Le Surhomme ou l'appel à la création
Publié le 22/03/2015
Extrait du document
« C'est là aussi que j'ai ramassé sur ma route le mot "Surhomme", et cette pensée que l'homme est quelque chose qui doit être surmonté,
— que l'homme est un pont et non un but : se louant de son midi et de son soir, chemins vers de nouvelles aurores :
— la parole de Zarathoustra sur le Grand Midi, et ce que j'ai encore suspendu au-dessus de l'homme comme de nouveaux couchants de pourpre.
En vérité, je leur ai fait voir de nouvelles étoiles en même temps que de nouvelles nuits ; et sur les nuages et sur le jour et la nuit, j'ai encore étendu le rire comme une tente bariolée. Je leur ai appris tout mon art et le but de ma poursuite : condenser et réunir en un ce qui chez l'homme est fragment et énigme et terrible hasard.
Poète, devin et rédempteur du hasard, je leur ai appris à travailler l'avenir et, en créant, à délivrer tout ce qui fut. Délivrer le passé en l'homme et transformer le "c'était" jusqu'à ce que la volonté puisse dire : "Mais je l'ai voulu ainsi ! C'est ainsi que je le voudrai !"
— C'est ceci que j'ai appelé leur salut, ceci seulement que je leur ai appris à appeler salut.
Maintenant j'attends mon salut — afin d'aller à eux pour la dernière fois.
Car une fois encore je veux aller chez les hommes : c'est parmi eux que je veux me perdre et leur faire en mourant le plus riche de mes dons !
J'ai appris cela du soleil quand il se couche, l'astre trop riche : l'or de sa richesse inépuisable, il le répand alors sur la mer.
— de sorte que le plus pauvre des pêcheurs rame encore avec une rame d'or ! J'ai vu cela un jour et, devant ce spectacle, je n'ai pas pu me rassasier de mes larmes.
Zarathoustra veut disparaître comme le soleil : il est assis là et attend, entouré de vieilles tables brisées — et de tables nouvelles — à demi écrites. «
Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra,
3e partie. « Des vieilles et des nouvelles « (tables), strophe 3.
«
Textes commentés 45
a) Situation du texte.
Sous une forme poétique, Nietzsche présente
l'homme futur, celui qui vient : le
« Surhomme ».
Influence ici d'une
théorie de l'évolution.
Dès lors, l'homme n'est plus un but, mais un
« pont », c'est-à-dire quelque chose vers un devenir.
Il n'est plus un
constat mais de la nouveauté (nouveaux couchants, nouvelles étoiles,
nouvelles nuits).
En conséquence,
il n'y a plus le sérieux des certitudes
mais le
« rire » métaphysique, dans des virtualités différentes (tente
bariolée).
La vie est signalée par ses caractères d'imprévisibilité (le
hasard dit deux fois), son lien avec le temps (avenir, créant, ce qui fut)
et non avec l'éternité.
b) Mouvement du texte.
• 1er moment ( ~ « [ ...
] appris à appeler salut ») : une définition de
l'homme.
La beauté de l'image poétique (chemin, couchants de pourpre,
tente bariolée) montre l'attachement à la terre dans ce qu'elle a de
merveilleux, de sensitif.
Non s'intéresser aux arrières-mondes
platoniciens ou chrétiens mais être là.
Originalité de la pensée
du
XIXe siècle : le statut du passé dans une réflexion sur la vie : non
mémoire-juge mais usage qu'en fait la volonté
(«je l'ai voulu » ).
Et
cela grâce à un autre regard sur le présent : ce "terrible hasard",
échappant à la raison peut devenir source
de création.
• 2e moment (de «Maintenant j'attends mon salut [ ...
]»jusqu'à la
fin) :
l'appel à la création.
Reprise du premier verset : « l'homme est
quelque chose qui doit être surmonté
».
Les points de repère sont
énoncés : fidélité à l'homme d'aujourd'hui (parmi eux), à ses liens avec
les moments de vie de la nature (rame d'or), refus des valeurs
traditionnelles (vieilles tables brisées).
La vie est donc rupture.
c) Conclusion.
Zarathoustra ne réécrit pas une morale.
Les tables
nouvelles sont à demi-écrites.
Porté par
le rire, sans se prendre au
sérieux,
il donne la possibilité à la génération suivante, d'inventer un
autre modèle en réponse à une situation singulière..
»
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