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Présentation du Contrat social de Rousseau

Publié le 20/07/2010

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3- La théorie du contrat Rousseau n'est pas, loin de là, l'inventeur de la théorie du contrat social. Dès le Moyen Âge, la conception féodale de l’État reposait déjà sur des principes contractuels. Le souverain assurait la souveraineté mais il devait en échange "aide et protection" à ses sujets, et certaines institutions limitaient l'exercice de son pouvoir : "Dans les traités de droit féodal (...), on pouvait lire un certain nombre de principes : que les décisions importantes devaient être prises en public; que les coutumes ne pouvaient être modifiées sans l'assentiment général; que les taxes extraordinaires ne pouvaient être imposées sans l'assentiment de ceux qui les payaient, que ce qui touche à l'intérêt de tous doit être approuvé par tous"[11] Il faudra en fait attendre les puissantes monarchies catholiques des XVIe et XVIIe pour que la conception féodale de l'état cède le pas aux théories absolutistes de droit divin selon lesquels le roi ne doit rien à ses sujets en échange de la souveraineté dont il jouit. La France et l'Espagne, nations à la fois vastes, centralisées, et catholiques, furent à cet égard davantage marquées que les autres nations européennes. Dans les États d'influence protestante la théorie du contrat n'avait en revanche jamais cessé d'être à l'ordre du jour. Au XVIIIe ces théories deviennent particulièrement à la mode. Les traductions de Pufendorf et de Grotius publiées par Barbeyrac ont à l'époque un immense succès. Il serait trop long d'insister ici sur les nuances et les détails des différentes théories du contrat social élaborées par les prédécesseurs de Jean-Jacques Rousseau. Une ligne directrice unit pourtant tous ces auteurs : le pacte social est toujours conçu comme une transaction passée entre la communauté des gouvernés et l'instance gouvernante. Certes les penseurs politiques vont s'attacher à démontrer selon les époques, les lieux et les doctrines que cette instance gouvernante doit appartenir à un seul, ou bien qu'elle doit appartenir à une élite, ou bien qu'elle est le fait d'une assemblée ou d'un conseil. Ils s'attacheront également à définir si l'acte du contrat se fait définitivement en une seule fois, ou s'il convient périodiquement d'en renouveler les termes. Les auteurs pourront également différer sur la nature de ce que chacun aliène et de ce que chacun conserve une fois le contrat scellé. Pufendorf évoque même la nécessité d'un double contrat, le premier contrat étant chargé de former la communauté politique, le second devant préciser la nature et l'organisation du pouvoir politique. Dans un premier temps les hommes passent une convention par laquelle tous ceux qui souhaitent faire partie de l’État se prononcent, de ce premier pacte résulte une première société qui ébauchera dans un second temps la physionomie de l’État (cf. R. Derathé op. Cit. p. 209.210). Mais le principe du pacte social demeure identique dans tous les cas de figure : les gouvernés établissent un contrat avec leur(s) gouvernant(s). Il faut attendre Thomas Hobbes pour qu'une première nuance se fasse dans la théorie du contrat. Selon le philosophe anglais, l'acte du contrat est en effet fondateur de la communauté politique : "Cela fait la multitude ainsi unie en une seule personne est appelée une République (Common-Wealth)"[12]. Toutefois 1° le contrat impose une renonciation de chacun à la force et un abandon de sa liberté ; 2° ce pacte aboutit à une délégation absolue de souveraineté au profit d'un individu ou d'une assemblée; 3° si les signataires du pacte se trouvent rigoureusement tenus par leur engagement initial, l'individu (ou l'assemblée) à qui échoit la puissance souveraine n'est en revanche lié par aucun engagement. En effet, l'autorité politique n'est pas l'une des parties prenante du contrat mais elle est le produit même de ce contrat. La mise en oeuvre du contrat revient en effet pour les contractants à : "désigner un homme ou une assemblée pour assumer leur personnalité"[13]. Avec Hobbes, donc le contrat social est moins un pacte entre gouvernants et gouvernés qu'un moyen d'institutionnaliser l'échange de la liberté contre celui de la sécurité en formant une communauté politique soumise à l'autorité sans partage du pouvoir politique. La grande originalité de Jean-Jacques Rousseau c'est de sortir l'idée de contrat social de cette problématique strictement échangiste. Pour le philosophe genevois, le pacte social ne saurait en effet se comparer à une transaction de type commercial. Ce n'est pas non plus un simple contrat de gouvernement passé entre le peuple et ses chefs, car ainsi que l'énonce formellement l'intitulé de l'un des chapitres du Contrat social : "L'institution du gouvernement n'est point un contrat" Livre III, Chap. 16 (Garnier pp. 303-304). En effet, si au moment du pacte, il existe bien, à la rigueur, une vague communauté, le corps politique ne se trouve pas encore formé. Ce sera précisément l'acte du contrat qui aura pour fonction d'organiser la simple communauté des individus en un véritable corps politique définissant ainsi les contours de la Société Civile ou État. Plus explicite encore que Hobbes sur ce point on peut dire qu'avec Rousseau l'idée même de politique naît du pacte social. Mais en outre, la souveraineté n'étant, nous l'avons vu ni une possession, ni une propriété mais l'être même de la société civile, elle ne saurait, à ce titre, faire objet d'un quelconque monnayage. Dans la perspective rousseauiste, la souveraineté se trouve hors de la sphère de l'échangeable. Le pacte social n'est pas à proprement parler une transaction, c'est un acte fondateur, d'une forme totalement originale, dans lequel le peuple statue avec lui-même au moment où il se constitue : "Le pacte social est d'une nature particulière propre à lui seul, en ce que le peuple ne contracte qu'avec lui-même c'est à dire le peuple en Corps comme souverain avec les particuliers comme sujets. Condition qui fait tout l'artifice et le jeu de la machine politique, et qui seul rend légitime, raisonnable et sans danger des engagements qui sans cela seraient absurdes, tyranniques et sujets aux plus énormes abus [14]« Alors que selon Hobbes chacun contracte avec chacun à titre individuel[15]. Chez Rousseau ce ne sont pas les individus en tant que tels qui passent contrat entre eux, mais chaque individu pactise avec tous c'est à dire déjà avec la communauté politique, ou selon l'expression de Robert Derathé avec le corps du peuple en voie de constitution. En conséquence les contractants n'échangent rigoureusement rien entre eux, ils procèdent d'un commun accord à la transformation totale et simultanée de leur liberté naturelle en une liberté conventionnelle. Par le jeu de cette étrange alchimie il se trouve que :"Chacun s'unissant à tous n'obéisse pourtant qu'à lui-même et reste aussi libre qu'auparavant[16]". En effet, et c'est ce qui fait l'originalité de Rousseau, le but premier du pacte social n'est ni la sécurité ni la richesse des contractants mais leur liberté en tant que citoyens responsables de leur destin politique. La garantie de la liberté est la raison première du contrat; les autres avantages n'en sont que des conséquences adventices. Dès lors, une dualité fondamentale s'instaure au sein de la communauté civile. En effet, selon les occasions la communauté politique ainsi formée se manifeste tantôt comme entité gouvernante et tantôt comme entité gouvernée et ses membres tantôt de manière active et souveraine (citoyens) et tantôt de manière passive et voués à l'obéissance (sujets) : "Nous remarquons que cet acte d'association renferme un engagement réciproque du public et des particuliers, et que chaque individu, contractant pour ainsi dire avec lui-même, se trouve engagé sous un double rapport, savoir comme membre souverain envers les particuliers, et comme membre de l’État envers le souverain[17]" Du fait de cette dualité qu'instaure le pacte social, la mise en place du corps social ne supprime pas la liberté naturelle, elle la convertit en liberté conventionnelle. En effet l'individu n'échange pas, comme avec Hobbes, sa liberté de l'état de nature contre la sécurité de l'état civile, mais il réaménage sa liberté et en un sens il en accroît la portée puisque, dans l'union des volontés particulières en volonté générale, chacun acquiert davantage de force pour défendre ce qu'il possède, y compris sa propre liberté. On pourrait objecter que, de façon paradoxale pour "rester aussi libre qu'auparavant" il s'avère indispensable selon Rousseau de procéder à "l'aliénation totale de chaque associé avec tous ces droits à toute la communauté". Or, si cette aliénation ne constitue pas une restriction à la liberté individuelle c'est dans la mesure où, pour l'auteur du Contrat social, seule la volonté générale est principe légitime de souveraineté : "Les particuliers n'étant soumis qu'au souverain et l'autorité souveraine n'étant autre chose que la volonté générale, nous verrons comment chaque homme obéissant au souverain, n'obéit qu'à lui-même, et comment on est plus libre dans le pacte social que dans l'état de nature[18]". L'impératif de l'exercice de la souveraineté comme volonté générale conditionne la légitimité du pacte; il est censé et résoudre le paradoxe d'une souveraineté absolue (totalitaire dirions-nous aujourd'hui) qui éviterait l'oppression et les turpitudes d'un pouvoir tyrannique. Pour bien comprendre cet état de fait, il convient de se pencher sur les particularités du corps social selon Rousseau. 