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Explication de texte : Aristote, Ethique de Nicomaque, livre III chap. II

Publié le 05/12/2010

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aristote

   Dans l’extrait de l’Ethique de Nicomaque d’Aristote, l’auteur traite du ou des mobiles de l’action. En effet, les actions humaines ne sont pas toutes du même ordre, et n’ont pas toutes les mêmes mobiles ; le texte cherche à apporter des éléments de réponse à la question suivante : quels sont les ressorts, les mécanismes, les mobiles de l’action ? Qu’est-ce qui pousse les hommes à agir ?

Nous étudierons dans un premier temps l’opposition faite entre l’impulsion (volontaire) et la délibération intérieure (soit le choix) : les actes soudains seraient l’opposé des actes réfléchis, car le choix est contraire aux impulsions, aux sentiments, qui sont hors de notre contrôle ; le libre choix est en effet le fruit de la maîtrise de soi. Dans un deuxième temps, nous verrons que malgré cette opposition, la volonté et le libre choix sont complémentaires : la volonté concerne l’objectif de notre action et le choix concerne les moyens d’atteindre cet objectif, car « le choix s’exerce sur ce qui dépend de nous «.

 

          La première phrase du texte illustre l’idée suivante : les actions impulsives, décidées dans l’urgence et sans réflexion approfondie sont volontaires ; nous sommes en effet conscients de ce que nous sommes sur le point de faire. Mais on ne prend pas le temps d’y réfléchir, et de peser le pour et le contre : soit de faire un « choix délibéré « entre ce que nous sommes sur le point de faire et une action autre. On ne choisit donc pas délibérément d’agir comme nous sommes sur le point de faire ; c’est notre volonté qui nous pousse à agir. Ainsi, ces actions impulsives qu’Aristote nomme « actes soudains «, s’opposeraient par définition aux actes réfléchis ; les actes réfléchis sont le fruit d’une réflexion approfondie, d’une délibération personnelle entre ce qui conviendrait le mieux et ce qui conviendrait le moins de faire. On se pose un problème à soi-même : on établit les besoins, les conséquences des actions que l’on met en concurrence entre elles, pour ensuite peser le pour et le contre, et finir par élire l’une d’entre elles afin d’écarter la ou les autres options. Aristote oppose donc la volonté et le libre choix par le biais des actions qu’ils entraînent respectivement.

Prenons l’exemple suivant : Je suis en ce moment même devant mon ordinateur, en train de taper sur mon clavier afin d’élaborer du mieux que je le peux mon explication de texte de philosophie. C’est bel et bien une action ; quel a donc été le mobile de cette action ? Est-ce un « acte soudain « ou un acte réfléchi ? Dans le cas présent, c’est bien évidemment la première réponse qui est la bonne ; ma volonté de faire ma philosophie étant terriblement puissante, je me suis jetée devant mon écran afin de faire mon travail, sans réfléchir réellement au reste de mes obligations journalières. J’aurais en effet pu prendre un temps de réflexion, pour solliciter ma raison, et faire ce qu’il convenait le mieux de faire : j’aurais pu faire un choix entre la rédaction de mon devoir de philosophie, source d’auto satisfaction et de plaisirs inégalables, et la dégustation d’un goûter copieux au coin d’un feu de bois, impératif pour tenir jusqu’au repas du soir ; mais je n’ai pas fait ce libre choix, car j’ai cédé à ma volonté et à mon impulsion du moment, ne me posant pas de questions à propos des conséquences de ce caprice sur le bon fonctionnement de mon estomac et l’état frigorifié de mes doigts de pieds. Selon Aristote, j’ai donc « exécuté volontairement « l’acte de faire ma philosophie, mais je n’ai pas fait de « choix délibéré «.

