Devoir de Philosophie

Pervez Moucharraf, indispensable président du Pakistan

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

pakistan
1er mai 2002 Quand ses pairs lui offrent le pouvoir à sa descente de l'avion le ramenant de Colombo, le 12 octobre 1999, Pervez Moucharraf est le quatrième général de l'histoire du Pakistan à renverser un gouvernement élu. Mais, comme un signe des temps, la rue est plutôt favorable à ce coup d'Etat. Elu triomphalement en février 1997, le premier ministre Nawaz Sharif a dilapidé tout son capital de soutien. Sa dernière décision, le limogeage du général Moucharraf, lui est fatale. Un an après avoir remplacé le général Jéhangir Karamat, lui aussi limogé par Nawaz Sharif, Pervez Moucharraf, cinquante-six ans en 1999, accède à la tête d'un état criblé de dettes, secoué par de sanglantes luttes sectaires, isolé après les essais nucléaires de mai 1998 et la débâcle du retrait de ses troupes du Cachemire indien qui a été ordonné par les Etats-Unis. A priori, rien ne prédisposait cet officier d'artillerie, sans ambitions politiques avouées, à se retrouver au sommet du pouvoir. Un général proche de Moucharraf confiait, à l'époque : « Je n'ai pas connu d'auteurs de coup [d'Etat] si réticent. » L'homme va toutefois vite prendre goût au pouvoir. Au fil des mois, il s'est même assuré des moyens de le conserver, sans limites de temps. Né à Delhi (Inde) en 1943, Pervez Moucharraf est un « mohajir » (réfugié), comme des millions de Pakistanais ayant suivi le fondateur du pays, Ali Jinnah, à la partition de l'Empire des Indes en 1947. Sa famille s'installe dans ce qui est alors la capitale du Pakistan, Karachi. Fils d'un haut fonctionnaire, il passe une partie de son enfance en Turquie, ce qui lui permet aujourd'hui de parler le turc. Son admiration avouée pour le sécularisme de Kemal Atatürk lui vaut toutefois ses premiers ennuis avec les partis religieux pakistanais, dont l'influence a grandi dans l'ombre de la politique afghane comme du Djihad (guerre sainte) au Cachemire. Le général Moucharraf est connu pour ses idées libérales et il ne craint pas de boire en public. Dès sa première intervention télévisée, cinq jours après le coup d'Etat, il « conjure les oulémas de freiner les éléments qui exploitent la religion pour des intérêts particuliers ». Après la tentative de Nawaz Sharif d'imposer la charia (loi islamique) comme seule loi du Pakistan, les milieux libéraux respirent. Malgré les réticences de principe à accepter un nouveau régime militaire, beaucoup se prennent à espérer d'un nouveau départ pour le pays. Putschiste presque malgré lui, Pervez Musharraf tente de sauvegarder une certaine légalité, en maintenant dans ses fonctions le chef de l'Etat, Rafic Tarar, en suspendant plutôt qu'en supprimant les Assemblées, et en n'imposant pas de jure la loi martiale. Son annonce d'une lutte à outrance contre la corruption qui gangrène le pays est aussi bien reçue par les milieux économiques. Pourtant la machine s'enraye vite et la déception gagne même ses plus chauds partisans. Pervez Moucharraf règne mais ne gouverne pas, soucieux qu'il est d'obtenir le consensus de ses pairs - une quinzaine de généraux qui ne partagent pas tous sa façon de penser et de voir. Essaie-t-il d'annoncer un éventuel et minime assouplissement de la loi sur le blasphème, dont usent et abusent les islamistes, qu'il est contraint par cet entourage en uniforme de faire marche arrière. Les religieux, un moment dans l'attentisme, sont vite rassurés et le général se fait même l'apôtre du Djihad au Cachemire et des madrassa (écoles coraniques). Le procès engagé contre Nawaz Sharif, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, fait d'autant moins l'unanimité que le général exige, à l'ouverture de l'audience, que les juges de la Cour Suprême et des hautes Cours prêtent serment devant la Constitution provisoire qui interdit de contester les militaires. La