4–Le corps social Une fois le pacte social scellé: « nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout[19] «, dès lors une nouvelle entité se constitue . En effet, cet événement fondateur qu’est l’acte du contrat engendre sans délais une modification radicale : « A l’instant, au lieu de la personne particulière de chaque contractant, cet acte d’association produit un corps moral et collectif, et composé d’autant de membres que l’assemblée à de voix, lequel reçoit de ce même acte son unité son moi commun, sa vie et sa volonté[20] «. Le corps social se constitue en fait comme précipite un nouveau composé lors d’une réaction chimique . Si la métaphore du corps social revêt une indiscutable connotation biologique, et renvoie à l’idée d’organisme ; elle connote davantage encore l’idée d’un processus de nature chimique ; on doit à Bruno Bernardi[21] d’avoir ouvert cette perspective féconde. L’association s’oppose alors à la simple agrégation. Dans une agrégation – par exemple un tas de sable – le tout possède les mêmes propriétés que chacun des éléments agrégés, ce qui n’est pas le cas dans une association chimique, l’eau ne manifeste en effet aucune des propriétés de ses deux composants élémentaires : « L’agrégation est une somme telle que les propriétés du tout sont de même nature que celles des éléments qui la compose. L’association au contraire est une union de telle nature que le tout a des propriétés qui lui sont propres et d’un autre ordre que celles de ses constituants. Constitution, composition, liaison, sont des notions au moyen desquelles on peut penser l’idée d’association[22] «. Mais on peut aller plus loin : alors que dans une agrégation chaque élément conserve sa nature propre (dans un tas de sable chaque élément reste un grain de sable), dans une association chimique chaque élément constitutif du tout perd les caractéristiques de sa nature première et se trouve proprement dénaturé. Ainsi, par exemple, ni l’oxygène ni l’hydrogène une fois chimiquement associés dans le corps composé que constitue l’eau ne disposent plus leurs propriétés initiales.  Dès que par le jeu du pacte social le précipité politique vient à constituer un corps social, l’individu perd alors de façon irrémédiable sa nature originelle. Il reste lui-même mais il s’altère, accédant à cette part potentielle de sa propre essence qui ne n’est susceptible de se manifester qu’à l’intérieur de l’association politique que vient sceller le pacte social : « Ce passage de l’état de nature à l’état civil produit dans l’homme un changement très remarquable en substituant dans sa conduite la justice à l’instinct, et en donnant à ses actions la moralité qui leur manquait auparavant[23] «. Remodelé par la spécificité de l’association politique l’homme est alors « forcé d’agir sur d’autres principes[24] «. Mais cette altération qui découle de l’union est conçue par Rousseau comme positive : « Quoiqu’il se prive dans cet état de plusieurs avantages qu’il tient de la nature il en regagne de si grands (...) [qu’] il devrait bénir l’instant heureux qui l’en arracha pour jamais[25] «. L’avantage de la métaphore chimique sur la métaphore organique, pour rendre compte de la spécificité du corps politique, c’est que l’association chimique – Bruno Bernardi le souligne clairement – reste par nature réversible. Lorsque l’union vitale se dissout, les parties de l’organisme, incapables de subsister par elles-mêmes à l’état séparé, ne tardent pas à se corrompre dans un processus irréversible de décomposition ; lorsqu’au contraire, l’association chimique se trouve rompue, chaque élément du corps composé retrouve sa nature initiale et perd les propriétés qu’il avait acquises dans son état d’union chimique préalable. Il suffit en l’occurrence que le pacte social soit violé pour que l’union chimique du corps social se trouve dissoute en ses éléments simples d’avant la liaison :  : « chacun rentre alors dans ses premiers droits, et reprenne sa liberté naturelle, en perdant la liberté conventionnelle pour laquelle il y renonça[26]. «. À l’heure où la connaissance de la matière sort lentement de l’âge de l’alchimie pour entrer dans ce lui de la chimie proprement dite, il est dans l’ordre des choses de voir un esprit des lumières s’intéresser à de nouveaux mécanismes de combinaison. Si Rousseau ne fut pas à proprement parler un chimiste, il est néanmoins l’auteur d’un traité méconnu sur le sujet : Les Institutions chymiques, compilation commentée des connaissances de l’époque. Si l’ouvrage n’a guère en lui-même d’intérêt scientifique, il montre que Rousseau manifestait une réelle curiosité pour une science en cours d’élaboration et explique que l’auteur du Contrat social ait implicitement choisi d’utiliser un paradigme chimique pour rendre compte de la formation du corps social. Que le corps social soit conçu chez Rousseau en référence aux processus chimiques amène trois remarques. La première c’est que, l’union politique apparaît par nature fragile. De même que la cohésion moléculaire des corps chimiques tient à la force électrique des liaisons, la cohésion politique du corps social tient à l’intégrité de la volonté générale. « L’union chimique, la mixtion, est réversible, elle permet donc de penser le corps politique comme une unité constamment menacée par la dissolution[27]. «. La seconde remarque c’est que ce dispositif conceptuel manifeste la dualité de la nature humaine dans l’anthropologie rousseauiste. Il existe en effet une nature propre à l’état sauvage – nature d’avant le contrat telle que le philosophe genevois nous la décrit dans son deuxième discours Sur l’origine de l’inégalité – et une nature propre à l’état social et qui s’instaure dans l’acte du pacte fondateur ; chacune de ces deux natures ont leurs caractéristiques ; elles ne se contredise pas car elles correspondent à des situations différentes. En outre, toute forme d’agrégation humaine qui ne serait pas scellée le pacte social – dont les termes sont définis au chapitre 6 du livre 1 – contrairement aux apparences, laisse subsister l’homme à l’état sauvage. C’est le cas d’un gouvernement dont les actes ne procéderaient pas de la volonté générale qui, nous l’avons vu, est seule souveraine. Si par exemple chez Hobbes, l’homme demeure « un loup pour l’homme «, c’est que la nature de l’association qu’il propose ne s’établit pas selon les termes d’un véritable pacte social (cf. textes). Dans la mesure où une volonté particulière (celle d’un homme ou d’une assemblée) réunit à la fois autorité et souveraineté le « common wealth « tels qu’il se trouve défini par Hobbes aboutit à un mélange qui ne suffit pas à induire les changements appropriés de la nature humaine. Si, à la rigueur l’union politique telle que la conçoit Hobbes se constitue bien à partir de la volonté général, les termes du contrat proposé par l’auteur du Leviathan sont incapables de laisser subsister cette volonté générale une fois l’union établie. En réunissant souveraineté et autorité dans les mains d’une volonté particulière l’union politique telle que la conçoit Hobbes est inapte à faire perdurer le pacte social : sitôt produite la réaction chimique cesse, et les éléments reprennent leur physionomies originelle l’union politique est dès lors illusoire. Enfin à l’instar de l’unité chimique, l’union politique est par essence une totalité ; dès qu’un élément du composé tend à retrouver les propriétés qu’il avait à l’état séparé, c’est l’ensemble du corps – politique ou social – qui se voit menacé. Sous sa forme politique le principe se formule en ces termes : le corps social qui doit sa cohésion à la force de la volonté générale ne saurait tolérer la présence en son sein de volontés particulières, sous quelque forme que ce soit. Telle est sans doute l’origine de ce « totalitarisme « que nombre de commentateurs on reproché à l’auteur du Contrat social. Si Rousseau considère les partis politiques, les syndicats et les associations comme autant de danger pour la communauté politique c’est que de tels groupements manifestent l’émergence d’une volonté particulière dont l’autonomie met en péril l’association politique risquant de la transformer en simple agrégat. Conclusion : influence et limites du Contrat social. Travail de pure théorie politique, le Contrat social ne permet presque jamais d'envisager les solutions pratiques à mettre en oeuvre. Quelles institutions mettre en place pour permettre à la volonté générale d'exercer sa souveraineté en évitant l'écueil majoritaire? Comment gouverner un État moderne sans faire appel à la représentation? Quelle instance serait apte à contrôler le pouvoir exécutif...? Rousseau ne dit pratiquement rien dans son texte des solutions pratiques à envisager. Lorsqu'il s'attellera lui même à des questions de pratique dans ses Considérations sur le gouvernement de Pologne, ou dans son Projet de constitution sur la Corse, on le verra nuancer son radicalisme. Reconnaissant la difficulté d'échapper à la députation et aux solutions majoritaires. Mais on peut adresser à l'auteur du Contrat social une critique plus profonde. Les solutions qu'il propose restent exclusivement politiques. Rousseau ignore l'aspect social des problèmes. Contrairement à ce que Marx mettra en lumière cent ans après lui, Rousseau ne prend pas en compte la surdétermination économique et sociale des problèmes politiques. L'égalité qu'il invoque reste une égalité formelle qui concerne le seul pouvoir de décision des citoyens, Rousseau ne se préoccupe pratiquement jamais d'équité sociale ou de justice économique. Or d'une façon significative, ces limites de la pensée rousseauiste se retrouvent quelques années plus tard dans les réalisations des révolutionnaires au pouvoir. On peut enfin reprocher l'étatisme absolu de Rousseau. A plus d'un titre, nous l'avons vu, la pensée de Rousseau emprunte son matériau à l'auteur du Leviathan, et le Contrat social ne fait souvent que transposer de façon pure et simple à l’État souverain ce qui, chez Hobbes, revenait au monarque. Certes la réciprocité absolue qu'implique le pacte social et la souveraineté strictement définie par la volonté générale se veulent les garants de la liberté individuelle. Mais dans la mesure où les moyens pratiques à mettre en oeuvre pour se conformer à la théorie demeurent obscurs, les risques de dérapages abusifs sont nombreux. Ainsi pour ne pas diviser la souveraineté et garder une unité de l'expression de la volonté générale Rousseau reste hostile à toute forme d'association de citoyens (confréries, partis politiques, syndicats ...) Inspiré de ces thèses les révolutionnaires ne reconnaîtront pas aux citoyens le droit d'association qui se trouvera donc démuni face au pouvoir d’État jusqu'à la fameuse loi de 1901. Ces réserves ne doivent pourtant pas masquer, que les thèses rousseauistes constituent la justification la plus rigoureuse de ce que nous appelons désormais l'Etat de droit et ouvrent une voie royale à la mise en oeuvre d'une politique pertinente des Droits de l'homme. -----------------------

