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Le souci de soi recommande-t-il seulement d'être heureux ?

Publié le 02/01/2004

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             Dans le Gai savoir, par exemple au livre V on trouve des lignes où la santé retrouvée ouvre à une joie véritable, l'homme est heureux parce que de nouvelles promesses s'offrent à lui. Toutefois ici la joie a un sens proprement existentiel, elle est conquise au terme d'un doute sur soi même, d'une épreuve difficile. Nous allons tenter d'éclairer une telle configuration.  

II- Mais le souci de soi n'est pas la complaisance.              

Cependant il faut se garder d'un glissement : le souci accordé à la bonne santé peut vite devenir pathologique. La surenchère actuelle autour de la santé a quelque chose de morbide et qui est souvent dénoncé : tout devient interdit pour le bien de tous. La norme devient non plus ce qui se construit par rapport à l'excès et donc le tolère mais bien un commandement sanitaire qui interdit tout écart (safe sex, abstinence aux Etats unis, interdiction de fumer, tandis qu'on est prêt à légaliser le cannabis, qui, comme le note le philosophe slovène est précisément nommée drogue douce, et c'est donc en vertu de ce qu'elle est considérée comme produit désubstantialisé qu'on la tolère...).            

Comme l'écrit Canguilhem dans Le normal et le pathologique être en bonne santé c'est justement être capable de tomber malade. A trop éviter le danger on construit des comportements aseptisés et finalement morbides. Le souci de soi doit donc tout autant être oubli de soi, c'est-à-dire que le sujet doit être capable de se confronter au réel sans tenter de prévenir ni de contrôler tout ce qui est à même de lui arriver.

Le souci de soi est-il rivé à la seule visée de l’extase pour soi ? Se soucier de soi est-ce seulement vouloir la plénitude ? Un tel lien n’est il pas trop exclusif ? Le souci de soi ne recommande t-il pas tout autant de sortir de soi, de s’ouvrir au monde et à autrui ? Le souci de soi devrait donc concilier à la fois la plénitude (être heureux) et aussi le manque, en effet par l’épreuve du manque (du réel en tant qu’il me résiste), je fais l’épreuve de l’existence, c'est-à-dire de la vie telle me sépare de moi-même. Le souci de soi ne saurait me recommander la seule extase, sauf à sacrifier le réel au profit du seul désir.

« 3.

Le souci de l'être authentique A.

Se soucier de soi, c'est rabaisser le moi. Un souci de soi raisonnable, conscient de lui-même, passe donc par la recherche de mon être authentique, par unejuste appréciation de la valeur de mon être.

Or ce qui vaut le plus en moi, c'est justement ce en quoi je puisaccéder à un universel, c'est-à-dire ce qu'il y a de moins individuel en moi.

Rousseau faisait remarquer que l'amourde soi produit humanité et vertu, qui l'une et l'autre prennent pour objet les hommes en général, et non pas moi-même.

L'amour de soi m'élargit et me met en rapport avec un universel.

En cela, le souci de soi me convaincparadoxalement de rabaisser le moi.

Ce qu'il y a d'authentique en moi, ce n'est pas le moi.

La célèbre phrase de Pascal (Brunschvicg 455, Lafuma 597) : «Le moi est haïssable» peut secomprendre ainsi comme une condamnation du moi nécessairement égoïste etde l'amour-propre.

Le moi est chez Pascal identifié à son principal attribut:l'amour-propre.

«La nature de l'amour-propre et de ce moi humain est den'aimer que soi et de ne considérer que soi» (Brunschvicg 100, Lafuma 978) :l'homme, dans sa condition misérable, oublie sa véritable destination et s'égarehors de lui-même; son moi l'obnubile; toute l'entreprise pascalienne consistealors à rabaisser les prétentions du moi, à le ramener à sa juste place, et àessayer de lui faire peut-être apercevoir la nature de son véritable bien.

Lespropos de Pascal trouvent un écho dans une pensée de Chamfort: «Un actede vertu, un sacrifice ou de ses intérêts ou de soi-même, est le besoin d'uneâme noble, l'amour-propre d'un coeur généreux, et, en quelque sorte,l'égoïsme d'un grand caractère» (Maximes et pensées, caractères, anecdotes,147).

