l'animal est ses sensations, l'homme a des sensations ?
Publié le 18/03/2004
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II.
— INTÉRÊT PHILOSOPHIQUE DE L'OPPOSITION ETRE-AVOIR.
Cette distinction d'un « être » et d'un «avoir» résultant du pouvoir de réflexion propre à l'homme pose tant deproblèmes qu'on pourrait en partir comme d'un carrefour où aboutissent les grandes avenues de la philosophie.Engageons-nous dans les principales.
A.
Métaphysique. — a) L'opposition être-avoir nous introduit de plain-pied au coeur de l'ontologie dont l'objet, comme le mot l'indique, est de déterminer la nature de l'être.Il y a dans la sensation un certain degré d'être qui constitue tout L'être psychique de l'animal, comme il y adans la pierre dont le contact nous donne l'impression de rugosité un certain être physique.
De l'homme, aucontraire, on dit qu'il a des sensations et qu'il ne les « est » pas.
Mais, il est à peine besoin de le dire, bien qu'ilne «.soit» pas ses sensations, il est, car pour avoir il faut être.
Seulement il est d'une autre manière quel'animal et que la pierre : il se différencie par la pensée.
Or, il n'y a qu'une analogie entre l'être de la pensée etl'être de ce qui n'est point pensée, en sorte que si l'on prend ce qui ne pense pas comme le type de l'être, ilfaudra refuser l'être véritable à la pensée.De là ce problème fondamental : où devons-nous reconnaître l'être véritable en comparaison duquel les objetsque nous appelons du même nom ne présentent qu'une ombre de réalité : dans les choses qui ne pensent pasou dans la pensée ? Est-ce dans la pensée ou dans les réalités sensibles qui provoquent notre pensée quenous devons voir une forme dégradée de l'être ? Le sens commun n'hésite pas : l'être véritable c'est ce quenous touchons et dont l'idée n'est qu'une reproduction infidèle.
Mais les philosophes sont parfois d'un avisdifférent : qu'il suffise de rappeler PLATON pour qui le monde des choses n'est qu'une ombre du monde desidées.
b) Si, passant de l'être en soi, dont s'occupe l'ontologie, à l'être que nous sommes, objet de la psychologierationnelle, l'opposition être-avoir pose ce problème : tout notre être est-il dans les sensations ou autresmodifications subjectives que nous avons, ou au contraire, est-ce le fait de les avoir qui constitue tout leurêtre ? La première réponse est celle des phénoménistes comme TAINE.
La seconde, celle de la philosophieclassique qui conçoit la sensation comme un accident de l'être substantiel et qui ne reconnaît à l'accidentaucun être propre, son être n'étant que celui de la substance.Mais Gabriel MARCEL, qui a beaucoup réfléchi à l'opposition être-avoir, se pose une autre question qui ressortitaussi à la psychologie rationnelle : qu'est-ce que je suis, corps ou âme ? Les matérialistes répondent : je suisun corps dont les sensations constituent l'avoir.
Pour les idéalistes, au contraire, je suis un esprit dont le corpsn'est qu'un avoir, une représentation.
Le langage courant nous livre la doctrine spiritualiste : à strictementparler, je ne suis ni un corps, ni une âme, mais j'ai un corps et une âme.
Moi, c'est la substance composée deces deux principes.
B.
Psychologie. — Si des profondeurs de la psychologie métaphysique nous montons au niveau des recherches auxquelles on réserve de nos jours le qualificatif de psychologiques, nous pouvons encoredistinguer en l'homme son être et son avoir.
a) D'après la psychologie classique, doit s'inscrire à la colonne de l'« avoir » ce qui n'est pas complètementnous : des idées ou des sentiments empruntés, ou qui ne sont, à la surface de notre âme, que le reflet denotre milieu ou de l'enseignement que nous avons reçu.
La colonne de l'« être » est réservé à ce qui estvraiment assimilé ou même à ce qui résulte de notre activité propre.
b) La philosophie existentialiste est plus exigeante : ce que nous sommes — que nous l'ayons reçu ou que nousl'ayons conquis — constitue déjà un avoir; l'être véritable consiste à exister, c'est-à-dire à partir de (ex) ceque nous sommes pour nous élever (sistere) à un niveau supérieur.
L'être est devenir et perpétueldépassement de soi.
C.
Morale. — De ces diverses conceptions psychologiques résultent des conceptions morales différentes.
Pour le vulgaire, l'important est l'«avoir»; non pas, sans doute, un «avoir» pour soi, mais, au contraire, un «avoir»pour les autres, en sorte que l'« avoir » se transforme en «faire».
Le moraliste est plus exigeant : pour lui,c'est ce qu'on est qui vaut et ce qu'on fait n'est apprécié, que comme signe de ce qu'on est.
Certainsphilosophes iront plus loin : ce n'est pas ce qu'on est qui compte, car ce n'est qu'un avoir; l'important est dedevenir, c'est-à-dire d'acquérir un avoir nouveau et c'est dans cette tension à plus d'être que consiste lamoralité : on reconnaît ici la philosophie existentialiste; « sa devise n'est pas sum mais sursum ».
(G.
MARCEL,Homo Viator, p.
32.)
CONCLUSION. — On voit les problèmes multiples et capitaux que pose la réflexion sur les verbes « être » et « avoir » qui, à première vue, semblent vides de pensée : constituant l'armature de tous les jugements que nousportons sur les êtres, ils nous offrent au contraire un champ de recherche immense pour déterminer ce qu'estla pensée et ce qu'est l'être ainsi que les rapports de l'un et de l'autre, en quoi consiste l'essentiel de laphilosophie.
Par là se trouve confirmée l'idée de certains modernes pour lesquels philosopher consisteprincipalement à réfléchir sur le langage..
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