[1] Le Citoyen, Livre I chap.2 (GF P.90). [2] Blaise Baschofen, la condition de la liberté Paris 2002, Payot. [3] Classiques Garnier p.65 in Philosophie n° 19 (été 1988).[4] [5] Manuscrit de Genève Livre I chap. 5.. [6] Contrat social Livre II chap. & (Garnier p.250). [7] ibid. Cf. également Livre III chap. 15. [8]Gouvernement de Pologne (Garnier p. 362). [9] Ibid chap.2. [10] C'est moi qui souligne. Classiques Garnier p. 362. [11] Joseph R. Strayer, Les origines médiévales de l'état moderne. Payot, 1979 pp.96-97. [12] Leviathan, II chap. 17. [13] Le texte anglais dit plus vigoureusement encore "To beare their Person" ibid (Pinguin p 227). [14] Émile livre V. [15] "il s'agit d'une unité réelle de tous en une seule et même personne, unité réalisée par une convention de chacun avec chacun passée de telle sorte que c'est comme si chacun disait à chacun : J'autorise cet homme ou cette assemblée, et je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à cette condition que tu lui abandonnes ton droit et que tu autorises toutes ses actions de la même manière." Thomas Hobbes, Leviathan II, chap.17 [16] Contrat social Livre I chap. 6. [17] Émile, livre 5 (GF p. 603). On se reportera naturellement aux précisions terminologiques apportées par Rousseau au livre I chap. 6 du Contrat social qui outre la définition générique du terme "République" prend soin de distinguer de manière explicite "État" et "Souverain"; "Sujet et "Citoyen" (cf. textes joints) Toutes choses égales cette dualité développe au niveau politique une analogie remarquable avec la dualité métaphysique nature naturée/nature naturante chez Spinoza. [18] Émile, livre V (GF p. 604). [19] Du contrat social Livre 1, chap. 6 Garnier p. 244. C’est mois qui souligne en corps. [20] Ibid. [21] Bruno Bernardi, J-J Rousseau, une chimie du politique ? in Philosophie n° 56 (décembre 1997) [22] Bruno Bernardi, ibid p. 55. [23] Contrat social Livre I, chap. 8. [24] Ibid. [25] Ibid. [26] Contrat social Livre I chap. 6. [27] Bruno Bernardi op. cit.

