Devoir de Philosophie

Les alliés s'interrogent sur le choix des cibles

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

11 septembre 2001 QUELLES CIBLES ? Quels choix stratégiques ? La plus grande perplexité règne dans les chancelleries sur les décisions que prendront les dirigeants américains au cours des prochains jours ou des prochaines semaines pour riposter aux attaques terroristes du 11 septembre contre le World Trade Center et le Pentagone. La situation n'a pas de précédent. Dans les années 1980, les attentats terroristes constituaient la plupart du temps « une poursuite de la politique par d'autres moyens », selon l'expression de Clausewitz à propos de la guerre. Ils étaient le fait d'organisations contrôlées directement ou indirectement par des Etats (Libye, Iran, Syrie...) sur lesquels il était possible d'exercer des pressions - ou des représailles - d'Etat à Etat. Rien de tel cette fois. Même s'il est probable qu'Oussama Ben Laden soit responsable du drame de New York et de Washington, même s'il est acquis qu'il bénéficie du soutien de l'Afghanistan, l'ennemi est sans visage, diffus, insaisissable. Bien sûr, les Etats-Unis peuvent profiter de l'occasion pour régler le cas de l'Irak et George W. Bush peut tenter de finir le travail laissé inachevé par son père lors de la guerre du Golfe, en éliminant Saddam Hussein. L'argument n'est pas difficile à trouver ; il suffit d'évoquer le soutien général du régime irakien au terrorisme international. Mais le cas de Ben Laden - s'il se confirme que ses réseaux sont bien à l'origine des attaques- suicides - resterait entier. Pour les Etats-Unis, le problème a au moins trois dimensions qui présentent chacune des difficultés spécifiques ; le sanctuaire afghan, les sources de financement et les réseaux d'exécutants. L'Afghanistan des talibans n'est pas à proprement parler un Etat dans le sens traditionnel du terme. Ses maîtres actuels rejettent la rationalité des relations inter- étatiques et sont largement hermétiques aux pressions, voire aux menaces, que la communauté internationale pourrait proférer à leur endroit. Il est peu probable qu'ils réagissent à un ultimatum des Etats-Unis leur enjoignant de leur livrer Ben Laden, faute de quoi les Américains pourraient armer sérieusement l'Alliance du Nord du commandant Massoud, ennemie des talibans, ce qui réjouirait à la fois les Russes et les Iraniens. Les Etats-Unis pourraient aussi bombarder massivement l'Afghanistan, pour en finir avec le régime du mollah Omar, comme l'a déclaré Paul Wolfowitz, numéro deux du ministère de la défense. En 1991 déjà, le Pentagone voulait « ramener l'Irak à l'âge de pierre ». Le problème avec l'Afghanistan, relève un expert, « c'est qu'il y est déjà » ! Quant aux sources de financement de Ben Laden, elles se trouvent pour la plupart en Arabie saoudite ou dans les petites monarchies du Golfe qui sont... les alliées traditionnelles des Etats-Unis. Ceux-ci vont sans doute leur demander de fermer les fondations et pseudo-ONG qui servent de couverture au milliardaire saoudien mais outre le fait que cette mesure, si elle était appliquée, n'aurait pas d'effet immédiat, les monarchies de la région doivent tenir compte d'une opinion publique profondément anti- américaine. Les réseaux d'exécutants, enfin, se trouvent pour la plupart dans les pays occidentaux, où ils vivent souvent pendant plusieurs années sans se faire remarquer, en attendant d'être activés si besoin est, comme le montrent les enquêtes menées en Europe et aux Etats- Unis. Sages étudiants de la Nouvelle-Angleterre, apprentis pilotes de Floride, informaticiens de la banlieue de Londres ou d'une cité universitaire française, paisibles ingénieurs installés au Canada, ils sont des éléments difficilement détectables dans l'intensité des mouvements migratoires de l'époque. Reste le problème particulier du Pakistan, un pays qui aide les talibans et abrite leur chef, le mollah Omar, bien qu'il fût encore récemment un proche allié des Etats-Unis. Un pays avec lequel les services de renseignement occidentaux, y compris américains, entretiennent des relations très étroites. Un pays de 150 millions d'habitants qui, de surcroît, possède l'arme nucléaire. C'est au Pakistan que se trouvent les écoles religieuses et les centres de formation par lesquels sont passés nombre de militants musulmans venus du monde entier, du Maghreb au Proche-Orient et à l'Asie, avant de s'enrôler dans toutes les guérillas islamistes. Faut-il croire les autorités pakistanaises quand elles s'affirment incapables de contrôler ce qui se passe sur leur immense territoire ou sont-elles les complices des islamistes pour des raisons stratégiques ou simplement financières ? Face à cette équation à multiples inconnues, les Etats-Unis ont obtenu le soutien de leurs alliés de l'OTAN qui, pour la première fois de son histoire, s'est référée à l'article 5 du traité de Washington sur la menace extérieure. Jacques Chirac n'a pas été le dernier à afficher une « solidarité totale » qu'il devrait réaffirmer, mardi 18 septembre, lors de sa brève visite à Washington. Actuellement, les Américains n'en demandent pas plus. Le moment venu, ils solliciteront peut-être le droit d'utiliser l'espace aérien voire des bases de leurs alliés mais ils n'entendent pas se lier les mains en associant plus étroitement d'autres pays à une éventuelle opération. La question de savoir s'il est de l'intérêt de la France par exemple de proposer sa participation à la riposte, à condition d'avoir un droit de regard sur sa définition, n'est pas tranchée. Les Russes, pour leur part, ont fait savoir qu'ils désapprouveraient l'utilisation par les Américains de républiques d'Asie centrale comme bases arrière pour une éventuelle opération contre l'Afghanistan. Dans ces républiques formellement indépendantes, Moscou a retrouvé une influence croissante, en particulier par l'intermédiaire de ses services secrets. Il n'en reste pas moins que la Russie peut tirer un avantage politique des attaques terroristes contre les Etats-Unis. S'autoproclamant fer de lance de la lutte contre le terrorisme international, elle a plus que jamais les mains libres en Tchétchénie et elle essaiera de monnayer son soutien aux Occidentaux soit en bloquant l'élargissement de l'OTAN vers l'Est soit en obtenant des déclarations favorables à son entrée - même à longue échéance - dans l'Alliance atlantique. Des choix de riposte que feront les dirigeants américains, des conséquences qu'ils entraîneront, dépend la restructuration des relations internationales pour les prochaines années. A moins de soutenir que les tendances lourdes des rapports entre puissances n'ont pas été bouleversées par les attentats de New York et de Washington. C'est une école de pensée qui existe chez certains responsables français.

Liens utiles