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Tacite, Histoires (extrait)

Publié le 13/04/2013

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Au début de ses Histoires, Tacite présente le cadre de son étude ainsi qu’un certain nombre de justificatifs. Rappelant la légendaire naissance de Rome (753 av. J.-C.), la victoire d’Octave sur Marc Antoine à la bataille d’Actium (31 av. J.-C.) puis la naissance de l’Empire (27 av. J.-C.), il place son récit sous les Flaviens, entre 69 et 96 apr. J.-C. Cherchant à rendre compte d’une histoire souvent mouvementée — empereurs assassinés, guerres de conquête, etc. — qu’il a vécue en gravissant les échelons de la carrière des honneurs, Tacite tient à se prémunir contre l’accusation de servilisme à l’égard du pouvoir et prône une objectivité dénuée de passion.

Histoires de Tacite (livre premier, chapitres 1-2)

 

I. Je commencerai mon ouvrage au second consulat de Servius Galba, où il eut pour collègue Titus Vinius. En effet, depuis la fondation de la ville jusqu’à nos jours, on compte huit cent vingt années dont maint auteur a rapporté les événements, et tant que cette histoire était celle du peuple romain, elle était racontée avec autant d’éloquence que de franchise ; mais après qu’on eut livré la bataille d’Actium et que dans l’intérêt de la paix on dut confier la toute-puissance à un seul homme, ces grands génies disparurent ; en même temps la vérité fut violée de bien des manières, d’abord par l’ignorance d’une politique à laquelle on était étranger, puis par la passion de l’adulation ou au contraire par la haine de la tyrannie ; ainsi ni les uns ni les autres ne se soucièrent de la postérité, parce qu’ils étaient hostiles ou serviles. Mais un auteur qui fait sa cour ne laisse pas de provoquer l’aversion, tandis que le dénigrement et l’envie trouvent des oreilles complaisantes : c’est qu’à l’adulation s’attache le déshonorant reproche de servilisme, alors que la malignité a un faux air d’indépendance. Pour moi, Galba, Othon, Vitellius ne se sont fait connaître ni par quelque bienfait, ni par quelque injure. La carrière des honneurs nous a été ouverte par Vespasien, Titus nous y a poussés et Domitien nous y a fait avancer plus loin encore, je ne songe pas à le nier ; mais qui a fait profession de loyauté incorruptible doit parler de chacun sans amour et sans haine. S’il me reste assez de vie, j’ai réservé pour ma vieillesse le principat du divin Nerva et celui de Trajan, sujets plus riches et moins dangereux grâce au rare bonheur d’une époque où l’on peut penser ce que l’on veut et dire ce que l’on pense.

 

 

II. J’entreprends une œuvre féconde en catastrophes, pleine de batailles affreuses, de discordes et de séditions, où la paix même a ses horreurs : quatre princes succombant sous le fer, trois guerres civiles, beaucoup d’étrangères et très souvent les unes et les autres à la fois ; des succès en Orient, des revers en Occident, l’Illyricum troublé ; les Gaules chancelantes, la Bretagne tôt domptée et puis abandonnée ; les nations Sarmates et Suèves levées contre nous ; le Dace illustré par nos défaites et par les siennes ; les Parthes eux-mêmes presque poussés à prendre les armes par l’imposture d’un faux Néron ; et puis l’Italie affligée de calamités nouvelles ou qui se renouvelaient après une longue série de siècles ; des villes dévorées ou englouties sur la côte si fertile de la Campanie ; Rome désolée par des incendies, voyant consumer ses plus antiques sanctuaires ; le Capitole lui-même brûlé par la main des citoyens ; la religion profanée ; des adultères scandaleux ; la mer couverte d’exilés ; les rochers teints de sang ; dans la ville des cruautés plus atroces encore : la noblesse, la fortune, les honneurs, le refus même des honneurs tenant lieu de crime, et pour prix des vertus la mort assurée ; les délateurs, dont les profits étaient aussi odieux que les crimes, se partageant comme des dépouilles, les uns les sacerdoces et les consulats, les autres, les charges de procurateurs et le pouvoir au palais, bouleversant tout par haine ou par peur ; les esclaves gagnés contre leurs maîtres, les affranchis contre leurs patrons, enfin ceux qui n’avaient pas d’ennemis accablés grâce à leurs amis.

 

 

Source : Tacite, Histoires, trad. par Henri Goelzer, Paris, Les Belles Lettres, 1965.

 

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