 

Introduction.    Plusieurs facteurs viennent compliquer la lecture du Contrat social. D'abord, de façon un peu paradoxale, l'élégance du style : Rousseau évite au maximum l'aridité technique propre à la langue philosophique ou au vocabulaire juridique, mais l'apparente fluidité de son écriture tend à distraire l'attention du lecteur, et masque une argumentation pleine de subtilité et de rigueur.  De tous les écrits rousseauistes ensuite, le Contrat social est sans doute le texte où l'abstraction théorique atteint son niveau le plus élaboré. Si Rousseau rédige en écrivain, il pense en géomètre, et ses raisonnements atteignent souvent un degré d'abstraction élevé et manifestent une complexité difficile à dénouer.  Enfin le texte du Contrat social met constamment en perspective, les conceptions de nombreux penseurs politiques. Or, la plupart du temps, les références demeurent implicites. Si un lecteur éclairé du XVIIIe siècle pouvait sans trop de peine, saisir les allusions à Hobbes, à Pufendorf, à Grotius ou à Locke, elles échappent la plupart du temps à un lecteur du XXe siècle, d'autant que les textes impliqués sont, de nos jours parfois difficiles à se procurer. C'est du même coup la problématique même des thèses de Rousseau qui se trouve ainsi occultée.  Le but de cette présentation est de mettre en évidence cet arrière plan théorique et culturel sur lequel s'érige la pensée politique de Rousseau.    I – Les antécédents historiques de l'ouvrage    1 - Les limites de l'influence genevoise:    Le Contrat social paraît en 1762 après de longues années de maturation et de travail. L'ouvrage - sous titré Principes du droit politique - constitue en fait la partie d'un tout aujourd'hui perdu, sans doute jamais achevé par son auteur, et qui devait s'appeler Institutions Politiques.  C'est en se penchant sur les institutions de la Cité de Venise où il résidait en 1744 comme secrétaire d'ambassade, que Rousseau reconnaît avoir échafaudé le projet de son traité politique. : "Il y a treize ou quatorze ans - écrit-il dans ses Confessions - que j'en avais conçu la première idée lorsqu'étant à Venise j'avais eu quelque occasion de remarquer les défauts de ce Gouvernement si vanté."  Or on sait que Rousseau a quitté la Suisse en 1728 à l'âge de Seize ans, et qu'il n'est véritablement devenu citoyen genevois qu'en 1754. Jean-Jacques Rousseau n'a donc pas résidé en Suisse durant les années décisives de l'élaboration de sa pensée. En outre il n'est pas juriste de formation, et ne connaît que de manière très approximative les institutions de son pays natal au moment où il rédige le Contrat social. Il ne faut donc pas prendre Rousseau au pied de la lettre lorsqu'il rédige la dédicace de son Discours sur l'origine de l'inégalité : "A la République de Genève", ou qu'il se flatte, dans le Contrat social d'être : "Né citoyen d'un état libre" ,en se déclarant heureux de trouver dans ses recherches sur les gouvernements : "de nouvelles raisons d'aimer celui de mon pays".  Lorsque Jean-Jacques Rousseau projette de répondre aux Lettres écrites de la campagne (rédigées par le procureur général Jean Robert Tronchin, qui mettent ses théories en question, il lui faut se renseigner plus à fond sur les institutions de la ville. Il écrit par exemple en 1763, à De Luc : " Je n'ai jamais étudié la constitution de votre République (...), je ne connais de l'histoire de votre gouvernement que ce qui est dans Spon, et je vois que tout ce qui importe est supprimé." Cité par Robert Derathé in : J.J. Rousseau et la science politique de son temps, Vrin (p.13).  Les thèses développées par le Contrat social se sont d'ailleurs révélées si peu en accord avec les institutions genevoises que l'année même de sa parution, l'ouvrage sera condamné à Genève comme il venait de l'être à Paris.  Le gouvernement de Genève était en fait devenu, depuis l’édit de 1712, une oligarchie sous la coupe des 25 membres du Petit conseil. Cette assemblée restreinte décidait des dates de réunion et de l'ordre du jour du Grand Conseil - c'est à dire l'assemblée des citoyens - qui ne pouvait en fait jamais statuer sur les éléments clés de la vie politique. Rousseau ne s'y trompera d'ailleurs pas lorsqu'il se penchera sur les institutions de la cité de Calvin, il émettra un jugement particulièrement sévère.  On peut dire qu'en fait Rousseau a rêvé une hypothétique Cité genevoise, qui n'a jamais réellement existé.    2 - L'école du droit naturel    C'est en puisant dans les oeuvres des jurisconsultes, principalement Grotius, Althusius, Pufendorf, ainsi que dans celles de leur vulgarisateurs de l'époque Burlamaqui et surtout Barbeyrac que Rousseau s'est forgé une culture juridique.  Bien que généralement monarchistes, voire absolutistes, les jurisconsultes ont émis des réserves décisives aux théories du droit divin (défendues par Hornius, Ramsay ou Bossuet) ils ont également admis certaines limites à l'exercice de la souveraineté, d'où le nom de monarchomaques (machos=bataille) qu'on leur réserve parfois. Ainsi, le chapitre 7 Du livre III du Droit de la nature et des gens de Pufendorf se trouve par exemple entièrement consacré à la réfutation des conceptions absolutistes défendues par J. Fred. Hornius dans son De Civitate.  Chez les penseurs de l'école du droit naturel, en effet le pouvoir du roi reste un établissement humain, défini de manière contractuelle. Ce n'est plus la volonté divine qui confère l'autorité au roi mais la légitimité du contrat - réel ou tacite - sur lequel cette autorité souveraine repose. Avec beaucoup de précision, les jurisconsultes vont s'attacher dans leurs écrits à caractériser la nature de ce contrat, en s'efforçant de définir à quelles conditions les clauses en sont légitimes.    Pour formuler leur argumentation les théoriciens du droit naturel s'appuient sur l'idée, familière à l'époque, d'un hypothétique état de nature, c'est à dire d'un état de l'humanité précédant toute espèce d'institution, où les hommes n'obéissant à aucune autorité, vivent dans l'indépendance et l'égalité. L'égalité consistant en ceci : nul n'est par nature fondé à commander aux autres ou destiné à obéir. Dès lors, pour que se forme la Société Civile (ou Etat) et qu'une autorité politique (ou gouvernement) soit en mesure d'exiger des hommes un abandon de leur indépendance naturelle, une convention première s'impose. Ce pacte initial devra préciser les conditions de ce renoncement et la nature des obligations mutuelles. La convention ainsi passée entre le peuple et ses chefs, constitue précisément le contrat social, nous verrons plus loin comment Rousseau en remanie l'idée.  Cette façon d'envisager l'établissement du pouvoir politique implique une idée force : il est lié à la nature même de l'être humain un certain nombre de prérogatives incontournables. Sur ce point on pourrait par exemple montrer comme l'a fait A. Matheron l'existence d'une convergence étroite entre la pensée politique de Spinoza et les théories développées par Grotius cf. : Spinoza et la problématique juridique de Grotius. (Philosophie n°4, novembre 1984).. En conséquence, un gouvernement qui pour asseoir son pouvoir refuse de prendre en compte les prérogatives que tout représentant du genre humain tient, à part égale, de sa naissance , devient de fait un gouvernement contre nature et sort du cadre de la légitimité. Avant de servir de base théorique aux futurs droits de l'homme, cette partie du droit prendra pour nom droits des gens.  