Gaston BERGER. Éduquer : donner une attitude intérieure. (L'homme moderne et son éducation)
Publié le 22/03/2011
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Si le monde change si vite qu'il est impossible de prévoir exactement le genre d'activité qu'auront les hommes de demain, vingt ans après leur sortie de l'école ou de l'université, il s'ensuit que deviennent inutiles, dans bien des cas, les préparations qui sont à la fois très longues et étroitement spécialisées. A vouloir trop « armer « l'enfant pour l'existence, on l'écrase sous le poids d'équipements inutiles et on lui retire toute souplesse en lui enlevant, en outre, le goût du combat. Au moment où tout est devenu si complexe qu'on ne peut plus tout savoir et où tout change si vite qu'on ne peut, longtemps à l'avance, préparer un enfant à des actes déterminés, ce qu'il nous faut faire c'est peut-être moins instruire l'homme que le former. Je sais bien qu'à toutes les époques, les éducateurs nous ont rappelé qu'il valait mieux une tête bien faite qu'une tête bien pleine. Mais voici qu'aux arguments philosophiques que pouvaient nous donner Montaigne, Descartes ou Valéry, s'ajoutent aujourd'hui les raisons nées de la situation particulière dans laquelle nous sommes placés. Le gavage intellectuel a toujours été absurde : mais le temps a aujourd'hui un tel prix que nous ne pourrions, sans risques graves, le gaspiller en apprentissages inefficaces, alors que tant de choses sont à faire. Cet homme que nous voulons former, quelles vertus lui donnerons-nous? Je ne songe pas un instant, comprenez-moi bien, à des cours de morale ou même à des exhortations par lesquelles l'enfant serait encouragé ou remis « dans le droit chemin «. Tout cela est généralement mal supporté et parfaitement inefficace. Mais je crois que l'on peut, à propos de tous les enseignements et de tous les exercices, donner progressivement à l'enfant une certaine attitude intérieure qui serait, pour la lutte qu'il doit affronter, l'arme la plus précieuse.
Le premier élément de cette attitude, la première de ces vertus, c'est le calme. Plus les choses vont vite, plus les gens ont tendance à s'affoler, plus il faut rester calme. Ce n'est pas seulement une question d'élégance, c'est une question de vie ou de mort. Quand on conduit des machines rapides ou que l'on met en jeu de grandes énergies, il importe de rester maître de soi. Les pilotes d'essai doivent avoir des réflexes rapides, mais peu de nerfs. Dans le monde agité et dangereux qui est le nôtre, il faut que nous ayons des enfants calmes. Vous me direz que je commence par soulever la difficulté la plus grande. Mais il importe que nous soyons pénétrés, nous parents et nous éducateurs, du devoir que nous avons d'aider nos enfants à rester calmes. La philosophie peut y aider—et la gymnastique ; et aussi une certaine ironie, tournée vers nous-mêmes plus que vers les autres. La deuxième vertu qu'il nous faut susciter, c'est l'imagination. Dans un monde stable, la raison est la faculté maitresse : il faut déduire, prévoir, préciser. Dans un monde mobile et sans cesse renouvelé, il faut constamment inventer — et d'abord il faut inventer sa propre vie. Ce n'est pas si facile. Or on peut enseigner aux enfants à résoudre des problèmes dans tous les domaines. On peut maintenir leur attention en éveil. On peut leur apprendre à avoir des idées. J'en ai souvent fait l'expérience avec mes étudiants. Ils étaient surpris et ravis de voir que sur une question où ils pensaient n'avoir rien à dire, ils étaient capables, en s'y prenant d'une certaine manière, de découvrir des vérités originales. L'éducation doit s'appliquer à développer dans la jeunesse une autre qualité : l'esprit d'équipe. Dans notre univers technique, il n'y a guère d'action efficace qui n'exige la coopération de plusieurs individus. Les plus brillantes aptitudes sont comme stérilisées, lorsque celui qui les possède n'est pas