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L'animal « est » ses sensations, écrit un philosophe contemporain ; l'homme, lui, « a » des sensations. Expliquez cette phrase et montrez l'intérêt philosophique de l'opposition marquée par ces deux verbes. ?

Publié le 25/06/2009

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Introduction. — La psychologie moderne ne s'est pas ralliée à la thèse paradoxale de Descartes pour qui l'activité animale se réduirait à de purs mécanismes. Elle accorde aux animaux un psychisme analogue au psychisme humain : le chien sent, se souvient et même, en un certain sens, comprend comme nous. On reconnaît cependant, entre eux et nous, des différences profondes et en particulier celle-ci qu'a formulée un philosophe contemporain : l'animal « est « ses sensations ; l'homme, lui, « a « des sensations. Tâchons de bien voir le sens de ces formules ; nous serons amenés ainsi à découvrir l'intérêt que présente pour le philosophe l'opposition des deux verbes « être « et « avoir «. I. — EXPLICATION A. Être et avoir. Deux mots que nous employons souvent — trop souvent —. Aussi nous en servons-nous avec aisance et sans hésitation. Mais cette aisance même dénote un savoir-faire plutôt qu'un vrai savoir. Arrêtons-nous donc un instant pour prendre conscience du sens précis de ces affirmations : « je suis «, « j'ai «. La distinction est facile. Tout ce que je suis est quelque chose de moi : ainsi, je suis homme, français, intelligent, affectueux... Au contraire, ce que j'ai est une propriété extérieure à moi : par exemple, j'ai une montre, un cheval, une famille... Souvent, il est vrai, au verbe « être « nous substituons le verbe qui lui est ici opposé, « avoir «. Ainsi nous disons tantôt : Pierre est intelligent, affectueux, énergique, et tantôt : Pierre a une bonne intelligence, un coeur affectueux, de l'énergie... Par là, tout ce que nous sommes passe à la colonne de l'avoir, ne laissant à la colonne de l'être qu'un sujet : « je « ou « il « ; aussi, lorsque nous cherchons à déterminer la nature de ce « je « ou de cet « il «, ne découvrons-nous jamais que quelque chose de son avoir. Néanmoins, si la distinction entre ce que je suis et ce que j'ai s'est affinée jusqu'au paradoxe, elle reste bien claire : jusqu'au plus intime de l'homme il y a l'avoir constitué, non seulement par son acquis intellectuel ou spirituel, mais encore par ses qualités ou facultés naturelles (s'il s'agissait d'un objet matériel, nous emploierions encore le mot de « propriétés -) ; et il y a l'être titulaire de cet avoir, le « moi « le « toi « ou le « lui «, qui possède et dont je dis qu'il est savant, judicieux, énergique, etc.

« De là ce problème fondamental : où devons-nous reconnaître l'être véritable en comparaison duquel les objets quenous appelons du même nom ne présentent qu'une ombre de réalité : dans les choses qui ne pensent pas ou dans lapensée ? Est-ce dans la pensée ou dans les réalités sensibles qui provoquent notre pensée que nous devons voirune forme dégradée de l'être ? Le sens commun n'hésite pas : l'être véritable c'est ce que nous touchons et dontl'idée n'est qu'une reproduction infidèle.

Mais les philosophes sont parfois d'un avis différent : qu'il suffise de rappelerPlaton pour qui le monde des choses n'est qu'une ombre du monde des idées.Si, passant de l'être en soi, dont s'occupe l'ontologie, à l'être que nous sommes, objet de la psychologie rationnelle,l'opposition être-avoir pose le problème suivant : tout notre être est-il dans les sensations ou autres modificationssubjectives que nous avons, ou au contraire, est-ce le fait de les avoir qui constitue tout leur être ? La premièreréponse est celle des phénoménistes comme Taine.

La seconde, celle de la philosophie classique qui conçoit lasensation comme un accident de l'être substantiel et qui ne reconnaît à l'accident aucun être propre, son êtren'étant que celui de la substance.Mais M.

Gabriel Marcel, qui a beaucoup réfléchi à l'opposition être-avoir, se pose une autre question qui ressortitaussi à la psychologie rationnelle : qu'est-ce que je suis, corps ou âme ? Les matérialistes répondent : je suis uncorps dont les sensations constituent l'avoir.

Pour les idéalistes, au contraire, je suis un esprit dont le corps n'estqu'un avoir, une représentation.

Le langage courant nous livre la doctrine spiritualiste : à strictement parler, je nesuis ni un corps, ni une âme, mais j'ai un corps et une âme.

Moi, c'est la substance composée de ces deux principes. B.

Psychologie.

— Si des profondeurs de la psychologie métaphysique nous montons au niveau des recherches auxquelles on réserve de nos jours le qualificatif de psychologiques, nous pouvons encore distinguer en l'homme sonêtre et son avoir.D'après la psychologie classique doit s'inscrire à la colonne de l' « avoir » ce qui n'est pas complètement nous : desidées ou des sentiments empruntés, ou qui ne sont, à la surface de notre âme, que le reflet de notre milieu ou del'enseignement que nous avons reçu.

La colonne de I' « être » est réservée à ce qui est vraiment assimilé ou mêmeà ce qui résulte de notre activité propre.La philosophie existentialiste est plus exigeante : ce que nous sommes — que nous l'ayons reçu ou que nous l'avonsconquis — constitue déjà un avoir ; l'être véritable consiste à exister, c'est-à-dire à partir de (ex) ce que noussommes pour nous élever (« sistere ») à un niveau supérieur.

L'être est devenir et perpétuel dépassement de soi.C.

Morale.

— De ces diverses conceptions psychologiques résultent des conceptions morales différentes.

Pour levulgaire, l'important est l' « avoir » ; non pas, sans doute, un « avoir » pour soi, mais, au contraire, un « avoir »pour les autres, en sorte que l' « avoir » se transforme en « faire ».

Le moraliste est plus exigeant : pour lui, c'estce qu'on est qui vaut et ce qu'on fait n'est apprécié, que comme signe de ce qu'on est.

Certains philosophes irontplus loin : ce n'est pas ce qu'on est qui compte, car ce n'est qu'un avoir ; l'important est de devenir, c'est-à-dired'acquérir un avoir nouveau et c'est dans cette tension à plus d'être que consiste la moralité : on reconnaît ici laphilosophie existentialiste ; « sa devise n'est pas " sum " mais " sursum " ». Conclusion. — On voit les problèmes multiples et capitaux que pose la réflexion sur les verbes « être » et « avoir » qui, à première vue, semblent vides de pensée : constituant l'armature de tous les jugements que nous portons surles êtres, ils nous offrent au contraire un champ de recherche immense pour déterminer ce qu'est la pensée et cequ'est l'être ainsi que les rapports de l'un et de l'autre, en quoi consiste l'essentiel de la philosophie.

Par là se trouveconfirmée l'idée de certains modernes pour lesquels philosopher consiste principalement à réfléchir sur le langage.. »

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