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Eugenie Grandet --Tiens, Cornoiller, dit-elle en lui glissant dix francs dans la main, quelque jour nous reconnaitrons tes services.

Publié le 12/04/2014

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Eugenie Grandet --Tiens, Cornoiller, dit-elle en lui glissant dix francs dans la main, quelque jour nous reconnaitrons tes services. Cornoiller n'eut rien a dire. Il partit. --Madame, dit Nanon, qui avait mis sa coiffe noire et pris son panier, je n'ai besoin que de trois francs, gardez le reste. Allez, ca ira tout de meme. --Fais un bon diner, Nanon, mon cousin descendra, dit Eugenie. --Decidement, il se passe ici quelque chose d'extraordinaire, dit madame Grandet. Voici la troisieme fois que, depuis notre mariage, ton pere donne a diner. Vers quatre heures, au moment ou Eugenie et sa mere avaient fini de mettre un couvert pour six personnes, et ou le maitre du logis avait monte quelques bouteilles de ces vins exquis que conservent les provinciaux avec amour, Charles vint dans la salle. Le jeune homme etait pale. Ses gestes, sa contenance, ses regards et le son de sa voix eurent une tristesse pleine de grace. Il ne jouait pas la douleur, il souffrait veritablement, et le voile etendu sur ses traits par la peine lui donnait cet air interessant qui plait tant aux femmes. Eugenie l'en aima bien davantage. Peut-etre aussi le malheur l'avait-il rapproche d'elle. Charles n'etait plus ce riche et beau jeune homme place dans une sphere inabordable pour elle; mais un parent plonge dans une effroyable misere. La misere enfante l'egalite. La femme a cela de commun avec l'ange que les etres souffrants lui appartiennent. Charles et Eugenie s'entendirent et se parlerent des yeux seulement; car le pauvre dandy dechu, l'orphelin se mit dans un coin, s'y tint muet, calme et fier; mais, de moment en moment, le regard doux et caressant de sa cousine venait luire sur lui, le contraignait a quitter ses tristes pensees, a s'elancer avec elle dans les champs de l'Esperance et de l'Avenir ou elle aimait a s'engager avec lui. En ce moment, la ville de Saumur etait plus emue du diner offert par Grandet aux Cruchot qu'elle ne l'avait ete la veille par la vente de sa recolte qui constituait un crime de haute trahison envers le vignoble. Si le politique vigneron eut donne son diner dans la meme pensee qui couta la queue au chien d'Alcibiade, il aurait ete peut-etre un grand homme; mais trop superieur a une ville de laquelle il se jouait sans cesse, il ne faisait aucun cas de Saumur. Les des Grassins apprirent bientot la mort violente et la faillite probable du pere de Charles, ils resolurent d'aller des le soir meme chez leur client afin de prendre part a son malheur et lui donner des signes d'amitie, tout en s'informant des motifs qui pouvaient l'avoir determine a inviter, en semblable occurrence, les Cruchot a diner. A cinq heures precises, le president G. de Bonfons et son oncle le notaire arriverent endimanches jusqu'aux dents. Les convives se mirent a table et commencerent par manger notablement bien. Grandet etait grave, Charles silencieux, Eugenie muette, madame Grandet ne parla pas plus que de coutume, en sorte que ce diner fut un veritable repas de condoleance. Quand on se leva de table, Charles dit a sa tante et a son oncle: --Permettez-moi de me retirer. Je suis oblige de m'occuper d'une longue et triste correspondance. --Faites, mon neveu. Lorsque apres son depart le bonhomme put presumer que Charles ne pouvait rien entendre, et devait etre plonge dans ses ecritures, il regarda sournoisement sa femme. --Madame Grandet, ce que nous avons a dire serait du latin pour vous, il est sept heures et demie, vous devriez allez vous serrer dans votre portefeuille. Bonne nuit, ma fille. Il embrassa Eugenie, et les deux femmes sortirent. La commenca la scene ou le pere Grandet, plus qu'en aucun autre moment de sa vie, employa l'adresse qu'il avait acquise dans le commerce des hommes, et qui lui valait souvent, de la part de ceux dont il mordait un peu trop rudement la peau, le surnom de vieux chien. Si le maire de Saumur eut porte son ambition