capable de s'insérer dans une action d'ensemble. Il n'y a pas ici simplement des habitudes à faire contracter. Il faut aussi inventer des structures qui puissent réaliser un équilibre indispensable entre la liberté, sans laquelle la recherche ne peut vivre et la coordination, sans laquelle elle perd presque toute sa force. Je parlerai peu de l'enthousiasme, dont j'ai dit un mot tout à l'heure et dont tout professeur doit être assez généreusement pourvu pour pouvoir faire aimer ce qu'il enseigne. J'insisterai davantage sur le courage. Nous n'avons pas le droit de dissimuler à nos jeunes gens les périls qui les attendent. Ils entrent dans un monde où leur place n'est pas réservée et où leur destin sera sans cesse remis en question. Dans tous les domaines, à tous les niveaux, il leur faudra inventer. Mais l'invention demande du courage. Il est facile de répéter, moins facile d'entreprendre. Commencer une action est toujours un effort coûteux. Il faut du courage pour accepter des risques et prendre des initiatives. Sans doute y a-t-il des techniques de calcul des chances qui facilitent et préparent la décision. Elles ne dispenseront jamais l'homme de l'obligation de choisir. Je voudrais parler enfin d'une qualité, plus importante peut-être encore que toutes les autres, qui est le sens de l'humain. Tous les éducateurs en ont senti le prix, mais il est plus indispensable que jamais dans un monde que la technique fascine et où pourtant les plus graves problèmes sont ceux que pose l'homme lui-même. Ce qui peut le mieux nous aider dans cette marche vers l'épanouissement de l'homme, c'est la culture. La culture n'est ni la possession d'un savoir étendu, ni la pure érudition, ni l'art de briller en société, ni la connaissance d'une discipline privilégiée. Tous les enseignements peuvent la donner, s'ils sont présentés dans un certain esprit. La culture, c'est le sens de l'humain. Si l'histoire a une valeur de culture, c'est parce qu'elle retrace le long et douloureux effort des hommes vers plus de bonheur et, parfois, vers plus de justice. Si la poésie a une valeur de culture, c'est parce qu'elle nous livre le secret de la vie profonde des hommes. Si la littérature, si le théâtre ont une valeur de culture, c'est parce qu'ils nous montrent des hommes dans des situations qui révèlent leur caractère. Si la traduction a une valeur de culture, si elle tient légitimement une place de premier rang dans une formation humaniste, c'est qu'elle exige un effort difficile mais précieux pour pénétrer la pensée d'un autre. Elle nous demande d'oublier nos opinions personnelles, de nous faire accueillant à la pensée de l'autre et de la restituer telle que l'autre l'avait lui-même conçue. Elle nous entraîne à comprendre avant de juger, à respecter l'originalité d'autrui et à ne jamais faire violence à sa liberté. Ce n'est point par hasard que l'humanisme, dont la traduction est un des exercices habituels, s'est trouvé si souvent engagé dans les luttes pour la liberté et dans les combats contre le fanatisme.
Il est parfaitement vain d'opposer l'univers de la technique à l'univers de la culture. Celle-ci ne nie pas celle-là, mais l'exige au contraire. Elle rappelle seulement que la technique est faite pour l'homme. C'est une leçon qu'il convient, plus que jamais, de faire entendre. L'épreuve comprend deux parties : 1) Vous ferez d'abord de ce texte, à votre gré, un résumé (en suivant le fil du développement) ou une analyse (en mettant en relief la structure logique de la pensée). Vous indiquerez nettement votre choix au début de la copie. 2) Dans une seconde partie, que vous intitulerez discussion, vous dégagerez du texte un problème qui offre une réelle consistance et qui vous aura intéressé. Vous en préciserez les éléments et vous exposerez vos vues personnelles sous la forme d'une argumentation ordonnée menant à une conclusion.
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