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Le nabab, tome II Joli monde vraiment pour une manifestation pareille!

Publié le 11/04/2014

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Le nabab, tome II Joli monde vraiment pour une manifestation pareille! En face, une loge de banquiers faillis, la femme et l'amant l'un près de l'autre au premier rang, le mari dans l'ombre, effacé et grave. A côté, le trio fréquent d'une mère qui a marié sa fille selon son propre coeur et pour se faire un gendre de l'homme qu'elle aimait. Puis des ménages interlopes, des filles étalant le prix de la honte, des diamants en cercles de feu rivés autour des bras et du cou comme des colliers de chien, se bourrant de bonbons qu'elles avalaient brutalement, bestialement, parce qu'elles savent que l'animalité de la femme plaît à ceux qui la paient. Et ces groupes de gandins efféminés, le col ouvert, les sourcils peints, dont on admirait à Compiègne, dans les chambres d'invités, les chemises de batiste brodées et les corsets de satin blanc; ces mignons du temps d'Agrippa, s'appelant entre eux: «Mon coeur... Ma chère belle...» Tous les scandales, toutes les turpitudes, consciences vendues ou à vendre, le vice d'une époque sans grandeur, sans originalité, essayant les travers de toutes les autres et jetant à Bullier cette duchesse, femme de ministre, rivale des plus éhontées danseuses de l'endroit. Et c'étaient ces gens-là qui le repoussaient, qui lui criaient: «Va-t'en... tu es indigne... --Indigne, moi!... mais je vaux cent fois mieux que vous tous, misérables... Vous me reprochez mes millions. Et qui donc m'a aidé à les dévorer? Toi, compagnon lâche et traître, qui caches dans le coin de ton avant-scène ton obésité de pacha malade. J'ai fait ta fortune avec la mienne au temps où nous partagions en frères. Toi, marquis blafard, j'ai payé cent mille francs au cercle pour qu'on ne te chasse pas honteusement... Je t'ai couverte de bijoux, drôlesse, en laissant croire que tu étais ma maîtresse, parce que cela fait bien dans notre monde, mais sans jamais te demander de retour... Et toi, journaliste effronté qui as toute la bourbe de ton encrier pour cervelle, et sur ta conscience autant de lèpres que ta reine en porte sur la peau, tu trouves que je ne t'ai pas payé ton prix, et voilà pourquoi tes injures... Oui, oui, regardez-moi, canailles... Je suis fier... Je vaux mieux que vous...» Tout ce qu'il disait ainsi mentalement, dans un délire de colère, visible au tremblement de ses lèvres blémies, le malheureux, en qui montait la folie, allait peut-être le crier bien fort dans le silence, invectiver cette masse insultante, qui sait? bondir au milieu, en tuer un, ah! bon sang de Dieu! en tuer un, quand il se sentit frappé légèrement sur l'épaule; et une tête blonde lui apparut, sérieuse et franche, deux mains tendues qu'il saisit convulsivement, comme un noyé. «Ah! cher... cher... bégaya le pauvre homme. Mais il n'eut pas la force d'en dire davantage. Cette émotion douce arrivant au milieu de sa fureur la fondit en un sanglot de larmes, de sang, de paroles étranglées. Sa figure devint violette. Il fit signe: «Emmenez-moi...» Et trébuchant, appuyé au bras de de Géry, il ne put que franchir la porte de sa loge pour aller tomber dans le couloir. «Bravo! bravo!!» criait la salle à la tirade du comédien; et c'était un bruit de grêle, de trépignements enthousiastes, tandis que le grand corps sans vie, péniblement enlevé par les machinistes, traversait les coulisses rayonnantes, encombrées de curieux empressés autour de la scène, allumés au succès répandu et qui remarquèrent à peine le passage de ce vaincu inerte, porté à bras comme une victime d'émeute. On l'étendit sur un canapé dans le magasin d'accessoires, Paul de Géry à ses côtés avec un médecin, et deux garçons qui s'empressaient pour les secours. Cardailhac, très occupé par sa pièce, avait promis de venir savoir des nouvelles «tout à l'heure, après le cinq...» Saignée sur saignée, ventouses, sinapismes, rien ne ramenait même un frémissement à l'épiderme du malade insensible à tous les moyens usités dans les cas d'apoplexie. Un abandon de tout l'être semblait le donner déjà à la mort, le préparer aux rigidités du cadavre; et cela dans le plus sinistre endroit du monde, le chaos éclairé d'une lanterne sourde où gisent pêle-mêle sous la poussière tous les rebuts des pièces jouées, meubles dorés, tentures à crépines brillantes, carrosses, coffres-forts, tables à jeu, escaliers et rampes démontés parmi des cordages, des poulies, un fouillis d'accessoires de théâtre hors d'usage, cassés, démolis, avariés. Bernard Jansoulet étendu au milieu de ces épaves, son linge fendu sur la poitrine, à la fois sanglant et blême, était bien un naufragé de la vie, meurtri et rejeté à la côte avec les débris lamentables de son luxe artificiel dispersé et broyé par le tourbillon parisien. Paul, le coeur brisé, contemplait cela tristement, cette face au nez court, XXV. LA PREMIÈRE DE «RÉVOLTE» 109 Le nabab, tome II gardant dans son inertie l'expression colère et bonne d'un être inoffensif qui a essayé de se défendre avant de mourir et n'a pas eu le temps de mordre. Il se reprochait son impuissance à le servir efficacement. Où était ce beau projet de conduire Jansoulet à travers les fondrières, de le garder des embûches? Tout ce qu'il avait pu faire, c'était de lui sauver quelques millions et encore arrivaient-ils trop tard. ***** On venait d'ouvrir les fenêtres sur le balcon tournant du boulevard, en pleine agitation bruyante et lumineuse. Le théâtre s'entourait d'un cordon de gaz, d'une zone de feu qui faisait paraître les fonds plus sombres, piqués de lanternes roulantes, comme des étoiles voyageant au ciel obscur. La pièce était finie. On sortait. La foule noire et serrée sur les perrons se dispersait aux trottoirs blancs, allait répandre par la ville le bruit d'un grand succès et le nom d'un inconnu demain triomphant et célèbre. Soirée admirable allumant les vitres des restaurants en liesse et faisant circuler par les rues des files d'équipages attardés. Ce tumulte de fête que le pauvre Nabab avait tant aimé, qui allait bien à l'étourdissement de son existence, le ranima une seconde. Ses lèvres remuèrent, et ses yeux dilatés, tournés vers de Géry, retrouvèrent avant la mort une expression douloureuse, implorante et révoltée, comme pour le prendre à témoin d'une des plus grandes, des plus cruelles injustices que Paris ait jamais commises. FIN XXV. LA PREMIÈRE DE «RÉVOLTE» 110