lutte contre la corruption trouve bientôt ses limites dans une sélection ciblée qui exclut l'armée et les religieux. Quand en décembre 2000, après un accord avec l'Arabie Saoudite, Nawaz Sharif y est envoyé en exil, l'éditorial du quotidien anglophone The News - « La grande trahison » - résume brutalement le sentiment général. Cet événement marque pourtant un tournant, dans la mesure où, pour la première fois, le général rompt la règle de la prise de décision collégiale, qu'il s'était imposée : seuls trois ou quatre généraux sont dans le coup. Il est vrai que le temps est compté pour les militaires. La Cour Suprême leur a donné jusqu'en octobre 2001 pour rendre le pouvoir aux civils. Le général prend donc de plus en plus les choses en mains. Alors qu'un prochain sommet avec l'Inde est annoncé, M. Moucharraf franchit un nouveau pas politique. Forçant le président Rafic Tarar à la démission, il se fait nommer président du Pakistan, sans limites de durée. Présenté comme un moyen d'élever sa stature et de donner du poids aux éventuelles décisions qui pourraient sortir de la rencontre avec le premier ministre indien, le geste prouve que le général a des idées sur l'avenir du Pakistan, qu'il entend se donner les moyens et le temps de les mettre en pratique. Décidé contre l'avis de nombre de ses pairs, le sommet avec l'Inde révèle un personnage qui d'abord séduit les Indiens, par son approche simple et directe, avant de les brusquer par son obsession sur le Cachemire. Personnalité ouverte, franche parfois jusqu'à la naïveté, le général président sait ce qu'il veut. Sur le Cachemire, cet état disputé avec l'Inde depuis 1947, il n'est pas prêt au compromis. L'échec du Sommet le rend paradoxalement populaire au Pakistan, où l'opinion estime qu'il a bien défendu les intérêts du pays. Au soir du 11 septembre, ce sont aussi les intérêts du Pakistan qui dictent au général un choix qui n'en est pas un. Comment pourrait-il hésiter « entre Washington ou les terroristes » ? L'un de ses proches commente : « Comme tout bon artilleur, le général étudie bien les données et décide ensuite rapidement. » La crise va lui donner l'occasion de finir d'installer aux postes clés les responsables de son choix, tout en se séparant de ceux sur lesquels il a un doute. Le limogeage ou la mise à l'écart des généraux qui avaient opéré le coup d'Etat en sa faveur s'inscrit dans ce mouvement. Aujourd'hui, pour la première fois, le général président a son équipe autour de lui. En l'absence de tout contrepoids politique, il décide seul pour le Pakistan. Ceci n'est pas sans risques. Il admet être menacé, même s'il avoue : « Je n'ai jamais eu peur et je ne suis pas inquiet pour ma sécurité personnelle. » La sécurité autour de M. Moucharraf a été considérablement renforcée et cet homme décrit comme « jovial et bon vivant » par ses amis n'a plus guère le loisir de se livrer à ses sports favoris, tennis ou squash. Le général président peut désormais mettre en oeuvre ses qualités de travailleur forcené. Au-delà des multiples problèmes internes induits par la crise, il doit satisfaire aux entretiens quasi quotidiens avec les dignitaires étrangers qui se succèdent sans relâche à Islamabad. Interrogé sur ce changement de statut - un dictateur militaire quasiment paria, devenu un homme indispensable -, le général a préféré esquiver la question de cette hypocrisie occidentale. Conscient toutefois de son nouveau rôle, il avoue avec candeur : « Cela a fortement accentué la pression sur moi. Je dois répondre à des attentes qui représentent des défis beaucoup plus grands que ceux que j'imaginais. » Jusqu'à maintenant, il a réussi la transition entre le statut de général et celui d'homme politique. Mais le plus dur reste à faire : gérer la sortie d'une crise dont nul ne sait comment elle se terminera, ni quelles en seront les conséquences. FRANCOISE CHIPAUX Le Monde du 8 novembre 2001

Liens utiles