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Calculer, est-ce penser ?

Publié le 30/01/2004

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Plus concrètement, on peut rechercher dans la polémique autour de l'informatique et de l'intelligence artificielle des arguments pour montrer à quel point un calcul peut prendre la place de la pensée, et en quoi une telle conception est limitée. Les ordinateurs, qui calculent, ne sont jamais que des machines. A-t-on réussi avec eux à mécaniser la pensée ? Pensent-ils vraiment ? Comprennent-ils la signification de ce qu'ils calculent ? À cet égard, peut-on dire que le calculable coïncide avec le pensable ? On peut interpréter le calcul comme un simple jeu de symboles (jeu réglé par les règles de calcul) dénués de toute signification. Mais peut-on pour autant priver la pensée de signification ? IntroductionÀ première vue, il peut nous sembler évident que calculer, c'est penser : le prestige des mathématiques nous incline même souvent à croire que faire des opérations sur les nombres constitue l'activité supérieure de l'esprit humain.Toutefois, les machines aussi calculent, elles calculent même mieux, plus rapidement et plus sûrement que le meilleur des mathématiciens.

La véritable source du savoir réside dans le calcul et lacombinaison des propositions. Le symbolisme mathématique peut servir de modèle à l'argumentation rigoureuse. Toute véritable pensée est logique. MAIS, calculer n'est pas penser, même si le calcul demande de l'intelligence. Penser, c'est relier la perception, le raisonnement et l'action. Le calcul n'est qu'un mécanisme opératoire.

« [Introduction] Il existe des règles pour calculer, mais il semble difficile — malgré l'élaboration de la logique — de repérer celles quigarantiraient que l'on pense bien, ou juste.

Et ce d'autant plus que la pensée est aussi culturellement variable.

On conçoitalors que, s'il était possible de ramener l'exercice de la pensée à un simple calcul, on pourrait en supprimer les errances.Mais trouve-t-on réellement dans le fait de calculer la richesse que l'on accorde à la pensée ? [I - Difficultés de « penser »] La tradition classique (Descartes, Pascal) souligne combien la pensée singularise l'existence humaine.

On en retiendra lacapacité à instaurer une distance par rapport au monde, et à établir ainsi une supériorité (par la représentation et laconnaissance) sur ce monde (le « roseau pensant », mais aussi le règne de l'esprit selon Hegel). Par ailleurs, l'histoire de la philosophie comme exercice de la pensée semble nous enseigner l'impossibilité, pour la pensée,d'aboutir à une solution définitive (d'où l'accusation traditionnelle : les philosophes se contredisent ou sont au moins enpermanent désaccord entre eux — ce depuis l'opposition initiale entre Platon et Aristote).Pire : certains philosophes (notamment Kant) considèrent que les errances de la pensée (tout particulièrement enmétaphysique, c'est-à-dire dans le domaine qui en constitue peut-être le sommet) doivent trouver un terme : il convientalors de donner à la pensée une rigueur dont elle a été privée (ainsi, pour « sauver » la métaphysique, on l'établit sur des« postulats » — ceux de la raison pratique — dont le nom même indique la proximité des systèmes hypothético-déductifs). [II - Avantages du calcul] Il a pour lui l'existence d'une contrainte logique, définie par la raison elle-même, qui s'oblige à suivre les règles qu'elledétermine pour son propre fonctionnement.Il commence ainsi par définir :— les règles auxquelles il obéit ;— les symboles qu'il utilise.Ainsi, le calcul, même simple, dispose d'un « vocabulaire » et d'une « syntaxe » évidemment plus stricts, moinspolysémiques ou ambivalents que ceux de la langue ordinaire, dont le penser est toujours amené à se servir (même s'ill'enrichit par sa propre mise au point de concepts particuliers ou techniques).

Un énoncé de calcul, du style « a + b = 3 x »,ne présente aucune ambiguïté, contrairement à une phrase ordinaire qui, en raison des homonymes, des métaphores oudes connotations singulières, peut se prêter à des interprétations différentes.Étant ainsi défini a priori (au sens kantien), le calcul rompt avec l'intuition, et avec toute acception intuitive des mots.

Il nevaut donc que par sa forme, et la raison s'y trouve pleinement « chez elle ».D'où la tentation de ramener l'exercice de la pensée à un calcul, pour qu'elle gagne définitivement en rigueur et enefficacité.

Tentation d'ailleurs fréquente, de Descartes ou Leibniz aux travaux de la philosophie analytique anglo-saxonne(qui ne se prive pas, par exemple, de considérer que les énoncés métaphysiques sont en général dénués de sens). [III - La pensée irréductible au calcul] La rigueur du calcul est telle qu'il est en fait tautologique (et le modèle classique de la déduction rigoureuse l'estégalement : un syllogisme n'apporte rien de nouveau à la connaissance).Au contraire, la pensée, ne serait-ce qu'historiquement, se manifeste comme capacité permanente d'invention : ce quepense Descartes n'est pas seulement une autre présentation de ce que pensait Platon, cela constitue réellement uneautre façon de penser, de formuler des énoncés, de concevoir le monde, etc.La pensée prétend toujours se référer au « réel » (le monde, la nature, l'homme).

Il est impossible d'en évacuer, pouraugmenter sa rigueur, le contenu intuitif.

Une telle perte signifierait la disparition de la pensée elle-même, comme effortpermanent pour rendre compte de ce qui lui est extérieur.Quels que puissent être ses « défauts » (et même si elle peut impliquer ce que des logiciens comme Louis Rougierdénoncent comme une « illusion ontologique », lorsqu'elle considère que "« l'Être » est davantage qu'une simple copule, etqu'il est en conséquence légitime de s'interroger sur sa nature), elle apparaît ainsi irréductible au calcul, et vient en réalitéle compléter, en concevant ses applications.C'est ainsi le caractère autoréférentiel du calcul — soit la raison de ses qualités — qui oblige à en sortir, ne serait-ce quepour en faire valoir les avantages...

Même si l'on conçoit un métacalcul pour parler du calcul, il faudra ensuite élaborer unméta-métacalcul pour évoquer le métacalcul, et ainsi de suite (cf.

le théorème d'incomplétude de Gôdel). [Conclusion] Calculer (n') est (qu') une modalité du penser.

Si le premier recelait en lui la richesse du second, il y a longtemps que lesordinateurs réfléchiraient à notre place, ou, si l'on préfère, il ne serait pas nécessaire qu'une pensée commence par lesprogrammer.

Ce qui fait la richesse de la pensée, c'est précisément son « flou » : sa liberté et son rapport, à sans cessereconstruire, au réel.. »

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