Poser l'existence d'un droit des gens, préalable à toute espèce de système politique, aboutit dès lors à envisager pour les gouvernés la possibilité d'exercer un droit de résistance. Au cas où le souverain ne respecterait pas les principes de cet incontournable droit des gens, l'acte essentiel qui lie gouvernants et gouvernés se trouverait rompu en droit. En conséquence, un gouvernement qui, pour asseoir son pouvoir, refuse de prendre en compte les principes fondamentaux du droit des gens n'est plus fondé en droit puisqu'il entrave la nature même de l'homme au lieu de lui permettre l'épanouissement.    3 - Les philosophes du «Droit Politique«    "On me demandera si je suis prince ou législateur pour écrire sur la politique. Je réponds que non, et que c'est pour cela que j'écris sur la politique. Si j'étais prince ou législateur je ne perdrais pas mon temps à dire ce qu'il faut faire, je le ferais, ou je me tairais.". Contrairement à Montesquieu, Rousseau ne se présente pas comme un spécialiste des institutions politiques, il n'est du reste pas juriste de formation.  Dans le Contrat social Rousseau ne traite pas de droit positif, il n'envisage pas de modèle concret du fonctionnement de son système, il examine n'examine que de manière incidente - et seulement à titre d'exemple - les institutions particulières de telle ou telle nation, et ses références, puisées pour la plupart dans l'histoire grecque ou romaine, sont en fait de simples illustrations "culturelles" de portée très générale. L'ouvrage de Rousseau s'attache simplement à formuler les principes généraux du droit politique, sans s'attarder sur telle ou telle forme particulière de gouvernement, il s'agit selon la formule de R. Derathé "d'une discussion générale et abstraite", en un mot d'une pure théorie du droit.  En adoptant cette méthode abstraite, pour proposer une théorie générale du droit Rousseau se situe dans une lignée de penseurs politiques et philosophes du droits "modernes" tels que Hobbes ou Locke, mais il se rattache en outre aux philosophes de l'antiquité chez qui il choisit fréquemment ses références (Platon, Aristote, mais également Cicéron).  Si Rousseau combat sur plusieurs points les conceptions du pouvoir politique développées par Hobbes, il emprunte, au moins, sa méthode d'argumentation au philosophe anglais. L'originalité du Contrat social ne tient donc ni à la matière de son propos ni à la manière de le formuler mais à la hardiesse des conclusions auxquelles Rousseau aboutit par voie déductive.    II - L'originalité des thèses rousseauistes par rapport à la pensée politique de son temps    1- Pourquoi les hommes se rassemblent-ils en communauté    Si tous les penseurs politiques tombent d'accord pour admettre que le rassemblement en communauté constitue l'une des caractéristiques définissant l'humanité de l'homme : "L'homme est par nature un animal politique" affirmait déjà Aristote, tous ne s'entendent pas sur les motifs ni sur les buts effectifs de l'union politique.  Certains penseurs politiques, Hobbes en particulier, conçoivent l'état de nature sous la forme d'un état de guerre permanent, d'une sorte de conflit généralisé de tous contre chacun : "Si vous ajoutez à cette inclination naturelle que les homme ont de se nuire les uns aux autres (...) vous m’avouerez sans doute que l'état de naturel des hommes, avant qu'ils eussent formé des sociétés, était la guerre perpétuelle, et non seulement cela, mais une guerre de tous contre tous."Hobbes De Cive, livre I chap. 12 et 13 (GF p. 98/99). Selon l'auteur du De Cive et de Leviathan, l’indépendance naturelle de l'homme dégénère inévitablement en conflit généralisé, car l'homme se révèle par nature égoïste, avide de domination et de prestige.  Afin d'échapper aux contraintes inhérentes à cet état de nature, règne de la violence et de la force, et d'assurer leur sécurité, les hommes disposent d'une seule issue : édifier une communauté politique : "Car il n'existe pas d'autre moyen pour l'homme de préserver sa vie et sa liberté. "For there is no other way by which a man can secure his life and liberty”. Hobbes : Leviathan, Part.I chap 2 (Pelican Classic p 163.). Dans la perspective hobbesienne, le pouvoir est donc d'origine contractuelle et la recherche de la sécurité constitue le motif déterminant du regroupement des hommes en société. Les individus acceptent en commun de se soumettre à l'autorité du souverain, de lui remettre leurs forces naturelles et leur indépendance, en échange de quoi le souverain leur garantit la sécurité. Dans cette forme de convention, c'est au souverain et à lui seul, de choisir les moyens pour accomplir cette tâche. Selon une telle conception, de la formation de la Société Civile, la liberté des gouvernés est en effet considérée comme secondaire, par rapport à leur sécurité.    Pour le philosophe Locke, ainsi que pour la plupart des jurisconsultes (Pufendorf, Grotius...) ainsi que leurs commentateurs de l'époque (Barbeyrac, Burlamaqui...), l'autorité ne repose sur aucun fondement naturel. Dans l'état de nature, en effet, nul ne saurait accepter de dépendre d'un autre, parce que nul n'est naturellement fondé à commander son prochain. Mais surtout, pour ces penseurs, l'état de nature ne saurait être considéré comme le règne de la violence. En opposition avec les thèses de Hobbes, les jurisconsultes postulent au contraire une sociabilité naturelle qui pousse spontanément les hommes à s'unir. Ainsi Grotius décrit-il la sociabilité comme : "Une certaine inclination à vivre avec ses semblables, non pas de quelque manière que ce soit, mais paisiblement, et dans une communauté de vie aussi bien réglée que les lumières lui suggèrent" Grotius : Droit de la guerre et de la paix, Discours préliminaire..    