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JULES LEMAITRE: Jean Racine

Publié le 13/07/2011

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racine

JULES LEMAITRE (1853-1914). — De modeste origine de l'Orléanais, d'abord professeur, entra aux Débats et à la Revue des Deux-Mondes où il fut chargé de la Chronique dramatique, et après s'être fait connaître par des vers, il publia de nombreux ouvrages de critique : les Contemporains, Impressions de théâtre et des séries de conférences qui eurent un grand succès sur Rousseau, Racine, Fénelon, Chateaubriand. Il écrivit aussi des pièces de théâtre.

Jean Racine.

La tradition grecque donnera à Racine la mesure, l'harmonie, la beauté. Elle lui offrira des peintures de passions fortes et intactes. Elle lui fournira quelques-uns de ses sujets et quelques- unes de ses héroïnes. Et Racine, souvent, leur prêtera une sensibilité morale venue du christianisme. Il fera des tragédies qui secrètement embrassent et contiennent vingt-cinq siècles de culture et de sentiment. Chose bien remarquable, Racine avait eu, dès son séjour à Port-Royal, ce souci de concilier deux traditions qui lui étaient presque également chères. A seize ans, à dix-sept ans, en lisant Plutarque, — toutes les Vies des hommes illustres, et toutes les Œuvres morales, — il se demandait: « Ne pourrais-je donc adorer ces Grecs, ne pourrais-je même faire des tragédies comme eux sans être pour cela un mauvais chrétien? « Et non seulement il extrayait de Plutarque, en abondance, des lieux communs, des préceptes et des maximes, toute une morale admirable, et — quoique purement humaine et non appuyée sur un dogme — assez rapprochée par endroits de la morale du christianisme; mais encore, avec une singulière subtilité, il notait dans Plutarque toutes les phrases qui paraissaient se rencontrer (en les sollicitant un peu) avec le dogme chrétien, et particulièrement avec cette doctrine de la grâce dont ses bons maîtres étaient obsédés. Et, dans les marges des livres, en regard de ces précieuses phrases païennes, il écrivait: « Grâce... Libre arbitre... Cela est semi-pélagien... Providence... Humilité... Honorer tous les saints... Crainte de Dieu... Amour de Dieu... Attrition... Confession... Pour les catéchismes... Dieu auteur des belles actions... Pénitence continuelle... Ingrat envers Dieu... Péché originel... Martyre... etc. « ...Notez, quoi que j'aie pu dire tout à l'heure des différences essentielles de la conception chrétienne et de la païenne, que ces rapprochements ne paraissent point si forcés, tant le dogme chrétien correspond à des états ou besoins permanents de l'âme humaine ! Mais quelle lumière cela jette sur le futur théâtre de Racine ! En somme, ne pouvant paganiser le christianisme, il christianise le paganisme. Car il les aimait tous les deux. La Bruyère dit fort bien : « Oserais-je dire que le cœur seul concilie les choses extrêmes et admet les incompatibles? « C'est une remarque dont nous pourrons souvent constater la vérité soit dans la vie, soit dans l'œuvre de Racine. A l'opposé des romantiques, Racine est un merveilleux conciliateur de traditions, et cela, mieux peut-être que tout le reste, témoigne de l'étendue de sa sensibilité, de sa puissance d'aimer, de la richesse de son âme.

L'ensemble. — Jules Lemaître a donné, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, une remarquable œuvre de critique littéraire, toute fondée sur le sentiment personnel et la perfection du goût. Il continue sans doute la méthode de Sainte-Beuve, en nous faisant pénétrer dans l'intimité morale et intellectuelle des auteurs, considérés avant tout comme des hommes, mais il poursuit ce but d'une façon plus naturelle, plus spontanée encore, et surtout plus spirituelle. Les études littéraires de Jules Lemaître, et particulièrement ses quatre dernières séries de conférences, consacrées à Rousseau, à Racine, à Fénelon et à Chateaubriand, sont des chefs-d'œuvre d'esprit et de compréhension. Rien n'est dogmatique, ni affecté : c'est un causeur étincelant qui nous fait part de ses remarques, de ses observations, de ses sympathies et de ses antipathies. Cette analyse de l'art de Racine, que nous citons ici, prouve la finesse d'intelligence et de cœur du critique. L'œuvre est expliquée par l'auteur, par son caractère, par ses idées, par sa formation. L'étude psychologique sert de base à l'étude littéraire.

Le style. — Si le fond même de l'œuvre, chez Jules Lemaître, participe à l'art de la causerie, la forme plus encore, Je style présentent toutes les qualités d'une conversation agréable, souple, pleine d'esprit. Les phrases sont très simples, sans aucune tendance à l'éloquence, souvent coupées, pour mieux rester dans le naturel de la vie. Beaucoup de clarté surtout, peu de mots difficiles, rien qui demande trop d'attention ou trop d'effort.   

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