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Une zone de libre-échange en Amérique

Publié le 22/02/2012

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11-12 août 1992 - Les négociateurs des Etats-Unis, du Canada et du Mexique sont parvenus virtuellement dans la nuit du mardi 11 au mercredi 12 août à un accord de principe sur l'Accord de libre-échange nord-américain (NAFTA, North American Free Trade Agreement, en français ALENA). Une fois ratifié, cet accord consacrera l'abolition des barrières douanières entre ces trois pays qui comptent 363 millions d'habitants. Qui eût cru que le Mexique, enlisé, il y a quelques années encore, dans le surendettement et l'instabilité politique, serait capable de signer, en 1992, un accord commercial avec les Etats-Unis ? L'accord de principe conclu dans la nuit de mardi à mercredi à Washington entre les négociateurs de haut niveau des Etats-Unis, du Canada et du Mexique, doit consacrer un grand marché commercial nord-américain, le NAFTA. Il a été obtenu " au finish ", après plus d'un an de discussions, et des négociations tenues pratiquement nuit et jour à Washington depuis le 13 juillet. L'administration de M. George Bush n'avait pas caché sa volonté de parvenir à un accord avant l'ouverture de la convention républicaine, lundi 17 août. Officiellement, le Mexique, le Canada et les Etats-Unis sont donc amenés à terme à commercer sur un pied d'égalité, sans aucune barrière douanière. Sur une période de quinze ans, jusqu'à 20 000 tarifs douaniers seront abolis. A première vue, le principe du NAFTA ressemble donc beaucoup à celui de la CEE, dont le premier objectif était, rappelons-le, l'abolition des tarifs douaniers entre les Six, depuis devenus Douze. En fait, la démarche américaine est très différente. Même si les négociations achevées mardi soir se sont tenues entre trois parties, elles s'inscrivent dans une logique d'accords bilatéraux. Le 1 janvier 1989 était entré en vigueur un traité de libre-échange entre les Etats-Unis et le Canada. Washington souhaitait conclure le même type d'accord avec le Mexique, et c'est finalement en raison de la volonté d'Ottawa de ne pas être tenu à l'écart d'un processus dont les conséquences toucheraient directement le Canada, que des discussions tripartites ont été engagées. De même, l'Initiative pour les Amériques, lancée en 1989 par le président Bush, et qui vise à créer un grand marché commun " de l'Arctique à la Terre de Feu " doit consister, dans l'esprit des Etats-Unis, en la conclusion d'accords bilatéraux avec les pays d'Amérique centrale et latine. Le Chili (les Etats-Unis d'Amérique ont promis à son président, M. Patricio Aylwin qu'il serait le prochain sur la liste des accords) ou l'Argentine s'y préparent déjà, tandis que, dans le sous-continent, plusieurs traités multilatéraux (le Mercosur, le pacte andin) (1) sont également en préparation. M. David Malpass, haut fonctionnaire américain, distingue bien la logique américaine de celle qui a prévalu en Europe dans les années 50. Sur la base d'une Communauté du charbon et de l'acier (la CECA), c'est une véritable union économique et monétaire qui était déjà dans les esprits, explique-t-il. Or, du point de vue de Washington, " il s'agit simplement d'une union commerciale ", souligne-t-il. Pas question donc d'imaginer pour l'instant une convergence des performances économiques, ou une monnaie commune. La volonté politique de l'administration de George Bush est évidente. Depuis quelques années déjà, le redécollage économique de l'Amérique latine, après la " décennie perdue " de la dette, est déjà dans les cartes. Au cours de ces mêmes années, la construction européenne s'est accélérée, d'abord avec le lancement du grand marché, devant entrer en vigueur au 1 janvier 1993, puis avec la signature, à Maastricht, en décembre 1991, du traité d'union politique, économique et monétaire. Réagir à la " forteresse Europe " Quelques semaines avant l'élection présidentielle, qui se présente plutôt mal pour le Parti républicain, il