 

Pour suivre l’ordre de la pensée d’Aristote, l’idée suivante concerne la contradiction, le contraire de ce « choix « ; pour le philosophe, le choix est d’ordre rationnel, étant donné qu’il ne peut exister que grâce à la raison. Son contraire est donc tout ce qui relève de l’ordre de l’impulsif, du sentimental, de la sensibilité, soit finalement de notre affectivité, de notre émotivité : c'est ce qu'il nomme « désir «. Cela est donc par définition hors de notre contrôle : nous ne pouvons pas contrôler nos humeurs, nos émotions, nos sentiments, nos impulsions. En revanche, la raison fait contrepoids : elle nous permet de contrôler nos actes, à défaut de contrôler nos ressentis et nos pensées. Ceux qui n’ont donc pas recours à cette raison ne sont pas « maîtres d’eux-mêmes «, selon l’expression d’Aristote. N’étant pas maîtres d’eux-mêmes et n’ayant pas recours à la raison, ils ne peuvent faire de choix, puisque ce choix se base sur la faculté à se questionner et à raisonner. Ainsi, ils sont « capables de désirer, non d'agir par libre choix « ; tandis que ceux qui ont recours à cette raison, qui sont donc « maîtres d'eux-mêmes «, « agissent par choix délibéré et non sous l'impulsion du désir «. L'utilisation de l'expression « libre choix « amène la notion de liberté : l'homme raisonné est donc libre car il a le choix ; l'homme irraisonné, qui cède à sa volonté et à ses impulsions, est libre en apparence, mais il ne l'est pas, puisqu'il n'a pas le choix (il ne prend pas la peine d'être libre de faire un choix).On pourrait penser qu'Aristote estime que l'homme peut-être victime de sa volonté, de ses impulsions, puisque cela peut le priver de sa liberté de choisir.

 

Aristote insiste sur la différence entre « désir « et « choix « par une opposition : le caractère spontané, impulsif de ce qu'il appelle « désir « s'oppose au caractère réfléchi, délibéré du « choix « ; le « désir «, soit la propension à l'affectivité irraisonnée, est également différente du choix par son lien direct avec les sentiments subjectifs d'un sujet (« la peine «, « le plaisir «, « l'agréable «). Finalement, le « choix « est complètement opposé aux «actes venus du coeur «, car ces actes (irréfléchis, impulsifs, qui répondent à nos désirs et à nos volontés) sont justement tout sauf raisonnés : ils ne sont pas le produit d'une délibération préalable.

 

          Malgré cette opposition entre les actes volontaires et les actes réfléchis, qui opposent du coup les notions de volonté et de choix, Aristote modère son propos en démontrant que ces deux notions, en étant différentes, sont également complémentaires ; une action nécessite un but, un objectif, qui illustre la finalité, le pourquoi de l'action ; mais elle nécessite irrémédiablement des moyens de réussite, sinon cet objectif reste un rêve, reste abstrait. C'est pour le concrétiser, s'en rapprocher et essayer de l'atteindre qu'on agit, et qu'on réfléchit aux différentes façons d'agir. La volonté se porte donc sur l'objectif (étant donné que l'objectif est ce que l'on veut, ce que l'on désire) tandis que le choix se porte sur les différentes façons d'agir que l'on peut avoir pour atteindre cet objectif (étant donné qu'il y a plusieurs options d'action, il y a un choix, une délibération à faire). Si il n'y a pas de volonté, le choix ne sert à rien, est n'existe pas non plus, puisque on fait un choix pour atteindre notre but, qui a été déterminé par notre volonté. Mais si il n'y a pas de choix, le but risque de rester hors d'atteinte, étant donné qu'on ne prend pas la peine de désigner la meilleure manière d'agir parmi toutes celles qui nous sont possibles, et qu'on risque donc fort de la rater.