La découverte du moi véritable, du moi supérieur, passe par la négationdes prétentions du moi égoïste jeté dans les passions. B.

Le salut. Ce sacrifice du moi égoïste en faveur d'un être véritable, authentique, conduità faire du souci que nous avons de nous-mêmes la recherche d'un salut.

Sesoucier de soi, c'est moins s'occuper de soi, être occupé et accaparé par soi- même, que chercher son salut.

«On ne doit pas [...] chercher à guérir le corps sans chercher à guérir l'âme»: cettephrase de Platon dans le Charmide (156 e) permet de préciser le sens originel de la recherche du salut, lequel, avantd'être le statut d'une âme ayant échappé à des maux ou malheurs, est d'abord la santé, la plénitude, l'intégrité del'âme telles que peut l'apporter la sagesse, la sophia, qui n'est autre que l'unité du savoir et de la vertu.

Le salutpasse alors par la philosophie qui seule permet de guérir l'âme, de lui offrir la santé, de lui désigner sa vertu.

Le soucide soi devient une quête d'un salut qui n'a plus rien d'égoïste, et dont le sens ne peut se ramener à la simpledimension religieuse dont elle est fréquemment revêtue: sauver son âme, ce n'est pas gagner quelque paradis quece soit, mais restaurer ou instaurer une santé spirituelle à laquelle visent tous les soins que nous pouvons nousapporter. C.

Bonheur et vertu. Le souci de soi ne peut donc nous recommander purement et simplement de rechercher le bonheur.

Celui-ci demeureune fin que nous ne pouvons pas ne pas avoir en vue, que nous ne pouvons pas ne pas désirer ultimement pournous-mêmes, mais qui est conditionnée à un salut pratique.

Le bonheur reste problématique, et ne peut valoirabsolument comme objet d'un impératif moral que nous nous adresserions à nous-mêmes: «Rends toi heureux.» Il nepeut être pour nous l'objet d'un intérêt pratique que si ce dernier prend pour nous la forme suivante: «Fais ce quipeut te rendre digne d'être heureux.», ainsi que le note Kant dans la Critique de la raison pure (Méthodologietranscendantale, chapitre II, 28 section: «De l'idéal du souverain bien comme fondement pour la détermination de lafin dernière de la raison pure»).

Kant écrit à ce sujet, dans la Critique de la raison pratique (première partie, livre ll,chapitre II): «Que la vertu (en tant qu'elle rend digne d'être heureux) soit la condition suprême de tout ce qui peutnous paraître désirable, par suite de toute notre quête du bonheur, et qu'elle soit ainsi le bien suprême, c'est ce quia été prouvé [...]».

Le souci de soi peut ainsi conserver une double signification, à la fois sensible et pratique: lesouci sensible de soi, subordonné au souci pratique, nous autorise à rechercher le bonheur à la condition que nousen soyons dignes, ce qui nous est apporté par la vertu, objet du souci pratique de soi. Conclusion Le souci que j'ai de moi-même ne saurait se laisser concevoir comme une simple invitation au bonheur.

Le moi dont ils'agit de prendre soin n'est pas seulement le moi empirique, sujet à l'amour-propre, cherchant un bonheur qu'il n'estpas capable de se procurer, mais aussi ce qui en moi dépasse ma particularité d'être sensible et la rabaisse, à savoirma nature d'être moral.

Paradoxalement, c'est le souci que j'ai de ma destination morale qui me donne le droit deprétendre au bonheur.

Ce dernier, fin naturelle de tout être sensible fini, m'apparaît comme subordonné à ma naturemorale: je ne dois pas vouloir être heureux, mais seulement me rendre digne de l'être.

Ce souci de moi-même quim'élève au-dessus de ma nature, tant sensible que pratique, fait de moi un être défini par son souci, emporté au-delà de lui-même dans une quête sans fin: c'est dans le souci de mon être que je m'apparais à moi-même, que je medécouvre moi-même.. »

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