La thèse de Rousseau procède en fait des deux analyses à la fois. Rousseau emprunte aux jurisconsultes l'idée que l'état de nature se caractérise au premier chef comme un état d'indépendance mutuelle, mais il rejette leur idée d'une sociabilité naturelle : "On voit le peu de soin qu'a pris la nature de rapprocher les hommes par les besoins mutuels et de leur faciliter l'usage de la parole, combien elle a peu préparé la sociabilité et combien elle a peu mis du sien dans tout ce qu'ils ont fait pour en établir les liens" Discours sur l'origine de l'inégalité. La position rousseauiste est donc à rapprocher pour une large part de celle de Hobbes : "Car si l'on considère de plus près les causes pour lesquelles les hommes s'assemblent, et se plaisent à une mutuelle société, il apparaîtra bientôt que cela n'arrive que par accident, et non par une disposition nécessaire de leur nature[1]"  Mais Rousseau écarte également la thèse de Hobbes selon laquelle l'état de nature se définirait comme un état de guerre absolu. C'est pourtant bien pour faire cesser une violence généralisée que les hommes s'associent par le pacte social. Deux remarques s'imposent 1° La violence généralisée, selon Rousseau, se caractérise davantage par une perte de liberté que par un surcroît d'insécurité. Il y a violence avant le pacte social dans la mesure où les hommes se trouvent confrontés à un état de fait auquel ils n'ont point consenti. La violence d'avant le pacte social tient donc déjà à un mode d'organisation "politique" pervers et non a priori à la nature de l'homme. Car et c'est là un aspect primordial de la doctrine rousseauiste 2°la violence généralisée n'est pas liée à l'état de nature, elle s'instaure au contraire à partir du moment où les individus ont commencé à se rassembler en communauté,(et qu'ils ont déjà perdu leur indépendance naturelle. Pour l'auteur du Discours sur l'origine de l'inégalité en effet l'état de guerre) n'est pas pensable dans l'état de nature; tout au plus peut-on parler de rivalités provisoires et de violence locale. La guerre en revanche est une institution, c'est un conflit d’État à État (ou au moins de groupe social à groupe social), non d'individu à individu.  En fait pour Rousseau c’est à partir du moment où se pose la question de la propriété des fonds (i.e. des terres), que la question du politique se pose réellement. En effet contrairement au théoriciens du libéralisme (Hobbes, Locke), Rousseau ne pense pas que la propriété des terres constitue un droit naturel en soi. Certes les hommes ont naturellement le droit d’assurer leur survie. Mais cette survie exige de jouir des productions de la terre (plantes, animaux, matières premières etc.) mais non de s’en approprier le fonds. L’acte par lequel un individu s’approprie un terrain ne peut jamais être fondé en droit :  « Il y a toujours, entre le fait originel de la propriété et son fondement légitime, un décalage qui l’entache de soupçon d’usurpation .[2]«  Il faut donc qu’après l’acte d’appropriation, fait infondé en droit, un pacte social vienne légitimer le coup de force que représente cette appropriation. Au chap. ix du livre 1 du Contrat social Rousseau pose le cadre de cette légitimation a posteriori.  De plus, pour Rousseau, la terre n’est pas comme une rivière ou chacun pourrait puiser indéfiniment (ainsi que le pense Locke cf. Second traité du gouvernement section 33.), bien au contraire, toutes les terres sont déjà occupées, il naît donc nécessairement des tensions entre les propriétaires qui veulent maintenir leurs fonds et les autres, les surnuméraires qui ne possèdent rien. On verra dans le Contrat Social l’importance du chapitre intitulé « Du domaine réel « qui clôt le livre 1.  Le pacte social ne se situe donc pas au moment du passage de l'état de nature à l' état social, mais à celui du passage d'un état social pervers établi sur la violence et la force, à une communauté politique légitime fondée en droit. C'est en cela que la pensée rousseauiste s'avère foncièrement révolutionnaire.  Les premières sociétés humaines tiennent à une situation de fait. Les hommes y sont malencontreusement tombés sous la coupe de puissants, ils ont été contraints de renoncer à leur liberté naturelle sans rien recevoir en échange. Le pacte social se propose de rétablir l'ordre perdu, il fournit une solution politique fondée sur l'équité dans laquelle la liberté naturelle se trouvera convertie en une liberté conventionnelle.  Sans entrer dans les détails de l'explication liée à la perte de l'état de nature, notons que l'auteur du Discours sur l'origine de l'inégalité en propose deux causes : 1° la perfectibilité de l'homme qui le pousse sans cesse au-delà de lui-même; mais surtout 2° Un funeste hasard ou "un concours fortuit de plusieurs causes étrangères qui ne pouvaient jamais être et sans lesquelles il fût demeuré éternellement dans sa condition primitive" [3]. Pour expliquer schématiquement le processus de dégradation, disons que la perfectibilité engendre chez l'homme davantage de besoins qu'elle ne développe d'aptitudes à les satisfaire. Il arrive donc un moment où les individus doivent s'unir pour pallier les manques accumulés.    2 - La souveraineté    a) La question des sources de l'autorité politique.    Lorsqu'il s'agit d'élucider l'origine du pouvoir quatre thèses s'affrontent et se recoupent à la fois  L'autorité politique tire son origine de la volonté divine, même si le souverain peut faire l'objet d'un choix humain, c'est de Dieu qu'il tient la légitimité de son autorité et non des hommes qui l'ont élu, la volonté des hommes n'étant en l'occurrence que le canal par où s'exprime la volonté divine. C'est la théorie soutenue, entre autre, par Ramsay et Bossuet, et qui s'appuie sur l'affirmation de St Paul : "Non est potestas nisi a Deo" (il n'est pas de pouvoir qui ne vienne de Dieu Epître aux Romains XIII cf. texte en annexe.).  L'autorité politique tire son origine de la nature, la théorie est dans une certaine mesure complémentaire de la première : elle explique le pouvoir royal sur le modèle paternel. De même que l'on constate une légitimité naturelle (c'est à dire en fin de compte voulue par Dieu) de l'autorité du père sur ses enfants, on peut parler d'une légitimité naturelle de l'autorité du souverain à l'égard de ses sujets. C'est la façon dont certains théoriciens du droit naturel tel Pufendorf justifient l'absolutisme.  L'autorité politique tire son origine d'un contrat. Pour la majeure partie des théoriciens du droit naturel, le souverain tient sa légitimité non de Dieu mais des hommes qui ont passé avec lui un contrat d'obéissance : "Le peuple fait les souverains et donne la souveraineté" affirme Jurieu Lettres Pastorales Lettre XVIe Cité par Robert Derathé : J.J. Rousseau et la science politique de son temps, Vrin P.230.. Une fois le contrat passé, l'autorité peut éventuellement s'expliquer selon le modèle paternel.  L'autorité politique tire enfin son origine de la force et résulte d'un état de fait; l'opinion venant avec le temps prendre le relais de la force. Il n'y a guère que le philosophe écossais David Hume qui ne soutienne explicitement cette thèse, (à titre de simple constatation expérimentale) bien que l'idée paraisse implicite chez de nombreux penseurs politiques.  Remarque importante : même s'il convient de faire des nuances, on rencontre des partisans de l'absolutisme monarchique parmi les défenseurs de chacune de ces théories. Ainsi les thèses contractuelles de Hobbes n'empêchent pas le philosophe de se montrer un ardent défenseur de la monarchie absolue. En fait ces différentes théories se complètent et se répondent davantage qu'elles ne s'opposent ou qu'elles ne se contredisent.    b) La nature de la souveraineté.  La souveraineté est-elle en soi absolue ou peut-elle se partager? accepte-t-elle certaines limites et dans quelles proportions.  Pour les théoriciens de l'absolutisme, la souveraineté n'admet pas de partage. Elle forme une totalité indivisible et ne saurait souffrir le moindre partage sans perdre du même coup son essence. L'idée de limitation lui est de surcroît incompatible. Hobbes, à quelques réserves près, illustre cette position exclusive.  