Le surhomme et la transmutation
Publié le 22/03/2015
Extrait du document
Je ne vois pas que je sois charbon ardent.
La compassion n'est-elle pas la croix sur laquelle on cloua celui qui aime les hommes?
Mais ma compassion n'est pas crucifiement.
Ce n'est pas votre péché, c'est votre modération, [...] c'est votre avarice même dans le péché, qui en appelle au ciel!
L'homme est une corde tendue entre la bête et le surhomme ; une corde au-dessus d'un abîme.
Ce que l'on peut aimer chez l'homme c'est qu'il est à la fois franchissement et déclin.
J'aime Ceux qui ne savent vivre qu'en déclinant car ce sont eux qui vont par-delà!
J'aime Ceux qui méprisent grandement car ce sont eux qui vénèrent grandement et qui sont des flèches que lance le désir-de-l autre-rive.
J'aime Celui qui vit pour connaître, et qui veut connaître pour qu'un jour vive le surhomme, et qui de la sorte veut son propre déclin.
Nous sommes au tout début du Zarathoustra, le prophète --- Nietzsche ---, qui vient de nous rappeler la «mort de Dieu« comme s'il s'agissait d'une évidence bien connue, et qui n'a pas encore fait l'épreuve de l'incompréhension et de l'hostilité du public, proclame, sans précautions oratoires, et donc plus nettement qu'il ne le fera jamais, l'essentiel de son message : «L'homme est quelque chose qui doit être surmonté«, «Je vous enseigne le surhomme«.
Cette métaphysique c'est celle de l'immanence, de l'ici-bas, de «l'innocence du devenir«, celle de ceux qui, «fidèles à la terre«, n'auront pas honte de reconnaître que leur âme est âme d'un corps.
À la morale de la volonté de puissance faible et servile, vertu qui n'a «jamais rendu furieux« et dont la «modération«, l «avarice«, la mesquinerie qu'on finit par retrouver jusque «dans le péché«, trahit, aux yeux avertis du généalogiste, une sous-estimation de soi-même, il oppose une morale de la volonté de puissance forte, aristocratique, «flèche du désir«, fondée sur le respect de soi-même.
Enfin se montre --- clef de voûte de cette triple transmutation --- gnoséo-logique, métaphysique et morale --- la volonté de puissance qui peut être la meilleure et la pire des choses, et qui, quand elle est la meilleure des choses, est chez l'homme cette volonté d'être plus grand que soi-même, volonté d'assumer enfin toute la grandeur dont l'homme s'était jusqu'ici déchargé sur Dieu, volonté d'être un surhomme.
«
48 Nietzsche ou la probité
préparer la terre, faune et flore.
[ ...
] J'aime Celui qui aime sa vertu
parce que
la vertu est volonté de déclin et flèche du désir.
[ ...
] J'aime
Celui dont l'âme se prodigue, sans restituer ni attendre de récompense,
parce
qu'il donne toujours et ne veut pas se conserver.
[ ...
]J'aime Celui
qui justifie ceux qui seront et qui rachète ceux qui furent car il veut périr
par ceux qui sont.
»
Ainsi parlait Zarathoustra, Prologue, § 3 et 4.
Nous sommes au tout début du Zarathoustra, le prophète - Nietzsche-, qui
vient de nous rappeler la
« mort de Dieu » comme s'il s'agissait d'une évidence
bien connue, et qui n'a pas encore fait l'épreuve de l'incompréhension et
de l'hosti
lité du public, proclame, sans précautions oratoires, et donc plus nettement qu'il
ne le fera jamais, l'essentiel de son message :
« L'homme est quelque chose qui
doit être
surmonté»,« Je vous enseigne le surhomme».
Voilà ce qu'est l'homme
et qu'il vous faut mépriser ! Voilà ce que sera le surhomme et qu'il vous faut
aimer, et réaliser
! Ce texte résume à lui seul toute la philosophie de Nietzsche.
L'esprit libre
Il y a, récapitulé là, tout le programme de l'esprit libre, « corde tendue entre la
bête et le surhomme », à la fois « lion » et « enfant», « déclin » et
«franchissement», qui «méprise grandement» l'« humain trop humain» parce
qu'il
« vénère grandement » le surhumain.
Il y a là tout Nietzsche qui a renoncé à
toutes ses anciennes convictions de
«
chameau 1 » (VI, 37), qui même a sacrifié
bonheur, confort, honneurs, amitiés et toutes autres
« satisfactions pitoyables »,
et qui « œuvre [ ...
] pour bâtir au surhomme sa demeure», et qui pour finir
trouve là un bonheur bien supérieur, ou plutôt quelque chose de bien supérieur
au bonheur : une
«justification» de son« existence».
La connaissance
Il y a, évoquée là, l'opposition entre la connaissance, par-delà vrai et faux,
émanant d'une raison qui
« aspire au savoir comme le lion aspire à sa
nourriture
», connaissance qui est action, perspective courageuse, probe, sans
illusion, construction du réel par une volonté de puissance qui
« veut connaître
pour qu'un jour vive le
surhomme», et la connaissance -celle de la philosophie
depuis Socrate et celle de la science objective -procédant d'une raison soumise
1.
Cf., ci-dessus, dans notre chapitre 1 : L'Esprit libre, Les trois métamorphoses de l'esprit, p.
8..
»
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