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(Gérard, jeune ingénieur, sorti de l'École des Ponts et Chaussées et de Polytechnique, est fort déçu du sort que lui fait la Société. Dans une lettre à son protecteur, il fait la critique du système des grandes Écoles.)

Publié le 23/04/2011

Extrait du document

   « Entre seize et dix-huit ans, je me suis adonné â l'étude des sciences exactes de manière à me rendre malade, vous le savez. Mon avenir dépendait de mon admission à l'École Polytechnique. Dans ce temps, mes travaux ont démesurément cultivé mon cerveau, j'ai failli mourir, j'étudiais nuit et jour, je me faisais plus fort que la nature de mes organes ne le permettait peut-être. Je voulais passer des examens si satisfaisants que ma place à l'École fût certaine et assez avancée pour me donner le droit à la remise de la pension que je voulais vous éviter de payer : j'ai triomphé! Je frémis aujourd'hui quand je pense à l'effroyable conscription de cerveaux livrés chaque année à l'Etat par l'ambition des familles qui, plaçant de si cruelles études au temps où l'adulte achève ses diverses croissances, doit produire des malheurs inconnus, en tuant à la lueur des lampes certaines facultés précieuses qui plus tard se développeraient grandes et fortes. Les lois de la nature sont impitoyables, elles ne cèdent en rien aux entreprises ni aux vouloirs de la Société. Dans l'ordre moral comme dans l'ordre naturel, tout abus se paie. Les fruits demandés avant le temps en serre chaude à un arbre viennent aux dépens de l'arbre même ou de la qualité de ses produits. La Quintinie (1) tuait des orangers pour donner à Louis XIV un bouquet de fleurs, chaque matin, en toute saison. Il en est de même des intelligences. La force demandée à des cerveaux adultes est un escompte de leur avenir. Ce qui manque essentiellement à notre époque est l'esprit législatif. L'Europe n'a point encore eu de vrais législateurs depuis Jésus-Christ, qui n'ayant point donné son Code politique, a laissé son œuvre incomplète. Ainsi, avant d'établir les Écoles spéciales et leur mode de recrutement, y a-t-il eu de ces grands penseurs qui tiennent dans leur tête l'immensité des relations totales d'une Institution avec les forces humaines, qui en balancent les avantages et les inconvénients, qui étudient dans le passé les lois de l'avenir? S'est-on enquis du sort des hommes exceptionnels qui, par un hasard fatal, savaient les sciences humaines avant le temps ? En a-t-on calculé la rareté ? En a-t-on examiné la fin? A-t-on recherché les moyens par lesquels ils ont pu soutenir la perpétuelle étreinte de la pensée? Combien, comme Pascal, sont morts prématurément, usés par la science? A-t-on recherché l'âge auquel ceux qui ont vécu longtemps avaient commencé leurs études ? Savait-on, sait-on, au moment où j'écris, les dispositions intérieures des cerveaux qui peuvent supporter l'assaut prématuré des connaissances humaines ? Soupçonne-t-on que cette question tient à la physiologie de l'homme avant tout? Eh ! bien, je crois, moi, maintenant, que la règle générale est de rester longtemps dans l'état végétatif de l'adolescence. L'exception que constitue la force des organes dans l'adolescence a, la plupart du temps, pour résultat l'abréviation de la vie. Ainsi, l'homme de génie qui résiste à un précoce exercice de ses facultés doit être une exception dans l'exception. Si je suis d'accord avec les faits sociaux et l'observation médicale, le mode suivi en France pour le recrutement des Écoles spéciales est donc une mutilation dans le genre de La Quintinie, exercée sur les plus beaux sujets de chaque génération. «    Balzac, le Curé de village.    • Selon votre préférence, résumez ce texte en respectant son mouvement, ou bien analysez-le, en distinguant et ordonnant les thèmes et en vous attachant à rendre compte de leurs rapports.

Après ce résumé ou cette analyse, vous dégagerez du texte un problème auquel vous attachez un intérêt particulier : vous en préciserez les données, vous les discuterez s'il y a lieu et vous exposerez, en les justifiant, vos propres vues sur la question.

   (1) La Quintinie : agronome, intendant des jardins fruitiers de Louis XIV.

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