plus haut, si d'heureuses circonstances, en le faisant arriver vers les Eugenie Grandet 51 Eugenie Grandet spheres superieures de la Societe, l'eussent envoye dans les congres ou se traitaient les affaires des nations, et qu'il s'y fut servi du genie dont l'avait dote son interet personnel, nul doute qu'il n'y eut ete glorieusement utile a la France. Neanmoins, peut-etre aussi serait-il egalement probable que, sorti de Saumur, le bonhomme n'aurait fait qu'une pauvre figure. Peut-etre en est-il des esprits comme de certains animaux, qui n'engendrent plus transplantes hors des climats ou ils naissent. --Mon ... on ... on ... on ... sieur le pre ... pre ... pre ... president, vouoouous di ... di ... di ... disiiieeez que la faaaaiiillite ... Le bredouillement affecte depuis si longtemps par le bonhomme et qui passait pour naturel, aussi bien que la surdite dont il se plaignait par les temps de pluie, devint, en cette conjoncture, si fatigant pour les deux Cruchot, qu'en ecoutant le vigneron ils grimacaient a leur insu, en faisant des efforts comme s'ils voulaient achever les mots dans lesquels il s'empetrait a plaisir. Ici, peut-etre, devient-il necessaire de donner l'histoire du begayement et de la surdite de Grandet. Personne, dans l'Anjou, n'entendait mieux et ne pouvait prononcer plus nettement le francais angevin que le ruse vigneron. Jadis, malgre toute sa finesse, il avait ete dupe par un Israelite qui, dans la discussion, appliquait sa main a son oreille en guise de cornet, sous pretexte de mieux entendre, et baragouinait si bien en cherchant ses mots, que Grandet, victime de son humanite, se crut oblige de suggerer a ce malin Juif les mots et les idees que paraissait chercher le Juif, d'achever lui-meme les raisonnements dudit Juif, de parler comme devait parler le damne Juif, d'etre enfin le Juif et non Grandet. Le tonnelier sortit de ce combat bizarre, ayant conclu le seul marche dont il ait eu a se plaindre pendant le cours de sa vie commerciale. Mais s'il y perdit pecuniairement parlant, il y gagna moralement une bonne lecon, et, plus tard, il en recueillit les fruits. Aussi le bonhomme finit-il par benir le Juif qui lui avait appris l'art d'impatienter son adversaire commercial; et, en l'occupant a exprimer sa pensee, de lui faire constamment perdre de vue la sienne. Or, aucune affaire n'exigea, plus que celle dont il s'agissait, l'emploi de la surdite, du bredouillement, et des ambages incomprehensibles dans lesquels Grandet enveloppait ses idees. D'abord, il ne voulait pas endosser la responsabilite de ses idees; puis, il voulait rester maitre de sa parole, et laisser en doute ses veritables intentions. --Monsieur de Bon ... Bon ... Bonfons ... Pour la seconde fois, depuis trois ans, Grandet nommait Cruchot neveu monsieur de Bonfons. Le president put se croire choisi pour gendre par l'artificieux bonhomme. --Vooouuous di ... di ... di ... disiez donc que les faiiiillites peu ... peu ... peu ... peuvent, dandans ce ... ertains cas, etre empe ... pe ... pe ... chees pa ... par ... --Par les tribunaux de commerce eux-memes. Cela se voit tous les jours, dit monsieur C. de Bonfons enfourchant l'idee du pere Grandet ou croyant la deviner et voulant affectueusement la lui expliquer. Ecoutez? --J'ecoucoute, repondit humblement le bonhomme en prenant la malicieuse contenance d'un enfant qui rit interieurement de son professeur tout en paraissant lui preter la plus grande attention. --Quand un homme considerable et considere, comme l'etait, par exemple, defunt monsieur votre frere a Paris ... --Mon ... on frere, oui. --Est menace d'une deconfiture ... --Caaaa s'aappelle de, de, deconfiture? --Oui. Que sa faillite devient imminente, le tribunal de commerce, dont il est justiciable (suivez bien), a la faculte, par un jugement, de nommer, a sa maison de commerce, des liquidateurs. Liquider n'est pas faire Eugenie Grandet 52

« spheres superieures de la Societe, l'eussent envoye dans les congres ou se traitaient les affaires des nations, et qu'il s'y fut servi du genie dont l'avait dote son interet personnel, nul doute qu'il n'y eut ete glorieusement utile a la France.

