L'homme est-il naturellement sociable ?
Publié le 13/02/2004
Extrait du document
«
l'échange utilitaire fait le lien social : « Ce qui donne naissance à une cité [...] c'est [...] l'impuissance où se trouvechaque individu de se suffire à lui-même, et le besoin qu'il éprouve d'une foule de choses.
» Coopération et divisiondu travail permettent aux hommes de transformer le milieu naturel et de satisfaire leurs besoins.
De plus, l'individuisolé, vivant sans rapport avec autrui, sans langage, ne pourrait être qu'une brute ou un dieu.
Pourtant, lacoexistence des hommes au sein d'une société ne va pas de soi, au point que s'il n'y avait pas des lois pour tenir leshommes en respect, aucune société ne pourrait survivre longtemps.Outre le besoin qui lie les hommes les uns aux autres, ne faut-il pas admettre un sens naturel du lien social ? C'estla thèse d'Aristote : les hommes sont par nature des êtres sociaux et que rapprochent des liens d'affection:« Qui donc, voyant un homme écrasé par une bête, ne s'efforcerait, s'il le pouvait, d'arracher à la bête sa victime ?Qui refuserait d'indiquer la route à un homme égaré ? Ou de venir en aide à quelqu'un qui meurt de faim ? [...] Quidonc enfin n'entendrait avec horreur comme contraires à la nature humaine, des propos tels que ceux-ci : "Moimort, que la terre soit livrée aux flammes ! " ou : "Que m'importe le reste, mes affaires à moi prospèrent" ? De touteévidence, il y a en nous un sentiment de bienveillance et d'amitié pour tous les hommes, qui manifestent que ce liend'amitié est chose précieuse par elle-même.
»Belle vision, mais un peu idyllique.
Il est vrai que la plupart des êtres humains éprouvent une répugnance naturelle àvoir périr ou souffrir tout être sensible et principalement leurs semblables, mais c'est, peut-être, plus par craintepour soi (autrement dit, par peur de subir le même sort) que par sympathie.
Admettons toutefois que les hommesaient une certaine propension à la sociabilité.
Il n'en demeure pas moins que c'est d'abord leur bien-être et laconservation d'eux-mêmes qu'ils recherchent.
De ce fait, ils veulent tout diriger dans leur sens et cherchent àéchapper aux contraintes de la vie en société.
Si donc l'homme a des tendances sociables, celles-ci sontinséparables de tendances inverses, de penchants à l'insociabilité.
Et Kant, dans Idée d'une histoire universelle aupoint de vue cosmopolitique, n'hésite pas à évoquer ce qu'il appelle « l'insociable sociabilité » des hommesL'homme a une inclination à s'associer car dans un tel état, il se sent plus qu'homme par le développement de sesdispositions naturelles.
Mais il manifeste aussi un grand penchant à se détacher (s'isoler), car il trouve en mêmetemps en lui le caractère d'insociabilité qui le pousse à vouloir tout diriger à sa guise; et de ce fait, il s'attend àrencontrer des résistances de tout côté, de même qu'il se sait par lui-même enclin à résister aux autres.
»Ainsi, deux forces s'opposent en l'homme : la sociabilité qui le pousse à rechercher ses semblables et l'insociabilitéqui le porte à résister aux autres mais menace sans cesse de dissoudre la société.
Cette insociabilité résulte desinclinations sensibles et des passions égoïstes.
Si elle est moralement condamnable, elle est toutefois à l'origine dudéveloppement des dispositions de la société humaine:« C'est cette résistance qui éveille toutes les forces de l'homme, qui le porte à surmonter sa tendance à la paresse,et fait que, poussé par l'ambition, l'appétit de domination ou de possession, il se taille une place parmi sescompagnons qu'il supporte de mauvais gré, mais dont il ne peut se passer »Cette insociabilité constitue pour une société des ferments ou des germes de progrès.
Imaginons, en effet, unecommunauté ignorant les antagonismes : vivant dans une concorde, une satisfaction et un amour mutuel parfaits,les hommes, « doux comme les agneaux qu'ils font paître, ne donneraient à l'existence guère plus de valeur que n'ena leur troupeau domestique ».
Les talents resteraient à jamais enfouis en germe.
« Remercions donc, dit Kant, lanature pour cette humeur non conciliante, pour la vanité rivalisant dans l'envie, pour l'appétit insatiable depossession ou même de domination.
»Faut-il, pour autant, considérer cette insociabilité comme le dernier mot de l'histoire ? Les potentialités humaines sedéveloppant, ne peut-on pas envisager l'absence future de conflits au sein des sociétés ? La véritable destinationde l'homme n'est-elle pas la réalisation de sa nature d'être raisonnable ? L'idée que l'insociabilité disparaîtra pourlaisser place entière à la sociabilité est souhaitable et légitime.
Cette idée a un usage régulateur.
Autrement dit, ellepeut orienter dynamiquement la pensée des hommes et les amener à réaliser les actes nécessaires à sonactualisation.
La formation de la société est dans la nature de l'homme.
«L'homme est un animal politique.» Aristote, Les Politiques (Ive siècle avantJ.-C.).
• La célèbre formule d'Aristote va plus loin que la simple affirmation d'unesociabilité de l'homme.
Il ne suffit pas de dire que l'homme aime la compagniede ses semblables, ou qu'il en a besoin pour repousser les bêtes sauvages.Pour Aristote, l'organisation en «cité» (État) est le te/os de l'homme, son butnaturel.
C'est pourquoi Aristote va jusqu'à dire que la cité est «antérieure à lafamille et à chacun de nous»: elle préexiste aux individus et aux formes plussimples d'organisation sociale (le couple, l'alliance maître-esclave, la famille, levillage).• En effet, ces formes sociales plus simples ne sont pas auto-suffisantes; lesfamilles, par exemple, ont besoin de s'allier avec d'autres pour subvenir à leursbesoins, ce qui forme les villages.
Si la cité est la forme la plus parfaite, verslaquelle tend la nature humaine pour parvenir à son plus haut développement,c'est parce que c'est une organisation autarcique (qui se suffit à elle-même).
C'est au second chapitre du premier livre de la « Politique » que l'on retrouveen substance la formule d'Aristote.
On traduit souvent mal en disant :l'homme est un « animal social », se méprenant sur le sens du mot « politique », qui désigne l'appartenance del'individu à la « polis », la cité, qui est une forme spécifique de la vie politique, particulière au monde grec..
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