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Le mystère de Jésus. PASCAL

Publié le 12/07/2011

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pascal

Jésus cherche quelque consolation au moins dans ses trois plus chers amis et ils dorment; il les prie de soutenir un peu avec lui, et ils le laissent avec une négligence entière, ayant si peu de compassion qu'elle ne pouvait seulement les empêcher de dormir un moment. Et ainsi Jésus était délaissé seul à la colère de Dieu. Jésus est seul dans la terre, non seulement qui ressente et partage sa peine, mais qui la sache : le ciel et lui sont seuls dans cette connaissance. Jésus est dans un jardin, non de délices comme le premier Adam, où il se perdit et tout le genre humain, mais dans un de supplices, où il s'est sauvé et tout le genre humain. Il souffre cette peine et cet abandon dans l'horreur de la nuit. Je crois que Jésus ne s'est jamais plaint que cette seule fois; mais alors il se plaint comme s'il n'eût plus pu contenir sa douleur excessive: « Mon âme est triste jusqu'à la mort. « Jésus cherche de la compagnie et du soulagement de la part des hommes. Cela est unique en toute sa vie, ce me semble. Mais il n'en reçoit point, car ses disciples dorment. Jésus sera en agonie jusqu'à la fin du monde: il ne faut pas dormir pendant ce temps-là. Jésus au milieu de ce délaissement universel et de ses amis choisis pour veiller avec lui, les trouvant dormant, s'en fâche à cause du péril où ils exposent, non lui, mais eux-mêmes, et les avertit de leur propre salut et de leur bien avec une tendresse cordiale pour eux pendant leur ingratitude, et les avertit que l'esprit est prompt et la chair infirme. Jésus, les trouvant encore dormant, sans que ni sa considération ni la leur les en eût retenus, il a la bonté de ne pas les éveiller, et les laisse dans leur repos. Jésus prie dans l'incertitude de la volonté du Père, et craint la mort ; mais l'ayant connue, il va au-devant s'offrir à elle : Eamus. Processit (Joannes). Jésus a prié les hommes, et n'en a pas été exaucé. Jésus étant dans l'agonie et dans les plus grandes peines [priait] plus longtemps. Nous implorons la miséricorde de Dieu, non afin qu'il nous laisse en paix dans nos vices, mais afin qu'il nous en délivre. Si Dieu nous donnait des maîtres de sa main, oh! qu'il leur faudrait obéir de bon cœur! La nécessité et les événements en sont infailliblement. Console-toi, tu ne me chercherais pas, si tu ne m'avais trouvé : Je pensais à toi dans mon agonie, j'ai versé telles gouttes de sang pour toi. C'est me tenter plus que t'éprouver, que de penser si tu * ferais bien telle et telle chose absente: je la ferai en toi si elle arrive. Laisse-moi conduire à mes règles, vois comme j'ai bien conduit la Vierge et les saints qui m'ont laissé agir en eux. Le Père aime tout ce que Je fais. Veux-tu qu'il me coûte toujours du sang de mon humanité, sans que tu donnes des larmes? C'est mon affaire que ta conversion; ne crains point, et prie avec confiance comme pour moi. Je te suis présent par ma parole dans l'Ecriture, par mon esprit dans l'Eglise et par les inspirations, par ma puissance dans les prêtres, par ma prière dans les fidèles. Les médecins ne te guériront pas, car tu mourras à la fin. Mais c'est moi qui guéris et rends le corps immortel. Souffre les chaînes et la servitude corporelles: je ne te délivre que de la spirituelle à présent. Je te suis plus un ami que tel et tel; car j'ai fait pour toi plus qu'eux, et ils ne souffriraient pas ce que j'ai souffert de toi et ne mourraient pas pour toi dans le temps de tes infidélités et cruautés, comme j'ai fait et comme je suis prêt à faire et fais dans mes élus et au Saint-Sacrement. Si tu connaissais tes péchés, tu perdrais cœur. — Je le perdrai donc, Seigneur, car je crois leur malice sur votre assurance. — Non, car moi, par qui tu l'apprends, t'en peux guérir, et ce que je te le dis est un signe que je te veux guérir. A mesure que tu les expieras, tu les connaîtras, et il te sera dit: « Vois « les péchés qui te sont remis. «

L'ensemble. — Dans ce fragment admirable appelé le Mystère de Jésus, ce n'est plus le Pascal philosophe, mais le Pascal mystique qui apparaît. Sublime entretien entre l'Ame et le Christ, les pensées les plus hautes et la plus ardente effusion du cœur s'y expriment. Ce n est pas, d'ailleurs, un fragment d'une œuvre quelconque, mais une sorte de prière intime composée par Pascal après une de ses visions. L'impression de vie, de présence surnaturelle, y est frappante, et l'on ne peut lire ces lignes sans ressentir une émotion profonde. Pascal s'identifie à toutes les douleurs de Jésus, il s'unit à son agonie, il lui parle, il l'écoute, et nous croyons l'entendre nous aussi, dans la solitude et la peine de chacune de nos existences. Certaines paroles atteignent une puissance, une résonance incroyables : « Console-toi, tu ne me chercherais pas si tu ne m'avais déjà trouvé «... « Je pensais à toi dans mon agonie, j'ai versé telles gouttes de sang pour toi... « C'est la foi la plus haute qui inspire ce passage, c'est la piété intense du chrétien, mais c'est aussi l'imagination du poète et la sensibilité de l'homme, aussi n'y a-t-il pas, dans toute notre littérature, de page plus lyrique que celle-là. 

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