Neanmoins, peut-etre aussi serait-il egalement probable que, sorti de Saumur, le bonhomme n'aurait fait qu'une pauvre figure.

Peut-etre en est-il des esprits comme de certains animaux, qui n'engendrent plus transplantes hors des climats ou ils naissent. —Mon ...

on ...

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disiiieeez que la faaaaiiillite ... Le bredouillement affecte depuis si longtemps par le bonhomme et qui passait pour naturel, aussi bien que la surdite dont il se plaignait par les temps de pluie, devint, en cette conjoncture, si fatigant pour les deux Cruchot, qu'en ecoutant le vigneron ils grimacaient a leur insu, en faisant des efforts comme s'ils voulaient achever les mots dans lesquels il s'empetrait a plaisir.

Ici, peut-etre, devient-il necessaire de donner l'histoire du begayement et de la surdite de Grandet.

Personne, dans l'Anjou, n'entendait mieux et ne pouvait prononcer plus nettement le francais angevin que le ruse vigneron.

Jadis, malgre toute sa finesse, il avait ete dupe par un Israelite qui, dans la discussion, appliquait sa main a son oreille en guise de cornet, sous pretexte de mieux entendre, et baragouinait si bien en cherchant ses mots, que Grandet, victime de son humanite, se crut oblige de suggerer a ce malin Juif les mots et les idees que paraissait chercher le Juif, d'achever lui-meme les raisonnements dudit Juif, de parler comme devait parler le damne Juif, d'etre enfin le Juif et non Grandet.

Le tonnelier sortit de ce combat bizarre, ayant conclu le seul marche dont il ait eu a se plaindre pendant le cours de sa vie commerciale.

Mais s'il y perdit pecuniairement parlant, il y gagna moralement une bonne lecon, et, plus tard, il en recueillit les fruits.

Aussi le bonhomme finit-il par benir le Juif qui lui avait appris l'art d'impatienter son adversaire commercial; et, en l'occupant a exprimer sa pensee, de lui faire constamment perdre de vue la sienne.

Or, aucune affaire n'exigea, plus que celle dont il s'agissait, l'emploi de la surdite, du bredouillement, et des ambages incomprehensibles dans lesquels Grandet enveloppait ses idees.

D'abord, il ne voulait pas endosser la responsabilite de ses idees; puis, il voulait rester maitre de sa parole, et laisser en doute ses veritables intentions. —Monsieur de Bon ...

Bon ...

Bonfons ...

Pour la seconde fois, depuis trois ans, Grandet nommait Cruchot neveu monsieur de Bonfons.

Le president put se croire choisi pour gendre par l'artificieux bonhomme. —Vooouuous di ...

di ...

di ...

disiez donc que les faiiiillites peu ...

peu ...

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peuvent, dandans ce ...

ertains cas, etre empe ...

pe ...

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chees pa ...

par ... —Par les tribunaux de commerce eux-memes.

Cela se voit tous les jours, dit monsieur C.

de Bonfons enfourchant l'idee du pere Grandet ou croyant la deviner et voulant affectueusement la lui expliquer.

Ecoutez? —J'ecoucoute, repondit humblement le bonhomme en prenant la malicieuse contenance d'un enfant qui rit interieurement de son professeur tout en paraissant lui preter la plus grande attention. —Quand un homme considerable et considere, comme l'etait, par exemple, defunt monsieur votre frere a Paris ... —Mon ...

on frere, oui. —Est menace d'une deconfiture ... —Caaaa s'aappelle de, de, deconfiture? —Oui.

Que sa faillite devient imminente, le tribunal de commerce, dont il est justiciable (suivez bien), a la faculte, par un jugement, de nommer, a sa maison de commerce, des liquidateurs.

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