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Le nabab, tome II place volée, dans quel enfer!

Publié le 11/04/2014

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Le nabab, tome II place volée, dans quel enfer!... Eh bien! et cette devise, bon Jenkins, vertueux Jenkins, qu'est-ce que nous en faisons? Le bien sans espérance, mon vieux!...» A ce rire cinglant comme un coup de cravache qui devait lui marquer la figure en rouge, le misérable répondit en haletant: «Assez..., assez..., ne raillez pas ainsi... c'est trop horrible à la fin... Cela ne vous touche donc pas d'être aimée comme je vous aime en vous sacrifiant tout, fortune, honneur, considération? Voyons, regardez-moi... Si bien attaché que fût mon masque, je l'ai arraché pour vous, je l'ai arraché devant tous... Et maintenant, tenez! le voilà l'hypocrite...» On entendit le bruit sourd de deux genoux sur le parquet. Et bégayant, éperdu d'amour, affaissé devant elle, il la suppliait de consentir à ce mariage, de lui donner le droit de la suivre partout, de la défendre: puis les mots lui manquaient, s'étouffaient dans un sanglot passionné, si profond, si déchirant qu'il aurait touché n'importe quel coeur, surtout devant la splendide nature impassible dans cette chaleur parfumée et amollissante... Mais Félicia ne s'attendrit pas, et toujours hautaine: «Finissons-en, Jenkins, dit-elle brusquement, ce que vous me demandez est impossible... Nous n'avons rien à nous cacher; et après vos confidences de tout à l'heure, je veux vous en faire une qui coûte à mon orgueil, mais dont votre acharnement me paraît digne... J'étais la maîtresse de Mora.» Paul n'ignorait pas cela. Et pourtant c'était si triste cette belle voix pure chargée d'un tel aveu, au milieu de cet air enivrant de bleu et d'arômes, qu'il en eut un grand serrement de coeur et dans la bouche ce goût de larmes que laisse un regret inavoué. «Je le savais, reprit Jenkins d'une voix sourde... J'ai là les lettres que vous lui écriviez... --Mes lettres? --Oh! je vous les rends, tenez. Je les sais par coeur, à force de les lire et de les relire... C'est ça qui fait mal, quand on aime... Mais j'ai bien subi d'autres tortures. Quand je pense que c'est moi...» Il s'arrêta. Il étouffait... «Moi qui devais fournir le combustible à vos flammes, réchauffer cet amant de glace, vous l'envoyer ardent et rajeuni... Ah! il en a dévoré des perles, celui-là... J'avais beau dire non, il en voulait toujours... A la fin la fureur m'a pris... Tu veux brûler, misérable, eh bien! brûle. ***** Paul se leva épouvanté. Allait-il donc devenir le confident d'un crime? Mais la honte ne lui fut pas infligée d'en entendre davantage. Un coup violent, frappé chez lui, cette fois, vint l'avertir que le calesino était prêt. «Eh! signor Francese...» Dans la pièce à côté le silence se fit, puis un chuchotement, il y avait quelqu'un, là, tout près d'eux... qui les écoutait... Paul de Géry descendit précitamment. Il lui tardait d'être hors de cette chambre d'hôtel, d'échapper à l'obsession de tant d'infamies dévoilées. Comme la chaise de poste s'ébranlait, entre ces rideaux blancs communs qui flottent à toutes les fenêtres dans le Midi, il aperçut une figure pâlie avec des cheveux de déesse et de grands yeux brûlants qui guettaient. Mais un regard au portrait d'Aline chassait vite cette vision troublante, et pour jamais guéri de son ancien amour, il XXIV. A BORDIGHERA 103 Le nabab, tome II voyagea jusqu'au soir à travers un paysage féerique avec la jolie mariée du déjeuner, qui emportait dans les plis de sa modeste robe, de son mantelet de jeune fille, toutes les violettes de Bordighera. XXV. LA PREMIÈRE DE «RÉVOLTE» «En scène pour le premier acte!» Ce cri du régisseur debout, les mains en porte-voix, au bas de l'escalier des artistes, s'engouffre dans sa haute cage, monte, roule, se perd au fond des couloirs pleins d'un bruit de portes battantes, de pas