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« Télé-poubelle » et service public

Publié le 17/01/2022

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21 mai 2001 LE DÉBAT est maintenant sur la place publique : les nouvelles émissions programmées sur France 3, et à un moindre degré sur France 2, chaînes financées par la redevance imposée à tout possesseur de récepteur de télévision, sont- elles indignes d'un service public de l'audiovisuel ? La presse spécialisée réputée sérieuse, Télérama entre autres, et des chroniqueurs de journaux ou de la radio, par des coups d'humeur, avaient, ces derniers mois, sonné le tocsin à propos de l'irrésistible ascension de l'émission « C'est mon choix » sur France 3. De divertissement de l'après- midi, ce parangon de l'horreur cathodique est passé, cet été, en avant-soirée, pour enfin triompher un samedi de novembre à 20 h 50, heure de gloire des rendez-vous dits « fédérateurs ». Aujourd'hui, ce sont les politiques, par la voix de plusieurs députés de la majorité et de l'opposition, qui s'émeuvent de l'intrusion de ce que les spécialistes appellent dans leur jargon la « trash TV », la télé-poubelle populacière et racoleuse, au coeur du service public. On fronce les sourcils au ministère de la communication, et les sages du CSA font savoir qu'ils ont adressé quelques réprimandes aux responsables de la chaîne concernée. Ces derniers répliquent par une double défense : ils font, d'une part, valoir que l'émission en question n'est pas d'aussi mauvais goût qu'on le prétend et, d'autre part, que France 3 est, parmi les grandes chaînes, le principal diffuseur d'émissions dites de qualité, comme « Un livre, un jour », « C'est pas sorcier » ou « Questions pour un champion ». Reste le principal : « C'est mon choix » est regardé par un nombre toujours plus grand de téléspectateurs, damant le pion à des champions de l'Audimat de la chaîne privée TF 1. « Le public aime ça, il est bien le seul ! », maugréait naguère un critique de théâtre dégoûté de voir les spectateurs se précipiter en masse à un spectacle qu'il avait éreinté. Il faut, dans ce domaine, que les responsables politiques, des médias et autres personnalités réputées « faire l'opinion » montrent modestie et circonspection. Le peuple a mauvais goût, sous-entendent-ils en fustigeant ce type d'émission. Peut-être, mais c'est le peuple, on n'en connaît pas d'autre dans ce pays. D'ailleurs, qui pourrait légitimement s'ériger en censeur des divertissements populaires, pour autant que ces derniers ne relèvent pas d'un article du code pénal ? La puissance publique peut-elle agir, dans ce domaine, autrement que dans celui de la presse écrite ? C'est à ce moment du débat que surgit généralement l'argument massue : « Le devoir du service public, financé en partie par l'argent de la collectivité, n'est pas de faire à tout prix de l'audience, mais de remplir une mission d'information, d'éducation et de divertissement, dans le respect du pluralisme politique et des diversités culturelles », affirment en substance ceux qui sont chargés de sa tutelle. Comme si l'offre audiovisuelle n'avait pas radicalement changé depuis l'irruption, à la fin des années 80, de la télévision privée ! Plus que la division privé/public, c'est aujourd'hui la différence entre chaînes généralistes et chaînes thématiques qui est pertinente, cette division recoupant pour l'essentiel celle entre chaînes hertziennes et chaînes câblées ou satellitaires. Les « généralistes », diffusées par voie hertzienne, sont encore les seules qui atteignent plus de 80 % du public payant la redevance. Elles ont encore vocation à donner une offre globale : information, sport, culture, etc. Elles sont dans une situation de concurrence féroce, à l'exception de La Cinquième-Arte, chaînes à mission explicitement éducative et culturelle, mais dont on sent bien qu'elles sont, elles aussi, chatouillées de temps en temps par l'odeur de l'Audimat. Pour France 2 et France 3, l'étiquette « service public » est plus un handicap qu'un atout dans sa compétition avec TF1, crocodile dominant dans le marigot. Les chaînes publiques biaisent tant bien que mal, produisent des émissions alibis - un Michel Field pour faire passer une Evelyne Thomas - au risque de brouiller durablement leur image... Constatons d'autre part que l'entreprise de MM. Bouygues, Le Lay et Mougeotte a investi des sommes non négligeables dans des projets qui relèveraient, en bonne logique, d'une action publique : LCI, chaîne d'information continue rend un vrai service, et TVBreizh répond à une demande culturelle spécifique, jusque-là trop limitée dans l'offre de la télévision régionale publique. On ne peut pas, dans ces deux exemples, taxer TF1 d'une recherche exclusive et effrénée du profit... La solution est-elle, comme on semble le croire au ministère de la communication, d'augmenter quelque peu la dotation du holding France 2-France 3 - La Cinquième, en limitant parallèlement son temps de publicité, donc sa soif d'Audimat ? On peut douter que cela soit suffisant, et craindre que l'inflation des coûts, notamment en matière de retransmissions sportives, n'absorbe rapidement cette rallonge, et ne nous ramène à la situation antérieure. Faut-il, à l'inverse, comme le préconisent certains, prendre acte de l'inéluctabilité de la dérive d'un service public déboussolé, et donc supprimer la redevance, privatiser France 2 et France 3, et concentrer l'intervention publique sur le financement de chaînes minoritaires à vocation éducative et culturelle ? Cette solution, chère aux libéraux plus ou moins sauvages, a l'inconvénient, par sa radicalité, d'abandonner presque totalement le terrain de l'audiovisuel aux puissances de l'argent. REDISTRIBUTION RÉPUBLICAINE En considérant le fait que, jamais dans l'histoire de la télévision, l'offre de programmes de qualité n'a été aussi grande - qu'il s'agisse de films, de documentaires, de théâtre, d'opéras, etc. - et même de bonne télévision - Paris Première en est un bon exemple - ne pourrait-on pas faire en sorte que cette offre parvienne au maximum de personnes, quels que soient leur implantation géographique et leurs revenus ? Que les gens défavorisés dans ces deux domaines n'aient pas à payer ces programmes en plus d'une redevance déjà lourde pour les petits budgets ? Ne pourrait-on pas, en conséquence, penser, là où l'on décide, qu'il est plus de la mission de la puissance publique soucieuse de l'intérêt général de faire en sorte qu'il y ait, là aussi, une forme de redistribution républicaine, comme en matière de santé ou de transports ? Que l'on facilite par exemple, avec le fruit de cette redevance, l'accès de tous à ces programmes de qualité plutôt que de continuer à jouer les Sisyphe avec des chaînes publiques à bout de souffle ? Que l'on favorise également, en amont, la production de cette « bonne télévision » qui pourrait alors toucher le plus grand nombre ? Si, ensuite, le peuple veut quand même regarder C'est mon choix, c'est son affaire...

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