Individu et société (texte)
Publié le 13/06/2011
Extrait du document

« En outre, la cité est, par nature, antérieure à la famille et à chacun de nous pris individuellement. Le tout, en effet, est antérieur à la partie puisque, le corps entier une fois détruit, il n'y aura ni pied, ni main sinon au sens où l'on parle d'une main de pierre : une main de ce genre sera une main morte. Or les choses se définissent toujours par leur fonction et leur puissance ; quand elles ne sont plus en état d'accomplir leur travail, il ne faut pas dire que ce sont les mêmes choses mais seulement qu'elles ont le même nom. Que, dans ces conditions, la cité soit aussi antérieure naturellement à l'individu, cela est évident ; si, en effet, l'individu pris isolément est incapable de se suffire à lui-même, il sera par rapport à la cité comme, dans nos autres exemples, les parties sont par rapport au tout. Mais l'homme qui est dans l'incapacité de vivre en communauté ou qui n'en a nul besoin parce qu'il se suffit à lui-même, ne fait point partie de la cité ; dès lors, c'est un monstre ou un dieu. «
ARISTOTE
« Qu'est-ce qu'un homme révolté ? C'est d'abord un homme qui dit non. Mais s'il ne renonce pas : c'est aussi un homme qui dit oui. Entrons dans le détail avec le mouvement de révolte. Un fonctionnaire qui a reçu des ordres toute sa vie juge soudain inacceptable un nouveau commandement. Il se dresse et dit non. Que signifie ce non ? « Il signifie par exemple : "les choses ont assez duré", "il y a des limites qu'on ne peut pas dépasser", "jusque-là oui, au-delà non", ou encore "vous allez trop loin". En somme, ce non affirme l'existence d'une frontière. Cette idée se retrouve sous une autre forme encore dans ce sentiment du révolté que l'autre "exagère", "qu'il n'y a pas de raisons pour", enfin "qu'il outrepasse son droit", la frontière, pour finir, fondant le droit. La révolte ne va pas sans le sentiment d'avoir soi-même en quelque façon et quelque part raison. C'est en cela que le fonctionnaire révolté dit à la fois oui et non. Car il affirme, en même temps que la frontière, tout ce qu'il détient et préserve en deça de la frontière. Il affirme qu'il y a en lui quelque chose qui vaut qu'on y prenne garde. D'une certaine manière, il croit avoir raison contre l'ordre qui l'opprime. En même temps que la répulsion à l'égard de l'intrus, il y a dans toute révolte une adhésion entière et instantanée de l'homme à une certaine part de l'expérience humaine. Mais quelle est cette part ? « On pourrait avancer que le non du fonctionnaire révolté représente seulement les actes qu'il se refuse à faire. Mais on remarquera que ce non signifie aussi bien "il y a des choses que je ne peux pas faire" que "il y a des choses que vous ne pouvez pas faire". On voit déjà que l'affirmation de la révolte s'étend à quelque chose qui transcende l'individu, qui le tire de sa solitude supposée, et qui fonde une valeur. On se bornera, pour le moment, à identifier cette valeur avec ce qui, en l'homme, demeure irréductible. «
Albert CAMUS, L'Homme révolté, Idées, Gallimard.
« Renonçant à chercher hors de soi-même la garantie de son existence, l'homme authentique refusera de croire à des valeurs inconditionnées qui se dresseraient comme des choses en travers de sa liberté ; la valeur, c'est cet être manqué dont la liberté se fait manque ; et c'est parce que celle-ci se fait manque que la valeur apparaît ; c'est le désir qui crée le désirable, et le projet qui pose la fin. C'est l'existence humaine qui fait surgir dans le monde les valeurs d'après lesquelles elle pourra juger les entreprises où elle s'engagera ; mais elle se situe d'abord au-delà de tout pessimisme comme de tout optimisme, car le fait de son jaillissement originel est pure contingence ; il n'y a pas avant l'existence de raison d'exister non plus que de raison de ne pas exister. Le fait de l'existence ne peut pas s'estimer, puisqu'il est le fait à partir duquel tout principe d'estimation se définit ; il ne peut se comparer à rien, car il n'y a rien hors de lui pour servir de terme de comparaison. Ce refus de toute justification extrinsèque confirme aussi ce refus d'un pessimisme originel que nous avons d'abord posé : puisqu'elle est, du dehors, injustifiable, ce n'est pas condamner l'existence que de la déclarer, du dehors, injustifiée. Et en vérité hors de l'existence il n'y a personne. L'homme existe. Il ne s'agit pas pour lui de se demander si sa présence au monde est utile, si la vie vaut la peine d'être vécue : ce sont là des questions dénuées de sens. II s'agit de savoir s'il veut vivre et à quelles conditions. «
Simone de BEAUVOIR, philosophe française (1908-1986), Pour une morale de l'ambigüité, Gallimard.
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