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Pérou, le coup d'Etat civil du président Fujimori

Publié le 22/02/2012

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5 avril 1992 - Le président péruvien Alberto Fujimori a annoncé, dans une brève allocation télévisée prononcée dans la soirée du dimanche 5 avril 1992, la dissolution du Parlement et la suspension des garanties constitutionnelles. Il a immédiatement été appuyé par l'armée, qui a pris position devant le palais présidentiel, le Parlement et dans tout le centre-ville de Lima, qui a été bouclé. Les militaires ont été chargés par le chef de l'Etat de prendre " toutes les actions pertinentes " afin de " maintenir l'ordre et garantir la sécurité des citoyens ". Le président Fujimori s'est livré à un véritable " attentat contre la démocratie " en décrétant, dans un message à la nation télédiffusé vers 23 heures locales, dimanche 5 avril, non seulement la dissolution de la Chambre des députés et du Sénat, mais aussi la réorganisation complète du pouvoir judiciaire, du tribunal des garanties constitutionnelles et de l'Office de contrôle général de la République. " Nous éliminerons tous les freins à la reconstruction du pays (identifiés comme étant le Parlement et le pouvoir judiciaire) car l'actuelle démocratie formelle est fausse ", a déclaré le chef de l'Etat. " Nous ne pouvons pas attendre trois ans (les prochaines grandes échéances électorales sont prévues pour 1995), pas même un jour de plus (...) Le Pérou ne peut continuer à être gangrené par le terrorisme, le trafic de drogue et la corruption " . Au pouvoir depuis juillet 1990, M. Fujimori a, dit-il, décidé de prendre ces mesures draconiennes lorsqu'il s'est rendu compte qu'après bientôt deux ans d'un " régime placé sous le signe de la discipline et de l'ordre, qui avait permis la réinsertion du Pérou au sein de la communauté financière internationale et le contrôle de l'inflation, des embûches l'empêchaient d'aller de l'avant ". Ces embûches sont " un Parlement atteint de sclérose, un pouvoir judiciaire corrompu et l'opposition de certains partis politiques, qui font de l'obstruction à notre politique économique et à notre stratégie de pacification " . Une véritable guerre d'usure entre le gouvernement et le Parlement avait été provoquée par une avalanche de décrets-lois émis par l'exécutif en novembre dernier. Les deux Chambres avaient essayé de freiner l'impétuosité du chef de l'Etat, d'origine japonaise, en adoptant notamment une loi prévoyant un contrôle accru du pouvoir exécutif. En ce qui concerne le pouvoir judiciaire, M. Fujimori avait concentré ses attaques contre les magistrats, qualifiés de " chacals ". Il ne leur pardonnait ni le non-lieu dont a bénéficié l'ex-président Alan Garcia, accusé par le Parlement de détournements de fonds, ni la mise en liberté de terroristes du Sentier lumineux ou la libération de nombreux trafiquants de drogue. Pour la première fois, le président a été par ailleurs mis en cause par l'opposition de centre-gauche, justement structurée par M. Garcia, leader de l'APRA (Alliance populaire révolutionnaire américaine), qui exigeait, avec l'appui de certains chefs d'entreprise la censure du ministre de l'économie, M. Carlos Bolonia. M. Garcia, ainsi que les présidents du Sénat et de la Chambre des députés ont été placés en résidence surveillée, dans la nuit de dimanche à lundi. " La dissolution du Congrès est une insolence et une aberration juridique ", a déclaré l'ex-ministre de la justice de l'ancien président Belaunde, Me Paniagua, car " la Constitution stipule que la Chambre des députés ne peut être dissoute que lorsque celle-ci censure trois cabinets ministériels ". Plusieurs personnalités politiques ont, comme lui, souligné que la dissolution, " inconstitutionnelle ", des deux Chambres faisait perdre au président " sa légitimité " . M. Fujimori a promis qu'une commission de juristes de " renom " sera appelée à élaborer une réforme de la Constitution, qui sera ensuite soumise à un référendum. D'ici là, un " cabinet d'urgence et de reconstruction nationale " gouvernera par décret. Le commandement conjoint de l'armée et de la police a déclaré appuyer " unanimement " les mesures prises par le président Fujimori, afin de " mettre en marche un vaste programme d'urgence " . Depuis une semaine, des rumeurs circulaient, assurant que le chef de l'Etat et sa famille avaient prévu d'abandonner la résidence présidentielle pour s'installer dans le " Pentagonito ", le quartier-général de l'armée. Le coup de force était donc annoncé. NICOLE BONNET Le Monde du 7 avril 1992

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