précipités, d'appels désespérés au coiffeur, aux habilleuses, tandis qu'apparaissent successivement aux paliers des différents étages, lents et majestueux, la tête immobile, de peur de déranger le moindre détail de leur accoutrement, tous les personnages du premier acte de Révolte, costumes de bal élégants et modernes, avec des craquements de souliers neufs, le frôlement soyeux des traînes, le cliquetis des bracelets riches remontés par le gant qu'on boutonne. Tout ce monde-là paraît ému, nerveux, pâle sous le fard, et dans les satins savamment préparés des épaules arrosées de céruse, des frissons passent en moires d'ombres. On parle peu, la bouche sèche. Les plus rassurés en affectant de sourire ont dans les yeux, dans la voix, l'hésitation de la pensée absente, cette appréhension de la bataille aux feux de la rampe, qui reste un des attraits les plus puissants du métier de comédien, son piquant, son renouveau. Sur la scène encombrée d'un va-et-vient de machinistes, de garçons d'accessoires se hâtant, se bousculant dans le jour doux, neigeux, tombé des frises, qui fera place tout à l'heure, quand le rideau se lèvera, à la lumière éclatante de la salle. Cardailhac, en habit noir et cravate blanche, le chapeau casseur sur l'oreille, jette un dernier coup d'oeil à l'installation des décors, presse les ouvriers, complimente l'ingénue en toilette, rayonnant, fredonnant, superbe. On ne se douterait jamais à le voir des terribles préoccupations qui l'enfièvrent. Entraîné lui aussi dans la débâcle du Nabab, où s'est engloutie sa commandite, il joue son va-tout sur la pièce de ce soir, contraint--si elle ne réussit pas--à laisser impayés ces décors merveilleux, ces étoffes à cent francs le mètre. C'est une quatrième faillite qui l'attend. Mais, bah! notre directeur a confiance. Le succès, comme tous les monstres mangeurs d'hommes, aime la jeunesse; et cet auteur inconnu, tout neuf sur une affiche, flatte les superstitions du joueur. André Maranne n'est pas aussi rassuré. A mesure que la représentation approche, il perd la foi dans son oeuvre, atterré par la vue de la salle qu'il regarde au trou du rideau comme au verre étroit d'un stéréoscope. Une salle splendide, remplie jusqu'au cintre, malgré le printemps avancé et le goût mondain pour la villégiature précoce; une salle que Cardailhac, ennemi déclaré de la nature et de la campagne, s'efforçant toujours de retenir les Parisiens le plus tard possible dans Paris, est parvenu à combler, à faire aussi brillante qu'en plein hiver. Quinze cents têtes fourmillant sous le lustre, droites, penchées, détournées, interrogeantes, d'une grande vie d'ombres et de reflets, les unes massées aux coins obscurs du bas pourtour, les autres éclairées vivement, les portes des loges ouvertes, par la réverbération des murs blancs du couloir; public des premières toujours le même, ce brigand de tout Paris qui va partout, emportant d'assaut ces places enviées, quand une faveur, une fonction quelconque ne les lui donne pas. A l'orchestre, les gilets à coeur, les clubs, crânes luisants, larges raies dans des cheveux rares, gants clairs, grosses lorgnettes braquées. Aux galeries, mêlées de mondes et de toilettes, tous les noms connus de ces sortes de solennités, et la promiscuité gênante qui place le sourire contenu et chaste de l'honnête femme à côté des yeux brûlants de kohl, de la bouche en traits de vermillon des autres. Chapeaux blancs, chapeaux roses, diamants et maquillage. Au-dessus, les loges présentent la même confusion: des actrices et des filles, des ministres, des ambassadeurs, des auteurs fameux, des critiques, ceux-ci l'air grave, les sourcils froncés, jetés de travers sur leur fauteuil avec la morgue impassible de juges que rien ne peut corrompre. Les avant-scènes tranchent en lumière, en splendeur sur l'ensemble, occupées par des célébrités de la haute banque, les femmes XXV. LA PREMIÈRE DE «RÉVOLTE» 104

