Christiane Singer, La mort viennoise

Nous sommes à Vienne, en 1679. Le prince de Bade donne une fête, et ses hôtes vont traverser la ville en cortège. Dans la nuit d'hiver, les Viennois attendent le passage des riches équipages... Du fond de la nuit devenue plus noire on voit s'avancer des flambeaux. Leurs flammes s'affolent, vrillent l'obscurité de multiples tourbillons fous. On ne distingue pas encore les mains qui les brandissent. Mais l'impatience de voir ces cavaliers qu'annonce la rumeur esquisse déjà, devant les yeux dilatés par l'attente, le mirage tremblé de leurs contours. Un homme qui surgit d'un porche obscur, une lanterne à la main, jette brusquement sur le mur une giclée d'ombres géantes.

La neige s'éclaire d'une lueur de nacre. Ils arrivent. Ils passent. Les pages brandissant les flambeaux comme des oriflammes et leurs coursiers fougueux coiffés d'aigrettes et de plumes. Derrière eux s'élance un cheval blanc. A sa martingale (x) sont fixés de gigantesques bois de cerf qu'embrume le panache clair de son souffle. Le traîneau qu'il emporte semble à peine effleurer le sol. Et dans la mousse de fourrure débordant sur la coque, vogue un visage blanc qu'encadre une perruque. A l'arrière, sur une mince plateforme, se découpe la silhouette d'un cocher qui tient à bout de bras, au-dessus de la tête immobile, des rênes cloutées d'or. Et la nuit se referme derrière eux comme une eau. L'éblouissement de la vision à jeté un sable qui se dépose doucement au fond des yeux, tout pailleté de débris précieux ; restent incisés sur les rétines le ramage d'un brocart, le galon d'argent d'une livrée, une bride cloutée de pierres de Bohême, ou sous une botte qui miroite, le filigrane d'or d'un étrier. Un clignotement encore et tout s'éteint. Christiane Singer, La mort viennoise, 1978. Vous ferez de ce texte un commentaire composé. Vous pourrez notamment étudier par quels moyens (images, construction des phrases, effets plastiques, etc.), l'auteur parvient à restituer « l'éblouissement de la vision «. (Ces indications ne sont pas contraignantes.)