Les théoriciens du droit que l'on a appelé, à la fin du XVIIe siècle, les "monarchomaques" demeurent généralement partisans d'une souveraineté indivisible, mais ils admettent des limites à son exercice, et concèdent aux sujets un droit de résistance, dans les cas où le souverain exerce son pouvoir de manière abusive. On peu par exemple lire au chapitre 38 de la Politica d'Althusius : La République en constituant le prince ne se dépouille pas elle-même de la possibilité de se préserver de lui, et elle n'a pas remis la puissance au tyran pour qu'il la détruise" Chap 38 De la tyrannie et de ses remèdes; traduction M-H Belin in Philosophie n°4 (novembre 1984).  Les "monarchomaques" demeurent en la matière très prudents voire timorés. Mieux vaut par exemple, selon Althusius, subir une injustice, même grave que de ruiner les liens fondamentaux de la consociation; c'est dans le seul cas où l'autorité du souverain menace cette consociation. Terme transposé du latin consociatio, et forgé par Althusius, qui renvoie à la constitution organique du corps social. Cf. Marie-Helène Belin : Souveraineté et droit de résistance, in Philosophie n°4. que les gouvernés sont fondés à résister.  Grotius pour sa part déploie un trésor d'argumentation afin de démontrer, contre Hobbes, que la limitation de la souveraineté ne constitue ni un partage ni une division de celle-ci. Pour l'auteur du Droit de la guerre et de la paix, le roi dispose seul de l'autorité politique, et il ne tient qu'à lui de ne jamais susciter de la part de ceux qu'il gouverne l'exercice de leur droit de résistance Jean Fabien Spitz commente en ces termes la thèse de Grotius :"Non seulement la limitation n'implique pas la supériorité du peuple sur le roi, mais elle n'implique pas non plus leur égalité puisqu'elle ne débouche jamais sur une situation où le roi serait incapable d'agir sans le concours du peuple; le roi peut toujours agir seul, et c'est ce que prévoit et organise la constitution de l'Etat limité; de plus (...) il peut toujours agir de manière à ne rencontrer aucune trace de désobéissance. En un mot, il n'y a qu'un seul souverain sans partage et sans égal" (L'idée de souveraineté limitée chez Grotius[4].«    Enfin il existe également un courant de pensée qui pose la nécessité d'un partage de l'autorité politique. Le plus illustre de ses représentants en reste Montesquieu. Pour l'auteur de l’Esprit des lois, pouvoir exécutif et pouvoir législatif ne doivent, en aucun cas, se trouver réunis dans la même personne ni dans la même assemblée, mais constituer deux instances souveraines dans leur domaine et autonomes l'une par rapport à l'autre : "Lorsque dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n'y a point de liberté; parce qu'on peut craindre que le même monarque ou le même sénat ne fasse des lois tyranniques pour les exécuter tyranniquement." Esprit des lois Livre XI chap.6.    c) L'apport rousseauiste.  La théorie rousseauiste de la souveraineté tire son originalité d'un point essentiel. Pour l'auteur du Contrat social, la souveraineté ne réside ni dans une personne, ni dans une assemblée mais dans la volonté générale. Dès lors la souveraineté s'impose comme l'émanation de l'ensemble du peuple organisé en corps, elle est le fait du peuple et de lui seul. Mais dans ce processus, l'existence du souverain demeure entièrement abstraite, il s'agit essentiellement d'une personne morale : "Il y a (...) dans l’État une force commune qui le soutient, une volonté générale qui dirige cette force, et c'est l'application de l'une à l'autre qui constitue la souveraineté. Par où l'on voit que le souverain n'est par sa nature qu'une personne morale qu'il n'a qu'une existence abstraite et collective, et que l'idée qu'on attache à ce mot ne peut être unie à celle d'un simple individu «[5] La souveraineté n'appartient pas à proprement parler au corps politique, elle en constitue l'être même; ce qui est très différent d'une simple possession.    En conséquence    * La souveraineté est par nature inaliénable, ce n'est pas une propriété dont le peuple peut faire commerce en échange de quoique ce soit. Perdre sa souveraineté c'est perdre sa nature : "La souveraineté n'étant que l'exercice de la volonté générale ne peut jamais s'aliéner «[6]    * La souveraineté ne se représente pas : "Le souverain qui n'est qu'un être collectif ne peut être représenté que par lui-même : le pouvoir peut bien se transmettre, mais pas la volonté"[7]: "L'idée de Représentants est moderne : elle nous vient du gouvernement féodal... Dans les anciennes Républiques et même dans les Monarchies, jamais le peuple n'eut de représentants, on ne connaissait pas ce mot là.". Ce qui pose un problème lorsque la superficie et la population de l’État dépassent certaines proportions. Dès que la volonté générale fait l'objet d'une délégation elle devient vulnérable aux dévoiements et à la corruption. Problème que Rousseau formulera clairement dans le Gouvernement de Pologne : "Un des plus grand inconvénients des grands États, celui de tous qui rend la liberté le plus difficile à conserver, est que la puissance législative ne peut s'y montrer elle-même, et ne peut agir que par députation. Cela à son mal et son bien, mais le mal l'emporte. Le législateur en corps est impossible à corrompre, mais facile à tromper. Ses représentant sont difficilement trompés, mais aisément corrompus, et il arrive rarement qu'ils ne le soient pas"[8]    * La souveraineté est par nature indivisible car dès que l'on cesse de considérer les individus en corps, il n'y a plus que des volontés particulières, et donc un pur jeu de forces rivales dont aucune quelle que fût sa puissance, ne peut, en droit, prétendre à la souveraineté. : "Par la même raison que la souveraineté est inaliénable, elle est indivisible, car la volonté est générale ou elle n'est pas; elle est celle du corps du peuple ou seulement d'une partie. Dans le premier cas cette volonté déclarée est un acte de souveraineté et fait loi; dans le second ce n'est qu'une volonté particulière ou un acte de magistrature, c'est un décret tout au plus"[9]  Alors que les penseurs politiques ont toujours confondu gouvernement (pouvoir politique) et souveraineté, avec Rousseau une distinction majeure s'opère entre ces deux notions. Le pouvoir politique ou gouvernement exécute les décisions de la volonté générale - c'est en cela qu'on le nomme pouvoir exécutif - il n'y participe pas. Contrairement à ce que l'on a pu dire Rousseau ne retrouve pas la distinction entre pouvoir politique et pouvoir exécutif. Dans l'esprit de Montesquieu il s'agissait d'une répartition de la souveraineté. Pour Rousseau en revanche le pouvoir exécutif ne dispose pas de la moindre parcelle de souveraineté. Si le pouvoir exécutif dispose d'une autorité réelle il la tient en effet de la volonté générale qui est seule souveraine et peut à tout moment l'en suspendre ou l'en démettre. Le pouvoir exécutif, l'autorité, le gouvernement ne sont que des fonctions de Société Civile ou État, la souveraineté en constitue l'être même. 