était important pour M. Bush de montrer qu'il réagissait à la formation de la " forteresse Europe ", telle qu'on l'appelle couramment outre-Atlantique. Quitte à forcer le compromis dans plusieurs domaines. La pugnacité de Mme Carla Hills, représentant spécial de l'administration pour les affaires commerciales, l'a une fois de plus emporté. Ne s'était-elle pas rendue célèbre en déclarant, en pleine période de tensions commerciales entre les Etats-Unis, l'Europe et le Japon, qu'elle était prête à " ouvrir les marchés à la barre à mine " ? Les ultimes négociations menées ces derniers jours ont porté sur deux principaux points de divergences, à savoir la règle d'origine des produits (dans l'automobile et le textile notamment) et les investissements. Les Etats-Unis ont apparemment tenté d'obtenir gain de cause jusqu'au bout, quitte à tenter de rouvrir certaines clauses de l'accord canado-américain. Selon les termes de ce dernier traité et d'un précédent " pacte de l'auto " canado-américain, une voiture neuve, par exemple, pouvait être vendue sans droit de douane, à condition qu'elle ait été fabriquée, à 50 % au moins, avec des pièces ou des matériaux nord-américains. Les négociateurs américains ont ardemment cherché à porter ce seuil à 60 %, pour favoriser leurs productions nationales. Le Mexique et le Canada, qui ont tous deux attiré des constructeurs de pièces ou de voitures étrangers (surtout japonais et sud-coréens pour le Canada, à coups d'avantages fiscaux) ont résisté jusqu'au bout. Les Etats-Unis ont par ailleurs cherché à imposer des règles d'origine dans le textile. La diminution de 25 % à 15 % des droits de douane sur certains vêtements a permis aux manufacturiers canadiens, très touchés par la concurrence étrangère, quelques rares bonnes affaires aux Etats-Unis, qui ont souhaité atténuer cet avantage, en interdisant ou en limitant les fibres étrangères entrant dans la fabrication de ces vêtements. Côté investissements, Washington et Ottawa avaient finalement obtenu de Mexico un accord de principe sur l'entrée des intérêts nord-américains dans les banques et les assurances mexicaines, qui resteront néanmoins sous contrôle mexicain, nous avait précisé le président Salinas (le Monde du 24 juillet). Suprêmement intéressés par un accès aux ressources pétrolières mexicaines, en temps normal et en temps de crise (garanties qu'ils avaient obtenu, dans une certaine mesure du Canada), les Américains ont fait d'intenses pressions de dernière heure pour étendre la portée des contrats de sous-traitance de Pemex, la compagnie pétrolière d'Etat mexicaine. Le chef de l'Etat mexicain avait été intransigeant sur les clauses de la Constitution de son pays, stipulant que " la propriété, le contrôle des réserves pétrolières et le raffinage du brut " doivent rester exclusivement mexicains mais avait accepté d'ouvrir la pétrochimie secondaire aux investissements étrangers, nord-américains ou autres. Enfin, d'âpres débats ont eu lieu sur les périodes de transition à prévoir pour chaque type de produits, pouvant s'étendre, dans certains cas jusqu'à quinze années, soit cinq années de plus que dans l'accord canado-américain. En cette période de récession, les Canadiens se demandent encore quels ont été les bénéfices tirés du traité entré en vigueur en 1989. Ils réalisent cependant que la guerre commerciale avec les lobbies protectionnistes américains aurait été sûrement plus féroce sans l'existence des mécanismes d'arbitrage prévus par le traité américano-canadien. Ottawa a beaucoup insisté, ces derniers jours, sur la mise en place de telles structures avec le Mexique. Ces structures, relativement efficaces, n'empêchent pas la mise en oeuvre de sanctions. On l'a vu ces derniers avec l'affaire du magnésium de l'usine Norsk Hydro au Québec. Elles permettent au moins de civiliser un tant soit peu les règles de la concurrence, souvent violées, même au sein d'un même continent. MARTINE JACOT, FRANCOISE LAZARE Le Monde du 13 août 1992

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