L'exemple d'Aristote illustre parfaitement cette idée : notre objectif est d'être en bonne santé, de ne pas être malade. C'est notre volonté qui nous permet de concevoir ce but. Mais nous avons une infinité de façons de tenter d'atteindre cet objectif : on peut par exemple rester enfermé chez soi, ne jamais mettre le nez dehors, rester dans son lit continuellement, pour être sûr que rien ne nous arrive (et encore, les menaces venues du ciel, entre les météorites et les avions détournés par les terroristes ne nous permettent pas d'être en sécurité à 100%). On peut également ne jamais être en contact avec personne, pour qu'il n'y ait pas de transmission de microbes ; ou porter constamment un masque et une combinaison pour se préserver des pollutions extérieures. Plus rationnellement, nous pouvons manger sain, faire du sport, arrêter de fumer et faire attention à notre hygiène. Étant donné que nous avons un grand nombre d'options qui nous sont possibles, et qu'on ne peut pas toutes les satisfaire, un choix s'impose à nous ; et, pour nous rapprocher le plus possible de notre objectif, nous devons essayer de choisir ce qu'il convient le mieux. Mais la difficulté du choix réside en le fait qu'il faut prendre en compte notre objectif, tout en prenant en compte ce qu'il y a autour (notre vie et celle des autres). Ainsi, en apparence, le plus efficace concernant la préservation de notre santé serait de rester en autarcie dans son lit sans jamais voir personne ; mais est-ce que cela serait bénéfique pour notre santé mentale ? Sûrement pas. Nous ne pouvons arriver à cette conclusion si on ne fait pas appel à notre raison ; et ainsi, dans le choix que l'on fait, on élimine cette première option. Après réflexion, on se dira que le choix le plus judicieux serait la deuxième option, soit manger sain, etc. 

 

La volonté repose sur ce qui ne dépend pas de nous ; un but, sans moyens pour l'atteindre, reste un rêve, quelque chose d'abstrait. Il concerne ce qui n'est pas sous notre contrôle : pour reprendre l'exemple précédent, nous ne sommes pas des êtres immortels et super-puissants ; on ne peut pas choisir d'avoir une santé toujours parfaite, on ne peut pas choisir si une maladie va nous tomber dessus ou non. L'autre exemple que prend Aristote est celui du bonheur : on ne peut choisir d'être heureux ; des évènements sur lesquels nous n'avons aucune emprise peuvent nous tomber dessus sans crier gare, à n'importe quel moment. Le bonheur ne dépend pas de nous, la santé non plus. En revanche, nous pouvons choisir de manger régulièrement et sainement, ou de manger six fois par jours au Mac Donald ; selon notre choix, l'objectif sera plus accessible ou non. Si nous mangeons six fois par jour au Mac Donald durant plusieurs mois, notre objectif de bonne santé risque de s'éloigner. Le choix est donc un acte volontaire, qui a été l'objet d'une « décision préalable « ; il revient à celui qui est raisonné, maître de lui-même ; il dépend de nous, car il influe sur ce qui est sous notre contrôle.

 

          Aristote défend l’idée que les actes humains se divisent en actes « soudains « et actes réfléchis : les actes dits « soudains « répondent à des mobiles purement impulsifs, tout en étant volontaires. Ces actes répondent à notre partie affective, émotive ; on cède à notre volonté, sans réfléchir outre mesure. Les actes réfléchis répondent à des mobiles purement rationnels, de l’ordre du « libre choix « ; on agit en connaissance de causes et de conséquences, et on s’oblige à mesurer rationnellement chaque façon d’agir qui se présente à nous, pour finalement faire un choix (ce qu’on pense être le plus légitime d’être choisi). Ainsi, même si il oppose les notions de volonté et de libre choix, il les assemble également comme deux notions complémentaires qui ne sauraient exister l’une sans l’autre : le choix concernerait ainsi les moyens d’atteindre un objectif, qui sont à notre portée et qui démontrent que le choix influe sur ce qui dépend de nous, soit sur ce qui est sous notre contrôle ; et la volonté concernerait exclusivement cet objectif.

Aristote défend donc l’idée que actes dits « soudains « et actes « réfléchis « sont fondamentalement différents, car ce qui les motive, soit l’affectivité/les pulsions et la rationalité/la réflexion, sont dissociés. Mais on peut se poser la question suivante, qui remettrai en question ce jugement : est-ce que les choix ne sont pas plus ou moins orientés par notre affectivité ?

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