rousseau

« clauses en sont légitimes. Pour formuler leur argumentation les théoriciens du droit naturel s'appuient sur l'idée, familière à l'époque, d'unhypothétique état de nature, c'est à dire d'un état de l'humanité précédant toute espèce d'institution, où leshommes n'obéissant à aucune autorité, vivent dans l'indépendance et l'égalité.

L'égalité consistant en ceci : nuln'est par nature fondé à commander aux autres ou destiné à obéir.

Dès lors, pour que se forme la Société Civile (ouEtat) et qu'une autorité politique (ou gouvernement) soit en mesure d'exiger des hommes un abandon de leurindépendance naturelle, une convention première s'impose.

Ce pacte initial devra préciser les conditions de cerenoncement et la nature des obligations mutuelles.

La convention ainsi passée entre le peuple et ses chefs,constitue précisément le contrat social, nous verrons plus loin comment Rousseau en remanie l'idée.Cette façon d'envisager l'établissement du pouvoir politique implique une idée force : il est lié à la nature même del'être humain un certain nombre de prérogatives incontournables.

Sur ce point on pourrait par exemple montrercomme l'a fait A.

Matheron l'existence d'une convergence étroite entre la pensée politique de Spinoza et les théoriesdéveloppées par Grotius cf.

: Spinoza et la problématique juridique de Grotius.

(Philosophie n°4, novembre 1984)..En conséquence, un gouvernement qui pour asseoir son pouvoir refuse de prendre en compte les prérogatives quetout représentant du genre humain tient, à part égale, de sa naissance , devient de fait un gouvernement contrenature et sort du cadre de la légitimité.

Avant de servir de base théorique aux futurs droits de l'homme, cette partiedu droit prendra pour nom droits des gens.Poser l'existence d'un droit des gens, préalable à toute espèce de système politique, aboutit dès lors à envisagerpour les gouvernés la possibilité d'exercer un droit de résistance.

Au cas où le souverain ne respecterait pas lesprincipes de cet incontournable droit des gens, l'acte essentiel qui lie gouvernants et gouvernés se trouverait rompuen droit.

En conséquence, un gouvernement qui, pour asseoir son pouvoir, refuse de prendre en compte lesprincipes fondamentaux du droit des gens n'est plus fondé en droit puisqu'il entrave la nature même de l'homme aulieu de lui permettre l'épanouissement. 3 - Les philosophes du «Droit Politique» "On me demandera si je suis prince ou législateur pour écrire sur la politique.

Je réponds que non, et que c'est pourcela que j'écris sur la politique.

Si j'étais prince ou législateur je ne perdrais pas mon temps à dire ce qu'il faut faire,je le ferais, ou je me tairais.".

Contrairement à Montesquieu, Rousseau ne se présente pas comme un spécialiste desinstitutions politiques, il n'est du reste pas juriste de formation.Dans le Contrat social Rousseau ne traite pas de droit positif, il n'envisage pas de modèle concret dufonctionnement de son système, il examine n'examine que de manière incidente - et seulement à titre d'exemple -les institutions particulières de telle ou telle nation, et ses références, puisées pour la plupart dans l'histoire grecqueou romaine, sont en fait de simples illustrations "culturelles" de portée très générale.

L'ouvrage de Rousseaus'attache simplement à formuler les principes généraux du droit politique, sans s'attarder sur telle ou telle formeparticulière de gouvernement, il s'agit selon la formule de R.

Derathé "d'une discussion générale et abstraite", en unmot d'une pure théorie du droit.En adoptant cette méthode abstraite, pour proposer une théorie générale du droit Rousseau se situe dans unelignée de penseurs politiques et philosophes du droits "modernes" tels que Hobbes ou Locke, mais il se rattache enoutre aux philosophes de l'antiquité chez qui il choisit fréquemment ses références (Platon, Aristote, mais égalementCicéron).Si Rousseau combat sur plusieurs points les conceptions du pouvoir politique développées par Hobbes, il emprunte,au moins, sa méthode d'argumentation au philosophe anglais.

L'originalité du Contrat social ne tient donc ni à lamatière de son propos ni à la manière de le formuler mais à la hardiesse des conclusions auxquelles Rousseau aboutitpar voie déductive. II - L'originalité des thèses rousseauistes par rapport à la pensée politique de son temps 1- Pourquoi les hommes se rassemblent-ils en communauté Si tous les penseurs politiques tombent d'accord pour admettre que le rassemblement en communauté constituel'une des caractéristiques définissant l'humanité de l'homme : "L'homme est par nature un animal politique" affirmaitdéjà Aristote, tous ne s'entendent pas sur les motifs ni sur les buts effectifs de l'union politique.Certains penseurs politiques, Hobbes en particulier, conçoivent l'état de nature sous la forme d'un état de guerrepermanent, d'une sorte de conflit généralisé de tous contre chacun : "Si vous ajoutez à cette inclination naturelleque les homme ont de se nuire les uns aux autres (...) vous m'avouerez sans doute que l'état de naturel deshommes, avant qu'ils eussent formé des sociétés, était la guerre perpétuelle, et non seulement cela, mais uneguerre de tous contre tous."Hobbes De Cive, livre I chap.

12 et 13 (GF p.

98/99).

Selon l'auteur du De Cive et deLeviathan, l'indépendance naturelle de l'homme dégénère inévitablement en conflit généralisé, car l'homme se révèlepar nature égoïste, avide de domination et de prestige.Afin d'échapper aux contraintes inhérentes à cet état de nature, règne de la violence et de la force, et d'assurerleur sécurité, les hommes disposent d'une seule issue : édifier une communauté politique : "Car il n'existe pas d'autremoyen pour l'homme de préserver sa vie et sa liberté.

"For there is no other way by which a man can secure his lifeand liberty”.

Hobbes : Leviathan, Part.I chap 2 (Pelican Classic p 163.).

Dans la perspective hobbesienne, le pouvoirest donc d'origine contractuelle et la recherche de la sécurité constitue le motif déterminant du regroupement deshommes en société.

Les individus acceptent en commun de se soumettre à l'autorité du souverain, de lui remettreleurs forces naturelles et leur indépendance, en échange de quoi le souverain leur garantit la sécurité.

Dans cetteforme de convention, c'est au souverain et à lui seul, de choisir les moyens pour accomplir cette tâche.

Selon une. »

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