« voyagea jusqu'au soir à travers un paysage féerique avec la jolie mariée du déjeuner, qui emportait dans les plis de sa modeste robe, de son mantelet de jeune fille, toutes les violettes de Bordighera. XXV.

LA PREMIÈRE DE «RÉVOLTE» «En scène pour le premier acte!» Ce cri du régisseur debout, les mains en porte-voix, au bas de l'escalier des artistes, s'engouffre dans sa haute cage, monte, roule, se perd au fond des couloirs pleins d'un bruit de portes battantes, de pas précipités, d'appels désespérés au coiffeur, aux habilleuses, tandis qu'apparaissent successivement aux paliers des différents étages, lents et majestueux, la tête immobile, de peur de déranger le moindre détail de leur accoutrement, tous les personnages du premier acte de Révolte, costumes de bal élégants et modernes, avec des craquements de souliers neufs, le frôlement soyeux des traînes, le cliquetis des bracelets riches remontés par le gant qu'on boutonne.

Tout ce monde-là paraît ému, nerveux, pâle sous le fard, et dans les satins savamment préparés des épaules arrosées de céruse, des frissons passent en moires d'ombres.

On parle peu, la bouche sèche.

Les plus rassurés en affectant de sourire ont dans les yeux, dans la voix, l'hésitation de la pensée absente, cette appréhension de la bataille aux feux de la rampe, qui reste un des attraits les plus puissants du métier de comédien, son piquant, son renouveau. Sur la scène encombrée d'un va-et-vient de machinistes, de garçons d'accessoires se hâtant, se bousculant dans le jour doux, neigeux, tombé des frises, qui fera place tout à l'heure, quand le rideau se lèvera, à la lumière éclatante de la salle.

Cardailhac, en habit noir et cravate blanche, le chapeau casseur sur l'oreille, jette un dernier coup d'oeil à l'installation des décors, presse les ouvriers, complimente l'ingénue en toilette, rayonnant, fredonnant, superbe.

On ne se douterait jamais à le voir des terribles préoccupations qui l'enfièvrent.

Entraîné lui aussi dans la débâcle du Nabab, où s'est engloutie sa commandite, il joue son va-tout sur la pièce de ce soir, contraint—si elle ne réussit pas—à laisser impayés ces décors merveilleux, ces étoffes à cent francs le mètre.

C'est une quatrième faillite qui l'attend.

Mais, bah! notre directeur a confiance.

Le succès, comme tous les monstres mangeurs d'hommes, aime la jeunesse; et cet auteur inconnu, tout neuf sur une affiche, flatte les superstitions du joueur. André Maranne n'est pas aussi rassuré.

A mesure que la représentation approche, il perd la foi dans son oeuvre, atterré par la vue de la salle qu'il regarde au trou du rideau comme au verre étroit d'un stéréoscope. Une salle splendide, remplie jusqu'au cintre, malgré le printemps avancé et le goût mondain pour la villégiature précoce; une salle que Cardailhac, ennemi déclaré de la nature et de la campagne, s'efforçant toujours de retenir les Parisiens le plus tard possible dans Paris, est parvenu à combler, à faire aussi brillante qu'en plein hiver.

Quinze cents têtes fourmillant sous le lustre, droites, penchées, détournées, interrogeantes, d'une grande vie d'ombres et de reflets, les unes massées aux coins obscurs du bas pourtour, les autres éclairées vivement, les portes des loges ouvertes, par la réverbération des murs blancs du couloir; public des premières toujours le même, ce brigand de tout Paris qui va partout, emportant d'assaut ces places enviées, quand une faveur, une fonction quelconque ne les lui donne pas. A l'orchestre, les gilets à coeur, les clubs, crânes luisants, larges raies dans des cheveux rares, gants clairs, grosses lorgnettes braquées.

Aux galeries, mêlées de mondes et de toilettes, tous les noms connus de ces sortes de solennités, et la promiscuité gênante qui place le sourire contenu et chaste de l'honnête femme à côté des yeux brûlants de kohl, de la bouche en traits de vermillon des autres.

Chapeaux blancs, chapeaux roses, diamants et maquillage.

Au-dessus, les loges présentent la même confusion: des actrices et des filles, des ministres, des ambassadeurs, des auteurs fameux, des critiques, ceux-ci l'air grave, les sourcils froncés, jetés de travers sur leur fauteuil avec la morgue impassible de juges que rien ne peut corrompre.

Les avant-scènes tranchent en lumière, en splendeur sur l'ensemble, occupées par des célébrités de la haute banque, les femmes Le nabab, tome II XXV.

LA PREMIÈRE DE «RÉVOLTE» 104. »

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