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IPHIGENIE DE RACINE - ANALYSE DE LA PIÈCE

Publié le 09/04/2011

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iphigenie

   L'ACTION    Pas d'action tragique qui fût plus délicate à adapter à la scène française que celle d'Iphigénie. En effet, elle typée. ne laisse place à aucune surprise; et, s'il est peu de tragédies qui puissent rivaliser avec celle-ci en pathétique, en connaît-on beaucoup qui dédaignent à ce point la volonté des hommes? Tout est réglé dans les cieux, le caprice apparent qui exige le sang innocent, comme l'expédient de la fin qui substitue une biche à une princesse. Ce miracle attendu semble devoir supprimer tout mystère et toute inquiétude; les larmes elles-mêmes, que l'on serait disposé à accorder à Iphigénie, se sèchent à la pensée de son salut, aussi infaillible que semblait inéluctable l'accomplissement de l'oracle.    Or Racine, avec sa tranquille maîtrise, est parvenu à transformer une action dont les ressorts n'offrent aucun mystère, et qui, de plus, avait été exploitée par Euripide. C'est la seconde fois qu'il refait un chef-d'œuvre consacré du théâtre antique; et encore pourrait-on soutenir qu'il n'y a que le titre de commun entre son Andromaque et celle d'Euripide Le voici qui avec son Iphigénie joue la difficulté et, de gaieté de cœur, dirait-on, assume le double risque de se voir paralysé par une légende fixée « ne varietur « et par l'émouvante transcription que le vieux maître grec en avait faite pour la scène.

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« lui-même, par vanité, l'initiative d'exposer sa fille.

N'oublions pas, bien entendu, la haine vigilante, tenace d'Eriphile,toujours placée aux portes et aux postes essentiels pour surprendre les conversations, colporter les secrets,ameuter les foules. Ainsi l'intérêt, la sottise, l'imprudence et la méchanceté des hommes concourent à expliquer la possibilité du sacrificeet à en rapprocher l'échéance redoutable. Mais ce n'est pas tout : c'est à un sommet d'humanité tranquille, ordonnée, harmonieuse, que va s'élever cettetragédie dont les dieux semblent tirer les ficelles; pour qu'Iphigénie soit sacrifiée, il y faut son propre consentement,son choix, son adhésion raisonnée; elle ne se résigne pas, elle approuve, avec des réserves, bien sûr; mais laparfaite mesure de sa prière parvient à donner à l'injonction des dieux une dignité et une pondération humaine;Iphigénie soutient toute la charpente tragique avec une majesté de cariatide; les machinations ou les fureurs desautres personnages aiguisent déjà le couteau; le calme courage de la princesse, par deux fois affirmé, dans saprière d'abord, et dans le vers final de son rôle où triomphe l'esprit de décision : Eurybate, à l'autel conduisez la victime, (V, 4) le dirigent noblement sur sa poitrine. Mais...

c'est Eriphile qui l'enfonce et dans son propre sein; une fois son identité solennellement reconnue, celle-cin'a pas souffert que Calchas l'immolât.

Cette frénésie de destruction, digne conclusion d'un rôle paroxystique, nesemble-t-elle pas, aussi, assez humaine? Le suicide, substitué au sacrifice, n'achève-t-il pas de séculariser l'action?Les dieux sont honoraires dans cette tragédie; et, si les hommes discutent, les femmes agissent; ainsi tout est dansl'ordre, et la vraisemblance et les bienséances, ces clefs de voûte de la logique et psychologique tragédie française,sont finalement sauvegardées. Action haletante.

Comment enfin trembler, frémir, se rassurer, passer par toutes les couleurs du prisme émotionneldans une tragédie de bout en bout conduite par les dieux et signée du sang d'une biche opportune? Racine, qui secontente de prodiges humains, accomplit le tour de force de nous faire haleter au cours de péripéties que latradition lui transmettait archi-conventionnelles.

Rien n'est dit ni tenté qui n'ait pour but de précipiter ou de ralentirl'action; il arrive le plus souvent que qui ajourne le sacrifice le presse, que qui le presse l'ajourne; tout concourt àépaissir et à obscurcir l'atmosphère; rien ni personne ne nous délivre de notre angoisse; la lucide prière d'Iphigénieelle-même se perd dans les clameurs de la fin de l'acte; il est dit que jusqu'au dernier moment nous nagerons dansl'incertitude et dans l'angoisse, que nous ne saurons jamais rien qu'à moitié, que nous redouterons tout pourIphigénie, et le mariage et le célibat, et l'arrivée et la fuite, et le calme et l'inquiétude ; pour un peu, le spectateurse dissimulerait et adopterait la politique de l'autruche, comme Agamemnon qui finit par se voiler la tête ets'abstraire d'un désordre dont il est le principal responsable : il se voile, il donne sa langue au chat, il n'en peut plus,mais nous? Faisons plutôt le compte de nos secousses cardiaques : l'arrivée des princesses, la comédie du mariagerompu puis renoué, la révélation d'Arcas, le feu roulant de ces affreuses scènes faites à Agamemnon par les deuxredoutables spécialistes que sont Clytemnestre et Achille, notre dernier espoir dans la fermeté du roi déçu commeles autres, le désarroi d'Iphigénie elle-même qui, entre sa prière et l'ordre donné à Eurybate, sent sa tête se perdreet manque d'entraîner avec elle toute la charpente scénique, le récit du sacrifice en deux parties, pour que nous nesoyons pas trop tôt tirés de peine, celle d'Arcas, messager voué aux nouvelles catastrophiques, qui annonce unebataille rangée, celle d'Ulysse enfin qui d'un œil aussi content, d'un air aussi benoîtqu'il immolait tantôt la fille de son roi. nous vient servir le récit du salut et calmer notre appréhension du sang innocent par l'étalage du sang coupable.Sans doute la tragédie ne soulève pas le cœur; du moins celle-ci exerce nos nerfs et fait couler nos larmes; Boileaune s'y était pas trompé.

Voltaire non plus qui, relisant Iphigénie pour la centième fois, pleurait « d'admiration etd'attendrissement ».

(Lettre à l'Académie).

La question est de savoir si ces larmes sont aussi intellectualisées que levoulait l'abbé Bremond; on le verra plus loin.

En attendant, qu'il suffise de constater que, des difficultés amonceléespar le choix d'un tel sujet, Racine a tiré une action où le jeu des contrastes, la profondeur d'humanité et l'attrait dumystère ne cessent pas un instant de captiver le spectateur.. »

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