflexion finale?

III. — Le style; — les expressions. — Quelles sont les principales qualités du style, dans ce récit? (le mouvement, la verve, la précision...; pas de longueurs, pas de digressions : un récit alerte, un dialogue vif, animé, qui captive l'attention du lecteur. Et comme l'on comprend bien qu'un critique littéraire ait pu dire : « Les qualités que Diderot apporte dans son style sont moins d'un écrivain que d'un causeur. « — En ce qui concerne la précision, étudier particulièrement quelques phrases; exemples :... M. Aubertot, excédé des instances de M. Le Pelletier, lui donne un soufflet..., Monsieur, vous êtes militaire, et M. Le Pelletier est chrétien...); Indiquez le sens des expressions : mon miséricordieux monsieur Aubertot, — un effet prodigieux; — Qu'est-ce qu'un dissipateur? Que signifie le mot pérorer?

IV. - La grammaire. — Quels sont les mots de la même famille que sauf flet, — que pérorer ? Indiquez un synonyme de chacun des mots suivants : auberge, - pratiques, — instances ? Distinguez les propositions contenues dans la dernière phrase du récit; — nature de chacune d'elles; Nature et fonction de chacun des mots suivants : et moi je me disais.

Rédaction. — Faites, d'après le récit qui vient d'être étudié, le portrait de M. Le Pelletier.

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