La Chartreuse de Parme prince, après une longue discussion avec sa mère, lui ordonna de nouveau de dire son avis.
Publié le 12/04/2014
Extrait du document
«
Firent plus de dégât en une heure de temps
Que n'en auraient fait en cent ans
Tous les lièvres de la province.
Petits princes, videz vos débats entre vous;
De recourir aux rois vous seriez de grands fous.
Il ne les faut jamais engager dans vos guerres,
Ni les faire entrer sur vos terres.
Cette lecture fut suivie d'un long silence.
Le prince se promenait dans le cabinet, après être allé lui-même
remettre le volume à sa place.
\24 Eh bien! madame, dit la princesse, daignerez-vous parler?
\24 Non pas, certes, madame! tant que Son Altesse ne m'aura pas nommée ministre; en parlant ici, je courrais
risque de perdre ma place de grande maîtresse.
Nouveau silence d'un gros quart d'heure, enfin la princesse songea au rôle que joua jadis Marie de Médicis,
mère de Louis XIII: tous les jours précédents, la grande maîtresse avait fait lire par la lectrice l'excellente
Histoire de Louis XIII, de M.
Bazin.
La princesse, quoique fort piquée, pensa que la duchesse pourrait fort
bien quitter le pays et alors Rassi, qui lui faisait une peur affreuse pourrait bien imiter Richelieu et la faire
exiler par son fils.
Dans ce moment, la princesse eût donné tout au monde pour humilier sa grande maîtresse
mais elle ne pouvait: elle se leva, et vint, avec un sourire un peu exagéré, prendre la main de la duchesse et lui
dire:
\24 Allons, madame, prouvez-moi votre amitié en parlant.
\24 Eh bien! deux mots sans plus: brûler, dans la cheminée que voilà, tous les papiers réunis par cette vipère de
Rassi, et ne jamais lui avouer qu'on les a brûlés.
Elle ajouta tout bas, et d'un air familier, à l'oreille de la princesse
\24 Rassi peut être Richelieu!
\24 Mais, diable! ces papiers me coûtent plus de quatre-vingt mille francs! s'écria le prince fâché.
\24 Mon prince répliqua la duchesse avec énergie, voilà ce qu'il en coûte d'employer des scélérats de basse
naissance.
Plût à Dieu que vous puissiez perdre un million, et ne jamais prêter créance aux bas coquins qui ont
empêché votre père de dormir pendant les six dernières années de son règne.
Le mot basse naissance avait plu extrêmement à la princesse, qui trouvait que le comte et son amie avaient
une estime trop exclusive pour l'esprit, toujours un peu cousin germain du jacobinisme.
Durant le court moment de profond silence, rempli par les réflexions de la princesse, l'horloge du château
sonna trois heures.
La princesse se leva, fit une profonde révérence à son fils, et lui dit:
\24 Ma santé ne me permet pas de prolonger davantage la discussion.
Jamais de ministre de basse naissance;
vous ne m'ôterez pas de l'idée que votre Rassi vous a volé la moitié de l'argent qu'il vous a fait dépenser en
espionnage.
La Chartreuse de Parme
CHAPITRE XXIV 230.
»
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