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TEXTE: Les mimiques : langage conventionnel ou communication foncièrement naturelle ? SALOMON ASCH.

Publié le 22/02/2012

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langage
Il y a cependant toute une série de cas dans lesquels des émotions identiques ou semblables provoquent bien des expressions différentes. Une certaine variabilité culturelle peut être induite des différentes façons d'exprimer l'affection, le chagrin et la colère. Mais le degré de variation ne paraît aucunement quelconque. Examinons l'idée selon laquelle de telles différences d'expression sont compatibles avec l'hypothèse d'une relation intrinsèque entre l'expression et l'émotion et qu'en fait elles se laissent déduire de cette hypothèse. Pour établir leur signification, il nous faut rechercher les caractéristiques réelles des actes expressifs ; ce faisant, on écartera difficilement la conclusion que les modes d'expression des affections tels que de toucher la joue avec le nez, se frotter mutuellement le nez et embrasser ont un caractère de similitude. Les expressions, bien que différentes dans le détail, peuvent avoir des propriétés physiognomoniques similaires. Il se peut donc qu'on ait la latitude d'exprimer des états intérieurs identiques par des mouvements différents, qu'il y ait un registre de possibilités toutes également propres à bien traduire la même humeur ou la même émotion. La conclusion relativiste, lorsqu'elle se fonde sur le simple fait de la variabilité, admet tacitement qu'une émotion donnée peut avoir tout au plus une expression adéquate et que toutes les autres sont conventionnelles. Cette conclusion n'est pas justifiée. Toutes les différences ne sont pas également différentes ! Si l'opinion que je propose est correcte on pourrait en tirer des conséquences précises quant à la compréhension de l'expression des émotions dans un groupe étranger. Une fois qu'on en comprend le sens, les expressions peuvent être situées, sans appel au processus de fixation machinal propre à les apprendre. On rencontre un problème semblable lorsqu'on essaie de comprendre le fait que la même expression est souvent utilisée pour traduire des significations de différente nature, comme dans l'exemple du baiser sur lequel CRAWLEY a attiré l'attention. On remarque tout d'abord que, bien que la signification de cette expression varie, elle ne le fait que dans des limites définies et elle n'apparaît que dans des situations comportant des rapports d'intimité ou de sollicitude. En second lieu, nous devons nous demander si la « même » expression utilisée dans des circonstances affectives différentes reste vraiment inaltérée. Il est difficile d'être formel sans preuve directe, mais il serait surprenant que les différences de signification d'une expression comme le baiser ne s'accompagnent pas de différences spécifiques d'allure et de rythme. Il est inutile de recourir à d'autres sociétés pour distinguer entre un baiser pour la forme et un baiser passionné. Point n'est besoin non plus de faire appel à d'autres sociétés pour reconnaître le sourire de défiance et celui de mépris, de résignation ou de flatterie malsaine. La recherche devrait envisager sérieusement la possibilité que la qualité de l'émotion ou de rhumeur régisse les caractéristiques spécifiques de l'expression. Enfin, il faut tenir compte des émotions avec lesquelles une expression donnée n'est point liée : pas un ethnologue n'a jusqu'ici rapporté que le baiser ou le frottement de nez soit une marque de mépris ou de haine. Il est probable qu'un examen systématique de l'absence d'association révélera, dans le registre de variation, une limitation supplémentaire et décisive. Le psychologue ne devrait pas se satisfaire d'une énumération pure et simple des différences. Il faut qu'il s'interroge sur le caractère structuré de l'expression ; il faut qu'il décide par l'expérience si une expression étrangère est également susceptible de signifier l'affirmation comme la négation, « viens ici » ou « va-t'en », ou si une intonation donnée de la voix ne fournit aucun fondement pour affirmer qu'elle était suppliante plutôt que péremptoire.

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