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Peut-on contredire l'expérience ?

Publié le 04/02/2004

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- « Expérience « est un terme ambigu, qui renvoie aussi bien à l'expérience quotidienne ou acquise au sens habituel, qu'à l'expérience scientifique. La question mérite peut-être d'être posée dans les deux cas. - L'expérience acquise par un individu peut sans doute être démentie par une situation nouvelle, mais aussi contredite par celle d'un individu différent. C'est qu'elle élabore, non une connaissance, mais des opinions. - Quelle contradiction est possible ? Si une expérience (scientifique) est bien menée et interprétée, elle ne pourra être « contredite « que dans un moment ultérieur du savoir, lorsque les instruments et les théories auront évolué - mais s'agira-t-il alors de sa simple négation ?

« [Introduction] « Croyez-en ma vieille expérience...

», « si j'en crois mon expérience personnelle, je dirai que...

» : de tellesexpressions semblent indiquer une relation entre expérience et croyance.

Or cette relation paraît peu compatibleavec les enseignements d'une expérience scientifique, qui ne concernent pas la simple croyance ou adhésionpersonnelle, mais sont bien plutôt orientés vers l'élaboration d'une vérité universelle.

« Expérience » renvoie ainsi àdeux situations différentes, qui doivent être distinguées, ne serait-ce que parce qu'elles ne résistent sans doute pasde la même façon à une éventuelle contradiction.

S'il paraît concevable de contredire l'expérience acquise par celuiqui s'en vante, la question « Peut-on contredire l'expérience ? » demande une tout autre analyse lorsqu'il y va del'expérience scientifique. [I.

Les deux expériences] Dans le langage ordinaire, l'expérience désigne l'acquisition progressive d'un « savoir » ou savoir-faire diffus, dont onadmet ou suppose qu'il s'accompagne d'une forme de sagesse.

L'homme d'expérience est ainsi celui qui sait et quiest capable de conseiller (il est « de bon conseil ») en fonction de ce savoir.

L'acquisition de cette expériencen'implique pas une méthode rigoureuse : il suffirait d'avoir « vécu » pour qu'elle ait pu se former jour après jour, parstrates successives ayant en général toujours la même orientation.Car cette expérience, que l'on pourrait qualifier de simplement «pratique », est sans origine clairement repérable :elle peut être partiellement transmise, sans qu'il soit possible d'en repérer un responsable initial.

Elle est ainsipersonnelle et presque anonyme, et c'est pourquoi elle s'énonce aussi sous la forme du « on sait par expérience que» : le « on », comme l'a souligné Heidegger, permet de se fondre dans un collectif, et de refuser la responsabilité entière d'une affirmation.

Il y a dans ce « savoir » un accueil passif, unesimple réception de ce qui s'offre, un peu par hasard ou par chance, comme «bon à apprendre ».

Et plus l'expérience s'enrichit dans le temps ous'accumule, plus elle se confirme, pour composer finalement un ensembled'opinions qui prennent volontiers l'apparence de certitudes définitives.Il est facile d'opposer à ce savoir mal construit les qualités de l'expériencescientifique, telle qu'elle est instaurée au XIX siècle.

Celle-ci témoigne d'unevéritable activité de l'esprit, qui pose à la nature une question précise.L'esprit scientifique n'attend pas que l'enseignement lui vienne de l'extérieur, ille provoque.Pour obtenir ce qu'il cherche, c'est-à-dire la connaissance d'une loidéterminant un phénomène encore inexpliqué, l'expérimentateur doitévidemment connaître l'état actuel du savoir dans le domaine concerné.

Maisdans la mesure où ce savoir est insuffisant, il doit également être prêt à leremettre en cause, au moins partiellement.

L'expérience ne sera pas menéeau hasard, et Claude Bernard a montré qu'elle s'inscrit en fait dans unvéritable raisonnement expérimental (ce qui indique à quel point la raison et lathéorie sont en jeu dans toute expérimentation), constitué de quatremoments principaux : l'observation du phénomène, la formulation d'unehypothèse (ou explication anticipée), le montage expérimental qui va testerl'hypothèse, et, si la validité de cette dernière est confirmée, la formulationd'une loi.

En principe ou dans l'absolu, une expérience correctement montéeet organisée n'a pas besoin d'être répétée (même si les expériences dans les sciences contemporaines sontdevenues tellement subtiles qu'on préfère les répéter quand on en a les moyens, à la fois techniques et financiers) :ce qu'elle enseigne peut être considéré comme acquis.

La rigueur et la complexité de cette démarche n'ontévidemment rien de commun avec l'acquisition hasardeuse de l'expérience « pratique ».

Il est donc vraisemblableque la possibilité de contredire une expérience ne soit pas la même, n'ait pas la même portée dans les deux cas. [II.

Les conflits d'expérience] Celui qui prétend contredire l'homme « qui a de l'expérience » risque bien souvent de provoquer des réactionsvirulentes, sinon violentes.

Pourquoi ? C'est que, dans ce cas, contredire l'expérience acquise semble s'en prendreau vécu, à l'épaisseur biographique de l'individu, puisque c'est bien cette dernière qui a permis d'accumulerl'expérience dont il fait étalage.Aussi peut-on constater que l'homme d'expérience fait volontiers état de sa supériorité : il « connaît la vie » et saitce qu'on peut en attendre.

Cette situation est fréquente dans les conflits entre générations : au désir adolescent,le parent n'hésite pas à opposer son prétendu « savoir », impliquant que ce qu'il a vécu devra presqueobligatoirement se répéter, et ne pouvant tenir compte des différences (de possibilités, de goûts, d'espoirs)produites par le temps écoulé.

Parce que l'expérience sur laquelle on prend appui est elle-même répétitive, et necherche qu'à être inlassablement confirmée (si elle se heurte à un fait qui la contredit ouvertement et la montreimpuissante, on mettra plutôt en cause la « malchance » ou le cas d'exception que le faux savoir revendiqué), elleinvite à concevoir que la répétition serait un principe universel.Contredire une telle expérience au nom d'une expérience différente ne mène guère plus loin : chacun desinterlocuteurs, persuadé d'avoir la « vérité » ou le « bon droit » de son côté, campe sur ses acquis.

Cela ne peutaboutir qu'à un conflit d'opinions, mais non reconnues comme telles, et revendiquées au contraire comme des quasi-. »

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