« gardant dans son inertie l'expression colère et bonne d'un être inoffensif qui a essayé de se défendre avant de mourir et n'a pas eu le temps de mordre.

Il se reprochait son impuissance à le servir efficacement.

Où était ce beau projet de conduire Jansoulet à travers les fondrières, de le garder des embûches? Tout ce qu'il avait pu faire, c'était de lui sauver quelques millions et encore arrivaient-ils trop tard. * * * * * On venait d'ouvrir les fenêtres sur le balcon tournant du boulevard, en pleine agitation bruyante et lumineuse. Le théâtre s'entourait d'un cordon de gaz, d'une zone de feu qui faisait paraître les fonds plus sombres, piqués de lanternes roulantes, comme des étoiles voyageant au ciel obscur.

La pièce était finie.

On sortait.

La foule noire et serrée sur les perrons se dispersait aux trottoirs blancs, allait répandre par la ville le bruit d'un grand succès et le nom d'un inconnu demain triomphant et célèbre.

Soirée admirable allumant les vitres des restaurants en liesse et faisant circuler par les rues des files d'équipages attardés.

Ce tumulte de fête que le pauvre Nabab avait tant aimé, qui allait bien à l'étourdissement de son existence, le ranima une seconde.

Ses lèvres remuèrent, et ses yeux dilatés, tournés vers de Géry, retrouvèrent avant la mort une expression douloureuse, implorante et révoltée, comme pour le prendre à témoin d'une des plus grandes, des plus cruelles injustices que Paris ait jamais commises. FIN Le nabab, tome II XXV.

LA PREMIÈRE DE «RÉVOLTE» 110. »

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